En 1950, près de 70% de la population mondiale vivait encore dans une zone rurale. D’ici 2050, soit cent ans plus tard, ce chiffre devrait avoir chuté de presque 40 points. Un phénomène qui s’explique par la richesse des villes modernes, qui ont beaucoup à proposer tant en matière d’emploi, que de transports ou de services mais bien souvent peu à offrir en termes de qualité de vie : 90% des populations urbaines respirent un air pollué. L’éclairage artificiel, le bruit, le manque d’espaces verts sont d’importantes sources de stress, d’anxiété, ou encore de dépression.

La vague accélérée d’urbanisation ultra complexe met, aujourd’hui, les villes du monde entier dos au mur. « Au fur et à mesure que nous construisons de plus grandes villes, nous ne savons pas combien et à quel point nous compromettons notre lien avec la nature, la source même de notre existence », s’insurge Peter Kahn, professeur au département de psychologie de l'Université de Washington, qui a notamment mis en lumière la tension émotionnelle et mentale que les villes peuvent avoir sur les citadins. Les maladies mentales et les troubles de l'humeur y sont notamment plus fréquents et, bien que de nombreux facteurs entrent en compte dans ce constat, l'accès réduit à la nature n’y est pas étranger.

La nature, un essentiel médical et sociétal ?

Même réduit, tout espace vert en ville suffirait à exercer des bienfaits considérables sur les habitants, au point même d’améliorer la mémoire, la concentration, l’humeur, l’immunité, ou encore le taux de récupération de chacun. Nooshin Razani, spécialiste des maladies infectieuses pédiatriques à Oakland et grande partisane de la réintroduction de la nature dans notre quotidien, incite au contact avec la nature : “ En passant moins de cinq minutes à proximité d’espaces verts, notre fréquence cardiaque diminue et, en moins de 10 minutes, notre cerveau rétablit notre attention", explique-t-elle, avant de préciser “ceci est de plus en plus important en raison de nos habitudes de vie, qui offrent des distractions constantes, dont une grande partie n'existait pas il y a une dizaine d'années. Nous avons donc développé peu de mécanismes d'adaptation pour traiter le stress et l'adrénaline.

La végétalisation, en particulier lorsqu’elle investit les rues ou prend la forme d’un jardin partagé, est également un puissant créateur de lien social. La nature en ville joue donc un rôle crucial, que ce soit pour les citoyens mais aussi pour l’environnement, évidemment. Parmi les bénéficies : l’amélioration de la qualité de l’air, la régulation des températures et la réduction des îlots de chaleur. La végétalisation de la ville permettrait ainsi de limiter la température de 7 degrés lors d'un pic de chaleur.

Tant est si bien qu’aujourd’hui, un Français sur deux estime que la ville du futur, tel qu’il l’entend, sera “végétale” et “écologique”, deux notions qui semblent ne plus aller l’une sans l’autre. Une vision qui entraîne de grandes attentes vis-à-vis de leurs municipalités : 60% des Français considèrent la création d’espaces verts comme la priorité numéro un des villes, devant la crèche, les équipements culturels, et les espaces sportifs.

Changer le visage des villes, une urgence pour les pays du monde entier

Aujourd’hui ce sont de nombreuses villes qui tentent de créer des espaces habitables, dynamiques et durables, en réfléchissant à de nouvelles façons de créer des espaces ouverts publics dans les lieux urbains. En tête, Singapour, la “ville-jardin” exemplaire, qui déploie depuis plusieurs années de nombreux efforts visant à intégrer des toits verts et des murs végétaux à ses bâtiments pour compenser le manque d’espaces verts mais également lutter contre la pollution. En Europe, Amsterdam pourrait bien être le prototype grandeur nature de la ville de demain avec ses hordes de vélos et ses habitations, véritables figure de proue de l’écologie qui ont recours à des matériaux non polluants, qui utilisent les eaux de pluie et des eaux usées, la géothermie, ou encore des panneaux solaires…

Vancouver, Sidney, Sacramento, Francfort, ou encore Genève… suivent la tendance : toutes ont su tirer parti des innovations technologiques afin de développer des solutions “vertes” et durables ( écoquartiers, forêts verticales, agriculture urbaine, réintroduction d’espèces animales en milieu urbain etc.).

