C'est un secteur complexe, qui peinait à décoller. Mais ça, c'était avant la crise du coronavirus. La silver economy, qui regroupe les entreprises qui répondent aux besoins liés au vieillissement de la population, a démontré tout son potentiel ces derniers mois. "Les acteurs du secteur ont pris conscience que la technologie est un levier essentiel pour accompagner les personnes vulnérables et plus généralement la longévité, se réjouit ainsi Nicolas Menet, directeur général de l'association Silver Valley, qui regroupe plus de 300 startups du secteur. Le Covid-19 a démontré que la société de la longévité doit compter sur le numérique pour s’épanouir." S'il est encore trop tôt pour tirer un bilan chiffré de la période - le consortium a lancé une étude sur la question - "les premiers signes sont encourageants" , note tout de même son directeur général.

Il faut dire que la crise a bouleversé en un temps record les usages numériques des seniors, faisant sauter des verrous jusque-là persistants. Alors que les générations actuelles de seniors restent peu habituées au numérique - les 75 ans et plus ont connu l'ordinateur et internet mais n'en ont pas forcément eu un usage quotidien, notamment dans leur vie professionnelle - le confinement leur a imposé de se former en urgence à certaines technologies. Communication à distance, services de livraison ou encore cours en ligne ont ainsi connu un essor non négligeable auprès d'une population difficile à convaincre. Or, une fois formés, "les seniors n'ont aucune raison de retourner en arrière" , souligne Nicolas Menet. "Ils se sont rendu compte de tous les avantages que le numérique pouvait leur apporter et ne vont pas y renoncer."

Une révolution des usages

Un bon point pour les solutions B2C, qui ont su saisir les opportunités de marché. Ainsi, de nombreuses entreprises du secteur avaient fait le choix de rendre leurs solutions gratuites, au moins en partie, pendant la crise. "L'effet freemium a bien fonctionné, les premiers signes montrent que les utilisateurs ne délaissent pas les solutions au moment du passage au payant" , note le directeur général de Silver Valley. Preuve que la révolution des usages est vouée à perdurer et que la solidarité peut - finalement - payer !

Mais attention à l'effet kiss cool : les startups qui ont su hameçonner les seniors ne peuvent pas crier victoire si vite. "Les seniors d'il y a deux mois ne sont plus les mêmes que les seniors d'aujourd'hui" , prévient Nicolas Menet. Ceux du "monde d'après" sont mieux formés, ont développé une véritable appétence pour le numérique et leurs usages vont donc eux aussi évoluer. Charge aux entrepreneurs d'arriver à faire évoluer leurs solutions à ces nouveaux besoins. "Certaines startups réalisent que leur produit n'est pas suffisamment adapté aux besoins des utilisateurs. Il va y avoir du tri, de la casse." Itérer pour mieux perdurer, telle est donc la mission des startups du secteur qui ont connu leur âge d'or ces dernières semaines !

Le numérique deviendra prioritaire

Toute la silver economy a donc bénéficié de la crise... Toute ? Non, certaines verticales résistent encore à l'appel du numérique. Pas parce que leurs acteurs sont d'irréductibles Gaulois mais parce que les budgets serrés imposent des choix. C'est le cas par exemple des solutions B2B ciblant les Ehpad ou les établissements de soin. La brusquerie de la crise et le manque de préparation de l'État a naturellement centré leurs priorités sur la gestion du matériel et du personnel, occasionnant une perte temporaire d'activité, comme en atteste Vincent Théry, fondateur de Lili Smart, qui développe des solutions à destination des hôpitaux, mutuelles et collectivités pour préserver l'autonomie des seniors les plus fragiles. "Nos projets avec ces acteurs ont été mis en pause, sans garantie sur leur date de reprise. C'est une perte d'activité directe, assortie d'un point d'interrogation sur la capacité de nos clients et prospects à reprendre les projets ultérieurement."

Pour autant, le chef d'entreprise se montre optimiste. "Il n'y a rien de structurel, veut-il croire. La crise a été révélatrice pour nombre d'acteurs sur le retard qu'ils avaient vis-à-vis des outils numériques, ce qui les a empêchés de tenir la promesse faite à leurs utilisateurs en matière d'accompagnement de leur public cible." Le coup de frein qu'a constitué la crise pourrait donc dans quelques semaines ou mois se transformer en véritable coup d'accélérateur en matière de transition numérique dans un secteur où les lourdeurs administratives plombaient les cycles de vente. "La traversée du désert devrait durer encore un peu mais la période se révélera ensuite salvatrice, prophétise le fondateur de Lili Smart. Les acteurs auront la même logique que pour les masques : ils voudront se doter des outils numériques adéquats."

Une analyse partagée par Nicolas Menet, qui voit la crise comme l'occasion pour les solutions numériques de "mettre un pied dans le monde du grand âge et de l'autonomie, plus largement du médico-social" . "Cela va susciter un besoin de plus en plus fort." Pour répondre efficacement à cette demande qui devrait exploser mais également garantir la qualité des solutions mises à disposition des acteurs de la filière, Silver Valley travaille actuellement avec le gouvernement à la création d'un Centre national de preuve, qui permettra de tester et évaluer les solutions de la silver economy afin de trier le bon grain scientifiquement prouvé de l'ivraie aux doux reflets marketing. "Cela permettra de faire émerger des solutions dont il aura été démontré qu'elles améliorent le quotidien des seniors, font baisser les dépenses de santé et ont un modèle économique fiable" , précise le directeur général de Silver Valley.