Le capitalisme que nous connaissons, né à la fin du 19ème, s’est construit sur des outils industriels qui nécessitent d’énormes capitaux. L’impression 3D change radicalement la donne car elle permet de produire des objets sans les contraintes industrielles qui imposent des productions de masse et ne nécessite pas de grands investissements. Article proposé par Guillaume Riottot fondateur de l'agence Transdigital.fr


Dans les prochaines années, les imprimantes 3D permettront de fabriquer des pièces dans de multiples matériaux pour un prix d’investissement dérisoire. A titre d’exemple, la technologie d’impression 3D par fusion de matière, technologie la plus connue du grand public, a vu son prix divisé par 10 en à peine 5 ans.

Certes elle ne permet pas de produire aussi vite ni avec la même productivité. Mais cela sera t-il vraiment nécessaire dans une société où les modes de production et de consommation auront été bouleversés ?

L’impression 3D pourrait transformer radicalement nos modes de production et de consommation

Avec la généralisation de l’impression 3D, les nouvelles unités de production pourront être de petites structures, voire des particuliers, qui se lanceront dans la fabrication de produits à la demande. D’ores et déjà apparaissent des services comme additively.com qui référence les différentes unités de production en fonction de leur compétences, des matériaux dont ils disposent etc.. laissant présager des possibles transformations de la supply chain et de la manière dont nous produirons demain.

Parce qu’elle ne nécessite pas de capitaux importants, l’impression 3D permet de développer des capacités de fabrication sur une base sociale beaucoup plus large qu’aujourd’hui. En ce sens l’impression 3D apparaît comme le « fossoyeur » du capitalisme tel que nous le connaissons actuellement et le moteur d’un capitalisme « réparti ». En effet pour une partie croissante de la population, notamment celle qui s’intègre dans le courant du FabLife ou le « Maker Movement », l’impression 3D est un fantastique outil de réappropriation de la fabrication permettant  :

  • de choisir, maitriser et produire en fonction de ses besoins et usages spécifiques,
  • d’endiguer l’obsolescence programmée,
  • de se différencier par rapport à la consommation de masse par la personnalisation,
  • de recréer de l’emploi local

Cela pourrait à plus ou moins long terme fragiliser certaines bases de l’économie actuelle basée sur la consommation. En effet en imprimant en 3D je me libère des contraintes monétaires en ne dépendant plus totalement d’un fournisseur ou d’une marque. Par ailleurs le rapport à l’objet change et se base non plus sur la valeur d’échange mais sur l’usage.

Cette modification de la relation de l’humain à l’objet est étroitement lié au développement des FabLabs dans le monde et à l’engouement pour le mouvement Maker et le concept du FabLife.

Indissociables de l’impression 3D : les FabLabs, le mouvement « Maker » et le FabLife

Créés à la fin des années 90 par Neil Gershenfeld du MIT, les FabLabs reposent sur le principe de l’open-source et de la collaboration. Cette expérimentation avait à l’origine pour objectif de mettre à la disposition du commun des mortels des outils de fabrication onéreux, et de voir l’usage qu’ils en feraient.

Face au succès rencontré, une charte des FabLabs, hébergée par la FabFoundation, est créée pour développer ce concept partout dans le monde. Aujourd’hui plus de 400 FabLabs répondant à cette charte existent de par le monde.

Dans la lignée de ce concept une multitude de lieux « FabLabs-alike » se sont développés, soit sous une forme associative, soit « avec un objectif commercial. Ils ne respectent pas la totalité de la charte mais en suivent les principes fondamentaux : collaboration, partage de connaissances, de compétences et bien sûr de matériels.

Qu’est ce qu’un « maker » ?

« People who hack hardware, business-models, and living arrangements to discover ways of staying alive and happy even when the economy is falling down the toilet » (Chris Anderson). (Des individus qui hackent le matériel, les business-models et les modes de vie pour découvrir les façons de rester vivant et heureux quand on tire la chasse sur l’économie).

“Ils inventent le monde de demain tout en recyclant celui d’hier.” (Soonsoon Special FabLife)

Les « Makers » sont nés d’une réaction à une société toujours plus complexe, où l’activité économique mondialisée échappe complètement à l’individu. Ils sont à la recherche d’un accomplissement et aspirent à répondre à des problématiques auxquelles le modèle industriel classique ne répond que par des produits standards, produits en masse (sinon ils ne sont pas produits), distribués dans les magasins et promus.

Les « Makers » fusionnent le DIY (bricolage), le hacking, le numérique, le web, l’impression 3D et les outils numériques, tout en ayant en tête l’impact environnemental. Ils revisitent les techniques anciennes, les adaptent ou les réinventent pour un nouvel usage. Ils « hackent » les nouvelles technologies ou produits pour en améliorer la performance, pour les adapter à leurs besoins ou pour les personnaliser.

Le 3ème concept clé est celui de FabLife. Ce concept regroupe à lui seul les concepts de FabLabs et de « Makers » et nait de plusieurs constats. Aujourd’hui le système économique ne permet plus d’exercer un seul travail tout au long de sa vie professionnelle ; les repères traditionnels volent en éclat ; l’usage prédomine, rendant la propriété moins cruciale et moins désirable ; la société de consommation et les produits de masse ne séduisent plus ; on se sent bien souvent encombré d’un trop plein d’objets inutiles. L’individu n’a plus qu’une solution : bricoler !

Attention, il s’agit d’un « bricolage » au sens de Lévi-Strauss, pas de n’importe quel bricolage. Lévi-Strauss le définit comme l’action de « s’arranger avec les "moyens du bord", c’est-à-dire un ensemble à chaque instant fini d’outils et de matériaux, hétéroclites au surplus, parce que la composition de l’ensemble n’est pas en rapport avec le projet du moment, ni d’ailleurs avec aucun projet particulier, mais est le résultat contingent de toutes les occasions qui se sont présentées » (La Pensée Sauvage, Plon, 1962)

C’est le « bricolage » des astronautes d’Apollo 13, obligés pour survivre de bricoler dans l’espace leur système de recyclage d’oxygène.

jim lovell

“The contraption wasn’t very handsome, but it worked” Jim Lovell ("Le bidule n’était pas très beau, mais il a fonctionné")

Le terme bricoler prend ici une tout autre dimension. Au XXème siècle on achetait, on remplaçait, on consommait. Le XXI ème siècle pourrait bien voir la consécration du bricoleur ou « Maker » - pour toutes les raisons évoquées plus haut, et parce que notre planète ne pourra pas nous soutenir sans que nous devenions collectivement des bricoleurs !

Encore confidentielle dans son usage, l’impression 3D se développe rapidement et porte les germes d’une véritable révolution de notre économie et de notre société. Cette révolution arrivera d’autant plus vite que de nombreux signaux (économiques, marketing, politiques, sociaux…) concourent à indiquer que de plus en plus de gens aspirent à ne plus être de simples acheteurs passifs mais à reprendre la main sur leur consommation. Peut-être serons-nous bientôt prêts pour une autre forme de capitalisme, prêts à passer d’une civilisation de consommation à une civilisation de l’usage, prêt à devenir des « consomhackers ».

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