Tribunes par Matthieu Langeard
6 décembre 2019
6 décembre 2019
Temps de lecture : 4 minutes
4 min
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Du Joker aux stoïciens, l’unité des contraires dans le management

L’accompagnement et la formation requièrent de la rudesse et de la tendresse, de la destruction et de la construction ? Il faut désapprendre pour apprendre ? Oui, si les enjeux sont suffisamment nommés, ou mieux, indiqués. Le manager se contente de donner des indications, des signes, pour activer la responsabilité et l’autonomie du collaborateur, et lui faire travailler son autonomie.
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Le langage commun désunit les contraires alors qu’ils sont deux en un. Les contraires se définissent l’un l’autre. On sait ce qu’est le jour en sachant ce qu’est la nuit. Ainsi du courage et de la confiance, en lien insécable avec la peur et le doute. Sans l’horizon temporel de la peur, le courage reste innommé, diraient les stoïciens, inspirés par Héraclite. Ainsi des variantes de la joie, trouvant leur nature commune grâce à la tristesse, là où chez le Joker, dans le film de Todd Phillips, rires et larmes se superposent de façon absurde dans une grimace confuse.

Les contraires sont toujours en devenir

La joie est une ouverture, une clairière, dans une vie de tristesse. Et vice versa : la tristesse un simple épisode dans une vie de joie. Leur opposition fait le mouvement alternatif. Ce mouvement repose, pour qui l’accepte. Le monde est changeant, il ne sert à rien de s’arcbouter. L’individu est condamné, appelé, à varier à évoluer.

La vision d’Héraclite est détachée, tragique, héroïque : au sens de noble, lucide et exigeante. Celle du Joker cède à la facilité, certes, après une suite d’épreuves terribles. À Gotham City, la richesse des nantis devient une caricature, une escroquerie abjecte au dépend des pauvres. Dans une économie vue comme un jeu à somme nulle, le bonheur des uns est forcément pris aux autres. La notion d’économie à somme positive, où la richesse se crée par l’initiative, est-elle inaccessible au Joker, pris dans la confusion et la paranoïa ?

Reconnais-toi toi-même

Comment s’élever en s’abaissant, garder la tête dans les étoiles en ayant les pieds sur terre, progressivement ? Comment reconnaître où ses talents les plus spectaculaires sont générés par les épreuves traversées ? En acceptant de remuer beaucoup de terre, de boue, pour trouver de l’or : pour se trouver soi-même, dit Héraclite. Connais-toi toi-même, " gnothi seauton " en grec, est le plus ancien des trois préceptes qui furent gravés à l'entrée du temple de Delphes.

L’introspection est l’interrogation continue de ses parts d’ombre, de ces contraires qui inquiètent, contrarient et dérangent, bref, du refoulé.

En permettant le dialogue entre des tendances contradictoires, l’auto-analyse tranquillise et fiabilise l’action. Elle informe en mouvement et tire des enseignements des épreuves traversées (énaction/effectuation). Elle ouvre sur la soif d’apprendre et la quête d’excellence : l’amélioration continue (lean management). L’auto-analyse se pratique seul et surtout dans la relation, pour bénéficier d’une maïeutique, puis d’effets miroirs et de feedbacks.

La remise en question personnelle mesurée permet la traversée des crises de confiance inhérente au management. Elle permet de renouer le dialogue et d’optimiser le processus de ratés-réparations constitutif de la relation humaine (Daniel Stern) : on se rate, on se blesse, on s’explique, on apprendre et on repart ; on se rate, etc. La remise en question personnelle permet d’éviter d’être trop systématiquement accusateur des autres et des facteurs externes (la crise, la météo, etc.) et de prendre sa part de responsabilité dans les crises.

Fondamentalement, cultiver son intériorité permet de faire dialoguer les contraires, au-dedans de soi et au-dehors. Sur l’échelle graduée de la vie, la santé se trouve dans la mobilité dans une vaste zone centrale, en évitant les extrêmes. Le travail de conscience crée des liens et modère les contraires, ainsi du couple courage-peur, joie-tristesse, fierté-humilité et aussi management directif-management participatif.

La souffrance, c’est l’bonheur ?

La souffrance n’est pas utile en soi, pas plus que la fatigue, la faim ou la maladie. Simplement, sans ces contraires, le bonheur, le repos, la satiété ou la santé ne pourraient être jugés bons. Le contraste informe. La souffrance a sa positivité. La frustration est mère de créativité, la discipline, d’apprentissage. L’amour n’est pas toujours tendre. Les parents, maîtres et managers honnêtes ne se font donc pas que des amis, loin de là. Le courage est requis.

La métaphysique va même plus loin : l’adverse guérit, le contraire est bénéfique. Tout se FAIT dans la lutte, la discorde et la nécessité dit Héraclite. Cette loi de la nature est contre-intuitive. D’où l’insistance pédagogique des stoïques ? La souffrance est utile quand elle devient reliée, connectée, associée et sensée. L’être du monde, l’être de la vie est un être-avec : relationnel en soi, unifiant et réconciliant (logos).