Avec l’enthousiasme des débuts, les porteurs de projet oublient souvent que les conflits entre associés constituent, avec les problèmes de trésorerie, l’une des premières causes de défaillances des entreprises. La question n’est ainsi pas du tout à prendre à la légère. Voici quelques conseils pour évacuer un maximum de sources de désaccord et d’erreurs communes. Article rédigé par Aurélie Daniel, COO Cookening et blogueuse En 20 lignes.[hr]

Commencez par vous demander qui vous êtes

Avant de vous demander avec qui vous associer, vous avez à répondre à une première question fondamentale (ne serait-ce que pour y répondre lorsque vos associés vous le demandent !) : suis-je prêt à entreprendre, en particulier au regard de mon temps disponible, de mes moyens financiers, de mes connaissances, de mes compétences, de mon entourage ?

Construire et porter un projet ne nécessite pas forcément une formation spécifique. En revanche, cela exige de bien connaître ses motivations, ses atouts et ses limites, et le cas échéant de s’interroger sur les moyens de combler ces limites, notamment au regard du projet envisagé. Suivez le cas échéant quelques formations pour vous préparer au mieux, et seulement s’il s’agit d’aspects que vous pensez pouvoir maîtriser au quotidien dans le cadre de votre entreprise.

Que vous décidiez d’entreprendre seul ou en équipe, cette étape n’est surtout pas à négliger. Les responsabilités que vous aurez à assumer avec réactivité, sens des priorités, patience, humilité, créativité et persévérance, risquent de vous dépasser très rapidement si vous n’avez pas mené cette réflexion en amont.

On peut monter une entreprise en partant de rien. On ne peut toutefois pas monter une entreprise sans plan d’actions, élaboré à partir de ses ressources et des moyens qui vont être déployés pour acquérir les autres ressources nécessaires. Qu’avez-vous et que vous manque-t-il pour mener à bien ce projet, faire en sorte qu’il se réalise et devienne une entreprise rentable, puis se pérennise ?

Ce n’est qu’une fois que vous avez effectué ce travail sur vous-même que vous pouvez commencer à réfléchir sereinement à la meilleure façon de vous associer.

La "bonne idée" ne fait pas l’entrepreneur… ni l’associé

Enormément d’entrepreneurs (en tous cas de primo-entrepreneurs) partent du principe qu’une idée doit être protégée comme une ressource rare, un éclair de génie, de peur que celle-ci soit copiée et échappe à son auteur.

C’est une très grave erreur. D’abord, si une idée est réellement bonne, d’autres l’ont déjà eue, peut-être en même temps que vous, ou la copieront extrêmement rapidement, peut- être en l’exécutant mieux que vous. Ensuite, seule l’exécution d’une idée, c’est-à-dire la réunion de moyens pour la réaliser, sa mise en œuvre, sa gestion et sa promotion font d’une idée un projet, puis une entreprise.

En quelques mots, seul le travail fait d’une idée une entreprise.

Enfin et surtout, au regard de la problématique du choix des associés, n’oubliez jamais qu’avoir une bonne idée ne fait pas l’entrepreneur tant que celui-ci n’a rien fait pour la tester, la valider et la concrétiser. Des idées brillantes, tout le monde peut en avoir. Des exécutions brillantes, il y en a suffisamment peu pour constater des défaillances d’entreprises très nombreuses.

Ne vous sentez jamais contraint d’associer une personne à votre projet sous prétexte que cette personne a eu "la bonne idée". Ce n’est pas une question de morale, c’est une question de survie de votre entreprise.

Même si cette personne qui a eu "la bonne idée", c’est vous.

Partez en quête de ce qui vous manque pour trouver qui vous manque

Ces deux premiers éléments vérifiés, à savoir un bilan personnel et l’évacuation du lien entre idée d’entreprise, entrepreneur et associé, il reste à revenir à la question de ce qui vous manque. Comment trouver ce que vous cherchez si vous ne savez pas ce que vous cherchez ?

En d’autres termes, puisque vous savez désormais qui vous êtes : de quoi avez-vous besoin, à quel prix (le cas échéant, pour quelle proportion du capital), pour combien de temps ?

Si votre besoin est seulement ponctuel (l’est-il vraiment ?), vous ne devez peut-être pas rechercher un associé, mais un prestataire, un partenaire tiers, etc. 

