La culture de l’échec n’est pas française. C’est en tout cas ce qu’on lit partout, et souvent, quand il est question d’innovation au pays de la French Tech. Mais il parait aussi qu’il n’y a pas de mot français pour entrepreneur, alors que voulez-vous. Il serait peut-être temps de réévaluer notre rapport à l’échec, et d’envoyer valser les clichés, non ? 

Et il suffit de voir le nombre de testimoniaux qui fleurissent sur Medium ou Linkedin de startuppeurs qui se sont plantés et qui tentent de faire l’analyse critique de leur échec pour être assuré que les choses bougent et avancent dans le bon sens. Celui de la communication et du partage, pour faire en sorte que les autres n’essuient pas les mêmes plâtres. Mais surtout parce que l’échec n’est ni l’aveu d’une faiblesse entrepreneuriale, ni une marque infamante gravée au fer rouge dans la peau de celui ou celle qui l’a essuyé.

Sans vouloir verser dans le côté parfois trop optimiste des Américains, il est toutefois intéressant d’aller voir ce qui se cache derrière leur culture du fail fast et du relève-toi vite et d’en tirer quelques enseignements. “C’est une culture du risque et de la prise d’initiatives, estime Perrine Daumont, business development manager chez Google. Sur un marché concurrentiel, c’est aussi un instinct de survie, un état d’esprit nécessaire.

Organiser la prise de risques

Mais comment mettre en place une culture du risque qui soit juste et équilibrée ? Pour que l’amour du risque ne mène pas à faire tout et n’importe quoi ? Chez Google, il y a cette fameuse méthode OKR, que les startuppeurs appliquent de plus en plus et dont certains se sont même fait les chantres organisant ateliers et autres sessions de monitorat sur le sujet. 

O pour objectives et KR pour Key Results. Les objectifs se doivent d’être ambitieux et les résultats d’être suivis et monitorés. Tout ça dans la plus grande transparence pour que chaque équipe puisse suivre le travail des autres et que l’entreprise entière soit bien A-LI-GNEE. Et ce n’est pas un chaman gourou de la Silicon Valley qui le dit, c’est l’un des premiers investisseurs de Google, John Doerr, qui l’a observée chez Intel et qui s’est dit que c’était une chouette méthode (nous ne sommes pas sûrs qu’il ait utilisé ce qualificatif toutefois). Mais concrètement, comment ça fonctionne ? 

Chaque collaborateur et collaboratrice décide de sa feuille de route et de ses objectifs, en accord avec les grands axes stratégiques de la société et ses missions. Trimestriellement, chacun passe en revue ses résultats et ajuste sa trajectoire en fonction. “On se dit que l’on est contents si on a atteint 70% de nos objectifs”, explique Perrine Daumont. En deça, c’est que trop de risques ont été pris et que la personne est allée trop loin. Au-dessus, c’est que la personne n’a pas été assez ambitieuse. Pas d’histoire de lune, ni d'atterrissage dans les étoiles ici. Si vous êtes à 100% de vos objectifs, c’est qu’a priori vous n’avez pas visé plus loin que la montagne en face. Et comme la remise à plat est trimestrielle, le rebond est facilité. “Dans fail fast, ce qui est important c’est la notion de fast, explique François Bracq, directeur des relations startups chez Google France. C’est surtout quand une société a peu de moyens qu’elle doit s’arrêter vite”. 

Communiquer et donner/recevoir du feedback 

Se donner des objectifs ambitieux et ne pas avoir peur de ne pas les remplir, c’est la première étape. Savoir tomber vite, la seconde. Mais comment gérer l’échec ? Avec un système scolaire qui nous pousse à être de bons petits soldats qui visons le 18 en permanence, ça peut être dur de se contenter d’un 70% de réussite. Si Google n’a pas de recette magique, le géant américain a en revanche une règle : “Dès que tu as un souci, il faut en parler, explique Perrine Daumont. Il faut mettre en place une culture de la collaboration, demander du feedback et être prêt à en donner. Chez nous “feedback is a gift””.

