Il paraît que les humains atteignent l'âge de raison à 7 ans, il semblerait que ce soit pareil pour les écosystèmes Tech. La huitième édition de l'événement Bastia Ville Digitale, désormais incontournable en Corse, était indéniablement celle de la maturité. Mêlant conférences inspirantes et retours d'expérience pragmatiques, il a su cristalliser l'engouement de l'écosystème corse... mais aussi des curieux, petits et grands, qui s'intéressent à la technologie et à l'entrepreneuriat.

Un rôle de centralisateur que l'événement a pris à bras le corps dès sa création, il y a huit ans, en faisant le pari de rassembler entrepreneurs, acteurs publics et scolaires. Et qui a largement contribué à l'essor de la Corsican Tech, rassemblement né en 2015 sous l'impulsion de Jean Leccia, directeur de l'association Emaho qui organise également Bastia Ville Digitale. "L'événement a été un élément déclencheur dans la structuration de l'écosystème corse", explique-t-il.

En effet, comme nous le racontions l'an dernier, la Corsican Tech n'a jamais été labellisée French Tech. Et pour cause : la région souhaite obtenir un label commun et non distinguer seulement ses villes, ce qui l'exclut de fait des métropoles French Tech ; et l'écosystème refusait catégoriquement de soutenir certains secteurs en particulier dans le cadre d'une labellisation thématique. Les nouvelles "communautés", annoncées par Mounir Mahjoubi dans le cadre d'une version renouvelée de la French Tech, pourraient bien changer la donne.

"Nous sommes prêts à être labellisés dans un cadre régional"

Jean Leccia, directeur d'Emaho

Une synchronisation entre les défis économiques et l'agenda politique

L'écosystème profiterait ainsi d'un appel d'air politique. L'arrivée l'année dernière au pouvoir d'Emmanuel Macron, fervent défenseur de la startup nation, a favorisé l'émergence d'élus pro-numériques et les relations entre le gouvernement français et les autorités corses sont aujourd'hui au beau fixe en matière de stratégie économique, comme en témoigne le déplacement de Bruno Le Maire en Corse ces jours-ci. "Mon objectif pour la Corse et pour les Corses, à l’échéance de 10 ans, c’est que la Corse soit, en Europe, le modèle d’une réussite économique insulaire. Nous devons montrer en Corse, pour tous les pays européens, que l’insularité peut rimer avec succès économiques", a martelé le ministre ce lundi devant les élus corses.

Un discours relayé au niveau local par Julien Morganti, vice-président de la communauté d'agglomération de Bastia, en charge de la stratégie numérique. "Soyons leaders chez nous ! Nous avons la taille et le tissu économique pour être un bon laboratoire d'idées." L'élu corse estime que la puissance publique doit "être mise au service des startups pour créer un climat favorable à l'entrepreneuriat et l'innovation". Et milite pour que "public et privé partagent les risques et les coûts, parce qu'à la clé, il y a des emplois".

De nombreux défis à relever

Pour les acteurs Tech comme pour les politiques, la réussite des entreprises locales cristallise des enjeux plus grands que la seule réputation des jeunes pousses de l'île. "Nous sommes une région très pauvre, avec 20% de la population qui vivent sous le seuil de pauvreté, mais aussi très vieillissante, rappelle Julien Morganti. Le numérique peut constituer une réponse." En devenant une terre d'innovation mais surtout de création de success stories (Oscaro, Qwant ou plus récemment Volpy), la Corse assure ainsi l'avenir de ses jeunes, trop souvent obligés de se déraciner pour trouver l'emploi de leurs rêves ou créer leur entreprise dans les meilleures conditions.

Et si la région bénéficie d'indéniables atouts pour attirer les talents, elle doit aussi composer avec plusieurs contraintes notables. À commencer par des infrastructures lacunaires, dont le déploiement est rendu difficile par l'insularité et le relief du territoire. Ainsi, la Fibre ne couvrira l'intégralité du bassin bastiais qu'en 2020. Mais l'enjeu est de taille, puisque la Fibre est un outil puissant pour attirer des entrepreneurs et des travailleurs en remote jusque dans les villages corses et ainsi dynamiser l'ensemble du territoire.

Julien Morganti souligne aussi la difficulté pour les pouvoirs publics de calibrer ces infrastructures alors que la population de l'île est soumise à de fortes variations : d'environ 350 000 habitants en temps normal, la population chute à 120 000 personnes en hiver, lorsque les Corses quittent l'île pour profiter des sports d'hiver, et grimpe jusqu'à 600 000 personnes en été avec l'afflux de touristes.

Créer un nouveau modèle de développement

Mais ce serait mal connaître les Corses que de penser qu'ils se laisseraient décourager par de tels défis. Bien au contraire. Prenant exemple sur les écosystèmes toulousain et basque avec lesquels elle entretient des liens, la Corsican Tech espère elle aussi s'imposer dans le paysage français. Mais pas question de dupliquer purement et simplement ce qui s'est fait ailleurs. "Nous devons inventer notre propre modèle", prévient Julien Morganti.

Un projet sur lequel Jean Leccia travaille déjà, espérant bien faire fructifier ces années durant lesquelles d'autres écosystèmes ont pris la lumière pendant que la Corse restait à la remorque de la startup nation. "C'est l'avantage d'être en retard : nous avons eu le temps de regarder ce qui s'est fait ailleurs", sourit le directeur d'Emaho. Qui ne manque pas de rappeler que la Corse bénéficie d'atouts solides pour qu'un écosystème Tech y fleurisse : "nous avons un cadre de vie qui donne l'envie aux Corses de rester ici, d'autant que l'écosystème se répartit entre Bastia, très dynamique, Ajaccio, la capitale administrative et Corte, où l'université aide les projets à émerger". Autant de points forts que l'île de beauté ne manquera pas de faire valoir auprès de la French Tech et de tous les entrepreneurs prêts à contribuer à son rayonnement économique.