Si votre besoin correspond à celui d’une personne complémentaire en termes de compétences, de personnalité et/ou d’argent, au regard de votre projet, vous pourrez affiner la recherche de votre associé idéal.

Comme pour tout futur membre de votre équipe, cet exercice de définition de votre recherche d’associé est essentiel à mener pour éviter les erreurs de castings.

Une fois que vous avez les idées claires sur le type de profil que vous recherchez, faites- le savoir par tous les moyens à votre disposition : emails, réseaux sociaux (y compris Linkedin), réseaux d’anciens de votre école ou université, réseaux professionnels et/ou spécialisés (comme Wizbii, Ideas Voice, Associates Network, Partnpro, Share2grow…), afterworks et événements dédiés aux entrepreneurs, etc.

Outre vous permettre de trouver la perle rare, cet exercice de diffusion vous forcera, au moins au moment de rencontrer vos potentiels associés, à présenter votre projet de manière claire, en structurant vos idées, votre vision, votre plan d’actions et en valorisant l’opportunité de vous rejoindre - personne n’a envie de travailler avec un porteur de projet ayant l’air peu sûr de lui, avec une vision assez floue ou désorganisé, même s’il semble enthousiaste.

Prenez le temps de connaître les envies et motivations des "candidats" que vous rencontrerez, en particulier, comme vous l’avez fait pour vous-même, leurs compétences, leurs atouts, leurs limites, leur temps disponible, leurs moyens financiers (ne serait-ce que le temps que votre entreprise devienne rentable, qu’il ne faut jamais sous-estimer).

Si vos valeurs doivent s’accorder, ce n’est pas tant que vous devrez nécessairement devenir amis. C’est avant tout que la mise en œuvre du projet d’entreprise va vous contraindre à accorder vos visions pour travailler dans de bonnes conditions. La démarche est donc à effectuer dans les deux sens : quelles sont les valeurs de votre futur associé, que pense-t-il de vous, de votre analyse de vos atouts et limites au regard du projet, ou encore d’autres profils qui seraient éventuellement à rechercher ?

Cette démarche de constitution d’équipe doit être faite le plus tôt possible, ne serait-ce que pour valider votre plan d’action et vous mettre véritablement au travail et éviter que des quiproquos et non-dits s’installent.

Bien sûr, rien n’empêche de compléter une équipe incomplète en cours de réalisation du projet en associant un profil complémentaire, dès lors que celui-ci manquait à l’appel à la création sans que cela n’empêche de commencer à créer. Faites-le toutefois dès que vous avez conscience de ce manque, qui pourrait être fatal à votre entreprise.

En bref, habituez-vous à un élément phare du quotidien de l’entrepreneur : anticipez.

L’équipe est au complet ? Avant de répartir le capital, mettez-vous au travail !

A ce stade, votre équipe (deux, trois, quatre… personnes) est en principe prête à travailler ensemble.

Oui, il est encore trop tôt pour répartir le capital. Vous constaterez bien assez vite qu’entre deux véritables réunions, où chacun s’était attribué des objectifs quantifiables et réalisables après que tous se soient accordés sur les premières actions à mener, chacun aura déjà démontré sa capacité à tenir les délais annoncés et à être ponctuel, présent et disponible pour remplir ses missions.

Fixez donc une première date de réunion, avec un objectif global commun et des objectifs individuels, chacun annonçant ce qui peut être fait ou non dans un certain délai. 

Puis réunissez-vous de nouveau tous ensemble pour discuter du travail accompli. Une, deux ou trois réunions de ce type seront peut-être nécessaires pour que chacun puisse démontrer sa capacité à travailler efficacement avec les autres, révélant (déjà !) les problèmes de communication interne, ainsi que le degré de fiabilité et de disponibilité réelle de chaque membre de l’équipe.

N’attendez pas d’avoir tous signé pour faire cette démarche, cela ne fera que repousser l’inévitable. Ce n’est qu’après cette petite période préparatoire que vous pourrez confirmer votre volonté de travailler ensemble durablement, et donc de vous associer.

Dès lors, vous pourrez vous accorder sur la répartition du capital.

Tout fonctionne à ce stade? Passez à la répartition du capital et prévoyez le divorce

Retenez qu’au stade de la création de votre société, le capital social est sensé réunir les moyens financiers nécessaires à l’amorçage de votre activité : trop faible, il ne couvrira pas vos premiers besoins en trésorerie et vous rendra peu crédible au regard de vos partenaires sur votre marché. Le montant est donc une question d’équilibre, au regard de votre budget prévisionnel et de votre marché.

