Début février, la SNCF a partagé dans une conférence de presse sa stratégie digitale pour les mois et les années à venir. Parmi les mesures annoncées, certaines s'avèrent particulièrement ambitieuses, comme l'arrivée de la connexion internet à bord des trains ou la création d'un fonds de 30 millions d'euros qui seront investis dans des startups. En tout, 450 millions d'euros seront mobilisés pour accélérer le processus de digitalisation de la compagnie ferroviaire historique. Parmi les différents projets en cours, focus sur iDVROOM, le site de covoiturage dédié aux trajets quotidiens, et sa stratégie sous-jacente.


Blablacar, concurrent frontal de la SNCF

Aujourd'hui, vous pouvez vous offrir un aller et retour Marseille / Toulouse sur BlaBlaCar pour une cinquantaine d'euros, dans des conditions de confort qui n'ont rien à envier aux trains Intercités, et qui plus est avec des tarifs qui restent stables jusqu'à la dernière minute. Si certains apprécient le site de covoiturage pour ses prix imbattables, d'autres l'ont adopté pour son caractère pratique et sa convivialité : il est parfois plus agréable de voyager en rencontrant de nouvelles personnes que dans un train où les passagers ne communiquent pas forcément entre eux.

Selon une étude du cabinet OC&C, un euro encaissé par Blablacar équivaudrait à 30 euros de CA pour la SNCF : la startup ne touche qu'un faible pourcentage sur la transaction réalisée directement entre le chauffeur et son passager. Or, le chiffre d'affaires de Blablacar pour l'année 2014 a dépassé les 10 millions d'euros, ce qui peut être considéré comme un manque à gagner de 300 millions d'euros pour la SNCF.

Ce calcul emprunte de nombreux raccourcis et semble faux : le covoiturage se substitue aussi à la voiture individuelle et cette offre nouvelle invite d'autres clientèles, non-intéressées par le train, à se déplacer et voyager. Il n'en demeure pas moins que Blablacar est devenu un concurrent frontal pour la SNCF sur de nombreuses lignes, séduisant une clientèle de plus en plus large et d'âge varié.

Une stratégie de différenciation à l'oeuvre

L'aventure iDVROOM a été initiée en amont par l'acquisition en 2013 de l'outsider 123envoiture.com. Sans atteindre la taille critique et les avantages concurrentiels de BlaBlaCar, la startup pouvait apporter au géant qu'est la SNCF une agilité, une véritable expertise et une technologie fonctionnelle sur les mises en relation autour du covoiturage. Mais ce n'était qu'une première étape.

De fait a été annoncé officiellement à la fin de l'été 2014, le lancement d'IDVROOM, le site de covoiturage de la SNCF. Ne souhaitant pas affronter BlaBlaCar sur son cœur de cible, les trajets longue distance entre métropoles régionales, la SNCF se positionne sur le covoiturage au quotidien. Des trajets courts, qui s'inscrivent dans ce que les sociologues appellent, les migrations pendulaires domicile et travail. L'objectif est double :

  • Ne pas affronter l'insider du moment sur le terrain où il est le plus fort, dont la communauté a atteint une taille critique : un grand nombre d'utilisateurs permet de multiplier l'offre de trajets, encourageant la demande à utiliser le site et entretenant ainsi un cercle vertueux difficile à casser
  • Ne pas concurrencer directement la SNCF sur les grandes lignes ferroviaires : un trajet en covoiturage génère, ne l'oublions pas, trente fois moins de chiffre d'affaires qu'un trajet en train !

iDVROOM apporte une complémentarité réelle avec les trains régionaux et propose une alternative à la voiture individuelle dans les zones péri-urbaines mal desservies par le ferroviaire. iDVROOM possède un atout certain vis à vis de son concurrent, en bénéficiant des infrastructures de la SNCF : bornes interactives, places de stationnement dédiées aux utilisateurs du site devant les gares, etc...

Le nom, lui aussi, n'est pas choisi au hasard. Il s'inscrit dans la volonté d'offrir aux nouvelles générations (et aux autres) toute une gamme de prestations alternatives aux trains traditionnels : iDTGV a popularisé l'idée d'un train à grande vitesse à bas prix en empruntant aux stratégies des compagnies aériennes low-cost, iDBUS a montré que la SNCF pouvait aussi s'imposer comme un voyagiste performant hors rail. Il semblait normal d'ajouter à cet arc de services 'iD" une nouvelle corde, celle du covoiturage. Le nom iDVROOM s'ancre dans le mouvement et le dynamisme. Au quart de tour la voiture démarre, le trajet commence !

envoituresimone

Parmi les sites de covoiturage qui n'ont pas convaincu devant BlaBlaCar, qui se rappelle d'EnvoitureSimone.com ?

Un modèle économique viable ?

Les exemples ne manquent pas dans le digital, où le premier acteur à atteindre la taille critique en nombre d'utilisateurs se met durablement à l'abri de la concurrence. LeBonCoin.fr s'est imposé comme un leader incontestable dans le domaine des petites annonces, même si des outsiders comme Mondebarras.fr tentent d'égratigner ses parts de marché. Nous avons aussi tous en mémoire l'exemple de Facebook, dont l'impressionnante communauté, plus sûrement que la capacité à innover, l'a mis à l'abri de la puissance de frappe déployée par Google avec son réseau Google Plus.

La capacité d'iDVROOM à trouver sa place reposera sur sa différenciation vis à vis du leader en place. Trouver son propre positionnement, mais aussi renforcer significativement les synergies avec la SNCF constitueront les clefs de son succès.

Par exemple, pourquoi ne pas ajouter une fonctionnalité de proposition ou de recherche de trajet par numéro de train ? Une connexion avec les systèmes informatiques de la SNCF faciliterait le déploiement d'un tel service, et il répondrait aux attentes des voyageurs qui utilisent les gares TGV éloignées des centres-villes, ou arrivent trop tard ou trop tôt pour bénéficier de toute l'infrastructure des transports en commun.

Les utilisateurs du site pourraient aussi bénéficier, du moins dans une phase de lancement, de points de fidélité à utiliser sur les lignes ferroviaires. De quoi inciter à reconduire d'autres passagers de son train le soir, rembourser grâce aux sommes récoltées ses frais de parking et engranger des points pour profiter de futurs trajets moins chers.

Quelles sont les orientations digitales de la SNCF ?

Si le sujet vous intéresse, il est possible de visionner la conférence de presse #DIGITALSNCF en ligne. En une petite quarantaine de minutes, sa politique de développement vis à vis des nouvelles technologies vous sera dévoilée. La SCNF saura-t-elle réussir sa mue digitale et faire face à des startups de plus en plus agiles et ambitieuses, venues grignoter ses plates-bandes ?

Et vous, êtes-vous plutôt métro boulot dodo, ou covoiturage boulot dodo ?