Même la Chine, constamment pointée du doigt pour ses impressionnants pics de pollution, a fait appel à l’architecte italien Stefano Boeri (à l’origine de deux immeubles-forêts de 76 et 110 mètres de haut à Milan), afin de construire une ville-forêt à Liuzhou, dans le sud-ouest de la Chine. Le projet prévoit ainsi d’accueillir 30 000 personnes d’ici 2020, dans un ilôt de verdure dont les habitations, les commerces, ou encore les écoles seront entièrement recouverts et entourés de plus d'une centaine d'espèces différentes d'arbres et de plantes. Son objectif : absorber 10 000 tonnes de CO2, ou encore produire 900 tonnes d’oxygène, chaque année.  

La France, bonne ou mauvaise élève ?

Si certains pays semblent avoir pris une longueur d’avance dans la course à la végétalisation des espaces urbains, la France n’est pas en reste et les initiatives de certaines villes comme Nantes, Angers ou Strasbourg sont à saluer. Ces deux dernières comptent respectivement 100 et 116 m² d’espaces verts par habitant, contre 48 m² pour la moyenne nationale. À Bordeaux, la municipalité met en avant sa « Boucle Verte », un parcours de 160 kilomètres réparti en quatre “super-promenades” permettant à ses habitants et touristes de découvrir les espaces naturels majeurs de la métropole bordelaise.

À Paris aussi, les projets de végétalisation se multiplient, alors même qu’avec 5,8 m² d’espaces verts par habitant, la ville est l’une des plus mauvaises élèves de France, et d’Europe. Pourtant, depuis 2014, les projets plébiscités au budget participatif mis en place à Paris montrent une attente extrêmement forte des Parisiens en matière de végétalisation. L’engouement grandissant pour les jardins partagés (plus d’une dizaine créés chaque année par la Mairie de Paris) et les nombreuses initiatives comme le permis de végétaliser qui offre des plantations partout dans la ville, témoignent d’une évolution majeure dans la manière dont les Parisiens perçoivent leur espace public.

“L’attente forte des Parisiens pour renforcer ce patrimoine végétal nous pousse à nous placer à la pointe du développement de la végétation partout où cela est possible, sur les toitures, sur les façades ou dans les rues. Paris se distingue également par le dynamisme de son agriculture urbaine dont les surfaces exploitées, souvent atypiques en comparaison des jardins publics classiques, augmentent très rapidement”, explique Pénélope Komitès, Adjointe à la Maire de Paris, chargée des Espaces Verts, de la Nature, de la Biodiversité et des Affaires funéraires.

Des ruches sur les toits de l’opéra Garnier, des murs végétalisés, une centaine de jardins partagés, plus d’un millier de permis de végétaliser distribués pour permettre à toutes les personnes qui souhaitent se lancer dans le jardinage sur l’espace public…. Paris a fixé des objectifs chiffrés ambitieux pour la mandature. Sur la période de 2014 à 2020, celle-ci compte ainsi créer 30 hectares de nouveaux espaces verts et planter 20 000 arbres supplémentaires. En outre, d’ici 2020, Paris comptera 100 hectares de toitures végétalisées dont un tiers consacré à l’agriculture urbaine.

Des enjeux à ne pas minimiser… et à faire perdurer dans le temps

Mais il ne suffit pas d’introduire la nature dans les zones urbaines, encore faut-il éduquer les populations à interagir avec ces éléments : la ville verte du futur est aussi entre les mains de chacun. “La végétalisation, c’est quelque chose qui doit être intégré par chacun, les urbains doivent se responsabiliser”, explique ainsi Hugo Meunier, cofondateur de Merci Raymond. Mais la pédagogie suffira-t-elle à donner l’impulsion à un véritable changement ?