La répartition, en revanche, est avant tout une question d’apports, en l’occurrence de répartition des apports opérationnels et financiers.

Dès lors, vous pouvez envisager une répartition à 50-50 entre deux fondateurs, si vos profils sont tellement complémentaires pour la concrétisation de votre projet d’entreprise que rien ne justifie que l’un ou l’autre détienne plus de pouvoir et que vous ne soyez pas obligés d’agir de concert. A l’inverse, prévoyez une répartition en faveur de l’un ou de l’autre si ses contributions (matérielles, humaines, et/ ou financières) sont plus importantes.

Souvenez-vous ensuite que la répartition du capital peut être amenée à évoluer, en particulier avec l’entrée d’investisseurs. La méthode la plus pertinente pour répartir un capital social demeure celle d’une réflexion à moyen terme (le long terme est trop difficile à anticiper) sur les apports concrets de chacun à la réussite de l’entreprise.

Listez les 4 à 6 grandes compétences ou grands domaines d’action sur lesquels tout le monde s’accorde pour estimer qu’ils sont indispensables à la concrétisation du projet et plus largement à la réussite de la startup, par exemple pendant les deux années à venir (développement du produit ou service, réseau, administratif et financier, recherche de fonds, commercialisation, marketing, temps disponible, etc.).

Attribuez ensuite un coefficient à chacune de ces compétences ou domaines d’action (par exemple, le développement comptera pour 3, l’administratif et financier pour 1,5 : tout dépend du projet, sachant que chaque élément peut avoir un coefficient de 1 si vous estimez que tous sont aussi importants les uns que les autres). Multipliez chacune par 100 pour faciliter les calculs.

Vous pouvez alors construire un tableau dans lequel vous aurez chacune de ces compétences ou domaines d’action par ligne, et en colonne, le prénom de chaque associé. La dernière ligne est égale au total des facteurs clés identifiés (par exemple, le développement = coefficient 3 X 100 = 300 ; l’administratif et financier = coefficient 1,5 X 100 = 150 ; cela fait un total de 450).

Ligne par ligne, discutez de la contribution de chacun par rapport au total de points attribué à chaque aspect (par exemple, si le développement compte pour 300, un associé y contribuera pour 200, un autre pour 100, un troisième pour 0 ; si l’administratif et financier compte pour 150, le premier y contribuera pour 0, le deuxième pour 50, le troisième pour 100 ; etc.).

Vous obtiendrez au final un tableau dans lequel une dernière ligne fera le total du nombre de « points » accordé à chaque associé, au regard de ses apports réels à la réussite envisagée de la start-up pour chaque facteur-clé, le tout bien entendu discuté et débattu entre vous.

Rapportez ces totaux à un pourcentage par associé : votre capital est réparti.

Exemple de tableau de répartition de capital en start-up

Facteur-clé

Coef.

Points

Associé A

Associé B

Associé C

Développement

3 300

200

100

0

Marketing

2 200

50

50

100

Référencement

2 200

50

100

50

Administratif et financier

1,5 150

0

50

100

Total

850

300

250

250

Capital   100%

35,29%

29,41%

29,41%

Note: Vous remarquerez pertinemment que ce total n’est pas égal à 100, pour des questions d’arrondis : à vous d’ajuster en conséquence.

Il ne vous reste qu’à prévoir les différentes grandes options en cas de mésentente au cours de la vie de l’entreprise. Si le pacte d’actionnaires n’est pas un passage obligé, assurez-vous tout de même de prévoir dans les statuts de votre SAS et entre vous, de manière plus ou moins formelle, différents cas de figures tels qu’un désaccord sur la stratégie ou un départ prématuré rendu nécessaire par un élément de vie personnelle.

Tout ce qui aura été anticipé sera un problème dont la solution sera facilitée. En pratique, vous devez avant tout vous sentir libre d’en discuter à tout moment, puisque s’il est bien une leçon que vous apprendrez rapidement en entreprenant, c’est que vous ne pourrez jamais tout prévoir.

Suite à un commentaire d'un lecteur, vous pouvez utiliser un outil pertinent pour votre répartition Foundrs

Crédit Photo: Flickr - Alan