18 avril 2018
18 avril 2018
Temps de lecture : 7 minutes
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Y a-t-il un incubateur pour sauver la presse ?

Depuis la création en 2016 d'un fonds de soutien destiné à l'émergence de nouveaux médias par le gouvernement, les incubateurs de projets éditoriaux innovants se sont multipliés. S'ils sont bien la preuve que le journalisme n'est pas mort, ils sont aussi pour les rédactions un moyen de repérer les futures tendances.
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Le 26 août 2016, le Fonds de soutien à l'émergence et à l’innovation dans la presse lance un appel à projets pour la création de programmes d’incubation dédiés aux médias émergents, doté de 300 000 euros. Une nouvelle qui ne tombe pas dans l'oreille d'un sourd : les incubateurs de médias poussent alors comme des champignons, et un an plus tard, le ministère de la Culture soutient dix projets d’incubations dont quatre au sein d’entreprises, pour un budget de près de 2 millions d’euros.

"Ce nouveau fonds a été mis en place avec trois objectifs : la création d’une bourse d’émergence, pour favoriser l’apparition de nouveaux titres de presse en ligne, la création d’un programme d’incubateur ainsi que la création d’appels à projets. Nous cherchons à préserver le pluralisme et faire en sorte qu’il n’y ait pas de titres qui disparaissent. Les bourses d’émergences peuvent atteindre jusqu’à 50 000 euros et nous permettent de soutenir des acteurs qui apportent de la diversité, comme par exemple Les Jours ou Médiacités", détaillait Fabrice Casadebaig, sous-directeur de la presse écrite et des métiers de l'information du Ministère de la Culture et de la Communication, aux Assises du journalisme de Tours 2018.

Le Tank Media, Mediastart de Paris&Co, The Media House par l'ESSEC et Streetpress, le Medialab 93, le NMCube à Nantes, Creatis Médias... L'enveloppe du ministère de la Culture a permis à plusieurs incubateurs de médias de se lancer. Mais pour le moment, impossible d'en dresser un bilan même provisoire : la plupart des programmes viennent à peine de commencer. Clara Griot a intégré Paris&Co via le programme Mediastart à la mi-mars et explique son choix.

"On avait déjà bien avancé sur notre projet, et on était sûres de tout ce qui était éditorial, mais on se posait pas mal de questions très pratiques, comme la facturation à nos clients. On s'est dit que le mieux c’était de se faire accompagner. Et puis, ça nous permettait aussi de régler la question des locaux : on en avait marre de travailler chez Starbucks, mais on ne pouvait pas non plus se permettre les espaces de coworking et les bureaux, qui sont hors de prix à Paris".

Après avoir défendu leur projet devant un jury, Clara Griot et Estelle Walton, l'autre cofondatrice, ont été sélectionnées pour intégrer le Cargo pour 6 mois. Pour 400 euros par mois, elles ont un accès libre à deux postes de travail et bénéficient des conseils dispensés par des professionnels du secteur (Mediastart a noué des partenariats avec la BNF, le Celsa, l'AFP et l'INA) chaque lundi.

Pour Romain Saillet, qui participe à l'aventure Media Maker et The Media House en collaboration avec l'ESSEC, le lancement du fonds par le gouvernement a créé un vrai appel d'air, mais la question reste de savoir comment tous ces acteurs vont se positionner. "L’accompagnement se fait de la ligne éditoriale jusqu’au développement technique en passant par le modèle économique. Les lauréats sont d’abord soutenus et coachés pendant 4 mois pour accoucher de leur média, concrètement. Puis ceux qui ont trouvé leur chemin pourront pousuivre avec la Chaire média de l’Essec, pour mettre sur pied le modèle économique qui va soutenir leurs convictions, leurs idées, leurs trouvailles, leur valeur." Et comme les incubés sont souvent en poste ou en transition, Media Maker teste des formats d'accompagnement alternatifs, comme le suivi à distance par mail ou Skype.