Un cadeau que les équipes de Google sont formées à donner et à recevoir, pour être sûr de ne jamais mal faire passer ou entendre un message d’un collègue. Un conseil valable en interne au sein d’une équipe mais aussi en externe. “Il faut que les entrepreneurs parlent de leur(s) échec(s) entre eux, ajoute Perrine Daumont. Il faut en parler et comprendre pourquoi ça n’a pas fonctionné car le problème dans l’échec, c’est de s’isoler. Et il y a toujours des leçons à tirer, c’est ce qui permet aussi de ne pas rendre l’échec négatif. L'espace que nous avons ouvert à StationF nous permet de rencontrer et d'accompagner ces entrepreneurs dans leurs succès et dans leurs échecs. C'est un endroit ouvert à tous, gratuit où les entrepreneurs apprennent à mieux utiliser nos solutions mais aussi découvrent et échangent avec d'autres entrepreneurs”. 

Voir le verre à moitié plein en permanence en résumé. Mais ce n’est pas toujours évident, surtout si l’on considère être la somme de ses réussites (oui et de ses échecs aussi). “Le problème que l’on a en France, estime Perrine Daumont, c’est que l’on met beaucoup d’égo dans ce que l’on fait alors qu’il faut être assez froid face à l’échec, c’est le principe même de se dire “au moins j’ai essayé”. Le fameux “nothing personal” que l’on peut avoir du mal à digérer mais qui permet de tenir les choses plus à distance. 

Rebondir et tirer parti de ce que l’on a appris 

Le cimetière de Google dont on parle en introduction n’est pas juste une mignonne petite référence à la Toussaint. Il existe vraiment. Créé par un tiers, le site Killed by Google recense tous les produits et services qui ont été tués, dans l’oeuf, ou après un certain temps d’exploitation par Google. La firme de Mountain View pourrait avoir envie de le cacher, mais elle n’en fait rien. Et c’est là une force qui manque souvent aux startups : assumer ses échecs et en tirer parti. Résultat : les équipes en parlent ouvertement dans leurs présentations et le citent sans problème. 

Nous avons lancé des produits qui n’ont pas fonctionné, c’est comme ça. Les Google Glass n’ont pas pris en BtoC mais ont fonctionné en BtoB, parfois il faut voir que l’échec n’est pas lié à ton produit mais au fait que tu sois trop en avance sur le marché. Innover c’est aussi être dans le bon timing”, estime Perrine Daumont. OK, on dirait qu’on essaie de donner un petit côté shiny à l’échec. Mais le timing est une composante importante du succès, et donc de l’échec et ce n’est pas Apple ou d’autres géants qui se sont cassés les dents avec des produits qui n’ont pas fonctionné en temps 1, avant de cartonner en temps 2, qui démentiront. 

D’un autre côté, c’est le produit ou le service qui peut ne pas être optimal dans son ensemble. Il est donc arrêté, mais ce qui n’empêche pas d’en récupérer les bonnes pièces ou les bonnes fonctionnalités. De nombreux produits Google qui ont été tués ont permis d’améliorer l’existant, grâce à des fonctionnalités développées spécifiquement pour ces nouveaux produits, qui finalement se sont avérées plus utiles sur un produit déjà massivement utilisé. La nouvelle boite mail Inbox par exemple, n’a pas survécu mais quelques features spéciales ont permis d’améliorer Gmail. “Ce qu’il faut garder en tête, c’est qu’un échec ne l’est jamais à 100%”, martèle François Bracq. Et l’itération est primordiale dans le processus d'apprentissage. Chez Google nous sommes dans un processus itératif perpétuel qui nous a permis de nous adapter rapidement aux utilisateurs et d’améliorer sans cesse notre moteur de recherche. On fait par exemple 1000 upgrades de notre algorithme par an, 3 fois par jour."

Un constat qui demande donc de recruter des personnes ayant de hautes capacités d’adaptation et une grande flexibilité. Surtout chez les ingénieurs qui construisent ces produits parfois mis de côté. Mais une “culture managériale et une culture d’entreprise qui font que c’est admis de se planter” comme la décrit François Bracq, doivent aussi apporter leur lot de bénéfices. “Les managers savent que l’échec est une composante de la réussite et sont formés à accompagner leurs équipes dans ce processus. Résultat : nous travaillons dans un environnement serein et confiant”, poursuit-il. Mais faut-il pour autant un environnement à la Google pour avoir confiance en ses capacités d’échec, et de rebondissement ? “C’est vrai qu’un entrepreneur qui s’est planté en France aura plus de mal à rebondir qu’aux Etats-Unis”, conclut François Bracq. Il serait peut-être temps de changer la donne, non ?

Maddyness, partenaire média de Google