La compétitivité technologique est pourtant une nécessité, à en croire les deux intervenants présents lors de la table ronde “Wargames” de la Maddy Keynote du 31 janvier : Sébastien Gibier, Directeur de SAP.iO Foundry Paris, et Tristan Nitot, Président de Qwant. 

La course technologique

Ce dernier lance d’emblée un message d’espoir " Je ressens un profondément sentiment d’urgence à accélérer sur le secteur technologique en Europe. Ce n’est pas trop tard, mais il faut agir vite ". Mais d’ailleurs, pourquoi agir ? Pourquoi l’Europe doit-elle reprendre sa marche en avant dans la course à la technologie ? 

D’abord parce que son retard est réel. À titre d’exemple, en 2019, l’ensemble des licornes (entreprises non côtées valorisées à plus d’un milliard de dollars) américaines étaient valorisées à plus de 1600 milliards de dollars, leurs homologues asiatiques à plus de 900 milliards de dollars, et les européennes a à peine plus de 300 milliards.

Ensuite  parce que l’Union Européenne a les moyens de cette ambition. Fort d’un marché porteur, deuxième PIB à parité du pouvoir d'achat mondial derrière la Chine mais devant les Etats-Unis, l’Europe est un terrain fertile quant à l’essor des nouvelles technologies. Ce que résume ainsi Tristan Nitot : “L’Europe présente le double avantage d’avoir une population relativement riche en Europe de l’ouest, et un marché très prometteur en Europe de l’est”.

Enfin, le risque est grand d’aboutir à une situation de trop forte dépendance vis-à-vis des modèles chinois ou américains, comme le précise Sébastien Gibier : " Tant pour l’emploi que pour la protection des données, notamment en matière de sécurité ou de santé, il est nécessaire d’avoir une Europe forte et dynamique sur les marchés de la nouvelle économie ". Sur des sujets aussi sensibles, on ne peut que comprendre la crainte émise par le Directeur de SAP.IO Foundry Paris. Les récents scandales, notamment celui de Cambridge Analytica, rajoutent s’il en était besoin la question de l’éthique et du traitement des données personnelles à cette préoccupante équation. 

Une tech européenne plus éthique ? 

Car derrière les géants de la technologie, il y a des être humains, des organisations politiques, des modèles économiques, des systèmes de valeurs. Or l’Europe est sur ces points bien différente de ses homologues chinois ou américains. La protection des données personnelles est par exemple l’apanage de l’Europe, avec la mise en place du RGPD. Tristan Nitot revient sur cette particularité: " Un logiciel porte en lui les valeurs de son créateur. Un logiciel chinois ou américain est à cet égard fondamentalement différent d’un logiciel européen. Il est nécessaire de garder ce " soft power " spécifique à l’Europe. 

À en croire Sébastien Gibier, c’est même de cette spécificité que pourrait venir le salut de la technologie européenne : " On est peut être à la fin d’un cycle, et au début de l’ère du progrès au service de l’intérêt général. L’Europe est sans doute à la pointe de la conscience de ce qu’on peut perdre avec le numérique. C’est donc une opportunité de changer la donne, de proposer un nouveau modèle plus vertueux que ceux en place, plus en phase avec la culture européenne.". De la nécessité, pour les deux intervenants, de passer d’une posture défensive, en réaction à la domination sino-américaine sur ces marchés, à une posture offensive, pour favoriser l’émergence d’un nouveau modèle. 

En retard aujourd’hui, pour mieux anticiper demain ?

Car le vent peut tourner, et les premières brises commencent à poindre. L’Europe semble en effet avoir passé un cap tant sur la conscience de la nécessité d’accélérer que sur les premiers exemples de réussites majeures. Apple Music n’a pas réussi à détrôner Spotify sur le marché du streaming musical, tandis que le projet Gaia-X, soutenu par l’Union Européenne et impliquant notamment des entreprises telles que SAP, Deutsche Telecom ou Siemens, est en train d’être développé pour offrir aux entreprises une alternative européenne aux leaders Amazon, Google ou Microsoft dans le domaine des gestion des données. Autre illustration : les licornes, toujours. En 2018, l’Europe en a créées 16, soit plus que la Chine mais moins que les Etats-Unis. Mais leur valeur moyenne augmente plus vite que celles de leurs homologues américaines (+28% contre +20%).

Le marché européen est en outre plus cosmopolite que le marché chinois ou le marché américain d’un point de vue de la réglementation ou de la diversité linguistique par exemple, élément fondamental au moment d’appréhender la complexité du marché. Tristan Nitot a vécu de près cet enjeu au moment du lancement de Mozilla : " Les américains étaient centrés sur le produit, or une fois celui-ci terminé, pour l’implémenter en Europe il a fallu le traduire. Cela nous a permis d’impliquer les utilisateurs, via des versions bêta par exemple, et d’avoir une communauté plus engagée dès le départ. La problématique de la langue a ainsi généré une formidable opportunité ". Les géants industriels européens tels que Nestlé,L’Oréal, ou Volkswagen, sont forcément plus au fait de ces spécificités, ils en ont d’ailleurs fait une force, et ont en outre la possibilité d’entrer pleinement dans cette course à la technologie, pour Sébastien Gibier : " Nous avons en Europe des géants mondiaux de leur secteurs respectifs. Or ils se digitalisent, tant sur leur fonctionnement que sur leurs modèles et leurs produits, nous faisant ainsi reconsidérer le sens même du marché de la technologie. Eux sont peut-être les géants de la technologie de demain. " 

Si certains secteurs (réseaux sociaux, plateformes applicatives mobiles…) sont dévolus aux acteurs chinois et américains déjà en place, d’autres (moteurs de recherches, plateformes B2B, 5G) préfigurent des opportunités réelles pour les acteurs européens. D’une part parce qu’ils présentent moins de barrière à l’entrée (un moteur de recherche n’a pas besoin d’un seuil critique d’utilisateurs pour être performant) mais aussi parce que l’Europe peut se targuer d’une position forte sur certains brevets (50% des brevets concernant la 5G sont en Europe). 

Sur un marché aujourd’hui largement dominé par les entreprises chinoises et américaines, l’Europe semble avoir pris conscience de son retard, et vouloir agir pour le combler. Ainsi, s’il est difficile de dire à quoi ressemblera les structures de la tech’ de demain, il semble de plus en plus clair que le vieux continent comptera parmi ses architectes…

Maddyness, partenaire média de SAP