Mathieu Maire du Poset, fondateur du Tank Media, a lui choisi un autre modèle. Journaliste de formation, il finit par quitter Marianne pour se former à la gestion de projets chez Ulule. Il se retrouve à encadrer des dizaines de projets de création de médias, et en tire un constat :

Il y avait à l'époque très peu de structures dédiées aux médias, alors que le besoin était clairement là.

De quoi lui donner l'envie de combler ce manque, ce qu'il fera en s'associant avec le Tank. Mais pas question pour lui de monter un simple incubateur : "J’en ai traversé des dizaines au fil de mon parcours, et selon moi on est souvent plus dans l’hébergement que dans l’accompagnement réel. Tu viens, ils prennent une part de capital (ou pas), tu as accès à des bureaux pour des tarifs plus ou moins intéressants, tu as du temps mais ce n'est pas assez dense, ce n’est pas un programme à proprement parler : ils n'avancent pas vraiment, ils ne sont pas quotidiennement suivis et challengés…"

Mathieu Maire du Poset a donc pensé le Tank Media comme une structure qui serait au carrefour des problématiques médiatiques, dont la mission première serait de fédérer la communauté. Dans cette logique, la formation et l'accompagnement sont particulièrement denses, avec une quarantaine de modules de formation ramassés sur 12 semaines à plein temps.

"Certes il y a de nombreux lieux qui se créent mais tous n’ont pas la même vision. En revanche, on est complémentaires, c'est notamment le cas avec Media Maker. Dans un monde où tout est à construire, c’est normal et vu le nombre de candidatures que l'on reçoit à chaque édition, il y a de la place pour tout le monde."

Et il n'y a pas de la place que pour les nouveaux médias : le Tank Media a en effet été approché par un certain nombre de grands groupes, qui sont à la recherche de partenariats ou qui ont exprimé l'envie d’être accompagnés eux-mêmes. "C’est une dynamique qui n’est pas propre aux médias, l’innovation dans les grands groupes, l’intrapreneuriat, la réflexion en mode projets", conclut l'ancien journaliste.

Avant les incubateurs de médias, les médias incubateurs

Car si les incubateurs de médias émergent depuis quelques mois et commencent à se tirer la bourre, les médias n'ont pas attendu de coup de pouce du gouvernement pour créer leurs propres programmes d'accompagnement. Inspirés par la BBC, qui ouvrait la voie à l'été 2012 avec le BBC Worldwide Labs, les groupes de presse et d'audiovisuel français se sont vite lancés : L'Express Ventures pour Express Roularta en septembre 2012, puis The Mediapreneur de Media Corps en juin 2013, et Canalstart chez Canal+ quelques mois plus tard - avant d'être rejoints par l'Up by M6 en mai 2016, suivi de l'accélérateur de France Télévisions en novembre dernier. Avec un même objectif : être aux premières loges des innovations, voire les anticiper, devancer les attentes du public et être en mesure d’y répondre, en temps et en heure.

Une démarche d'innovation qui a fait son chemin, des États-Unis avec le TimeSpace du New-York Times, jusqu'à la presse quotidienne régionale française. Après le lancement d'OFF7 par Ouest France en grandes pompes au début de l'année dernière, c'est tout récemment le Groupe Centre France – La Montagne qui a annoncé son projet de lancer son propre incubateur, en marge de son "lab" d'innovations : "Il y a une logique de transformation dans le groupe. Depuis quatre ans, nous avons créé un Lab qui est la porte d’entrée pour innover et transformer le groupe. On essaie d’accompagner les projets pour les accélérer, expliquait Paul-Alexis Bernard, manager digital éditorial du groupe et membre du Lab Centre France.

On veut que ce soit ouvert à l’extérieur. C’est ce Lab qui portera notre projet d’incubateur. On va aider la création de médias mais on est aussi intéressés par les solutions pour les médias, comme un moyen de faire de la pub, de livrer du contenu, ou de faire des vidéos.