Pour garder le contact avec leurs clients et améliorer l’expérience, les entreprises françaises testent depuis plusieurs années des méthodes d’ouverture. Avant les incontournables Air Liquide, Orange ou La Poste, un acteur issu du secteur des vins et spiritueux s’est lancé dès 2012. Il s’agit de Pernod Ricard. Soutenu par son PDG Alexandre Ricard, le groupe a favorisé la création du BIG, une cellule d’Open Innovation. Rencontre avec le directeur de cette cellule, Alain Dufosse.


Il ne se passe pas une semaine sans qu’un grand groupe annonce une initiative d'open innovation. Une majorité d’entre eux se contentent de dupliquer l’approche du voisin. En général, il s’agit de créer un accélérateur ou incubateur de startup. Cela permet de se donner bonne conscience et de laisser entendre que l’on entretient une relation de confiance avec ces nouveaux arrivants que sont les startups.

Mature, cette approche permet d’identifier des jeunes pousses capables de bousculer la façon de travailler des collaborateurs de grands groupes. Cela offre aussi de belles opportunités commerciales, avec l’intégration de services innovants autour de son produit. Mais cet aboutissement n’est l’affaire que d’une minorité d’entreprises. La majorité se cantonnant pour le moment, à une démarche de communication.

Chez Pernod Ricard, on ne va pas chercher les startups pour innover, on préfère les créer de toutes pièces en convergeant des profils avec une forte culture de l’entreprise et des talents extérieurs.

Une nécessité devenue véritable opportunité pour Pernod Ricard

Après une décennie de croissance assez forte, Pernod Ricard comme la majorité des entreprises a subi à partir de 2008 la crise financière. Une crise qui a amené le géant de la boisson à se poser des questions sur les leviers de croissance des prochaines années.

« Nous avons débuté de nombreuses réflexions sur l’innovation et les talents. Plusieurs idées ont vu le jour, dont BIG, l’actuelle cellule d’artisans du groupe » raconte Alain Dufosse, directeur du BIG

De là sont nées deux idées. Tout d’abord le fond d’intra-entrepreneuriat dédié à des projets individuels de collaborateurs. Chaque saison entre 150 et 180 projets sont ainsi soumis par des salariés des différentes filiales. Au bout du compte, après des séances de pitchs, une dizaine de projets sont retenus et exploités.

Suite à la première saison, 3 startups ont vu concrètement le jour, ce qui permet à Pernod Ricard de commencer à constituer une pépinière de startups. Leurs créateurs, à la base salariés de Pernod Ricard, deviennent ainsi de véritables intrapreneurs.

L’innovation sans exécution est une hallucination

La seconde idée s’appelle Breakthrough Innovation Group (BIG) et est dirigée par Alain Dufosse, rentré chez Pernod Ricard en 1989. La cellule gérée par ce cadre imprégné depuis longtemps de la culture d’entreprise, est une structure indépendante qui rapporte directement au bureau exécutif de Pernod Ricard. Cette petite structure à vocation d'aller chercher de l’innovation de rupture, ce que le groupe peine à faire de façon globale à cause de sa taille et de ses processus.

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« Au lancement en janvier 2012, les thématiques n’étaient pas écrites et l’équipe de départ était composée de 3 personnes contre 7 personnes aujourd’hui » précise Alain Dufosse, directeur du BIG

Cette entité est construite sur une logique d’ouverture. Pas étonnant que les profils qui la composent soient à tour de rôle des communicants, anciens financiers, entrepreneurs ou encore sociologues. Les origines de ces profils sont tout aussi variées avec un tchèque, un sud-africain ou encore une franco-togolaise. Dans les couloirs, la langue qui domine est donc évidemment l’anglais. Indispensable quand on prétend être une structure ouverte sur le monde.

Ce studio ne fait pas qu’imaginer de nouvelles activités, elle les concrétise. Comme le dit si bien Alain Dufosse, une innovation sans exécution est une hallucination. C’est pourquoi une fois par an, BIG valide des projets avec la direction du groupe. Si ceux-ci séduisent, ils sont alors financés et développés. D’ailleurs le PDG Alexandre Ricard est pleinement impliqué, puisqu’il consacre une demi-journée par mois au BIG.

C’est le cas de Gutenberg qui révolutionne la notion du "bar à la maison". Ce dernier laisse ainsi sa place à une bibliothèque design, composée de "livres-contenants", renfermant chacun hermétiquement un spiritueux, le tout connecté à une plate-forme de services. Son potentiel est tel, que le projet va devenir une filiale du groupe Pernod Ricard et sera bientôt industrialisé.

« Nous sommes partis de la volonté d'offrir aux consommateurs une nouvelle expérience au domicile avec nos marques. Cela prend en compte des insights forts comme la croissance du nombre de célibataires, les nouveaux modes de vie, etc. » Alain Dufosse

Le Breakthrough Innovation Group ne prédit pas comme le ferait un Think-Tank, mais scénarise ce qui risque d’arriver demain. Cela consiste donc à partir de tendances de consommation et d’imaginer une application propre à son secteur d’activité. Récemment, la cellule d’innovation du groupe Pernod Ricard s’est tournée vers la réalité virtuelle, pourtant rattachée aux jeux vidéo. Cela n’aurait donc rien d’étonnant de voir débarquer un projet utilisant cette technologie pour le compte du géant des vins et spiritueux.

Le succès réside dans la capacité à ne pas s’éparpiller

Avec plusieurs années de recul et plusieurs succès à son actif, Alain Dufosse concède qu’un facteur est essentiel pour gagner le pari de l’Open Innovation. Il s’agit d’être « focus », donc de ne pas se disperser. Se focaliser sur l’essentiel est la clé du succès. En effet, confrontée à l’innovation une personne peut voir germer plusieurs idées à la seconde. Cela peut enrichir sa vision, mais ne doit surtout pas lui faire perdre de vue l’essentiel, à savoir l’objectif initial.

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« Il y a pleins d’autres projets que l’on aurait pu développer à côté et qui seraient plus immédiats. Mais sur la durée ce n’est pas viable. Il faut être concentré ! » Alain Dufosse

Le problème de la plupart des entreprises est effectivement de vouloir tout caser dans ce type de structure. Tout ce qui est incompris ou inexploité revient à ces entités d'Open Innovation. Cela va à contre-courant de ce qu’il faut faire et cela démontre un manque de compréhension des plus hautes instances. Une vision qui n’est pas claire amène à ce genre d’erreur, voilà pourquoi il faut sensibiliser les décideurs au plus haut sommet, avant de prétendre se lancer dans l’aventure.

En conclusion, BIG ne travaille pas avec les startups, mais leur ressemble énormément. Il dispose d’un actionnaire, Pernod Ricard, qui finance l’activité en espérant toucher le gros lot, comme tout investisseur. Alexandre Ricard suit en tant qu'investisseur le projet, tant qu’il avance dans la bonne direction. Si les choses s’orientent dans la mauvaise direction, il est en droit de tout arrêter. Un mode de fonctionnement proche de l’esprit des GAFA de la Silicon Valley.

Au final, BIG est tout simplement une startup à part entière avec peut-être plus de moyens que la majorité des jeunes pousses et plusieurs projets à développer.

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