29 septembre 2020
29 septembre 2020
Temps de lecture : 6 minutes
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Comment les VCs s'investissent pour plus de parité dans la tech

Après avoir essuyé de vives critiques concernant le manque de diversité et de parité dans leurs investissements, les VCs commencent à combattre leurs propres biais.
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On reproche souvent aux membres des fonds d'investissement de poser des questions biaisées aux femmes du type : "pensez-vous vraiment avoir les épaules pour porter votre projet ?".  Mais ce problème est loin d'être binaire. Il n'y a pas d'un côté les bons VCs et de l'autre, les mauvais. Au-delà des biais conscients et inconscients, il existe aussi des freins sociaux, estime Judith-Laure Mamou-Mani, responsable de Maif Investissement social et solidaire qui a été plusieurs fois confrontée à ce phénomène au cours de ses diverses expériences dans la finance. L'exemple le plus criant est celui d'une femme qui lui a demandé si elle pouvait venir accompagnée de son mari pour présenter son entreprise. Ce manque de confiance et de sentiment de légitimité se traduit ensuite dans les pitchs. "Les investisseurs veulent qu'on leur vende du rêve et qu'on abuse du storytelling alors que les femmes proposent des business plan plus réalistes et font moins le show que les hommes" , entérine la responsable de Maif Investissement social et solidaire. En contrepartie du risque qu'ils prennent , les VCs et les business angels préfèrent penser qu'ils achètent une licorne qui va crever le plafond plutôt qu'une entreprise qui ronronne, aussi pérenne soit-elle.

Marc Fournier, co-fondateur du fonds Serena Capital, est moins catégorique. Ce manque d'agressivité et de conquête est davantage une question d'époque que de genre. "La génération qui arrive est poussée par une véritable volonté de donner du sens au niveau sociétal et environnemental à leur entreprise au détriment d'une partie de leur croissance". Ce qui ne signifie pas pour autant qu'impact et croissance ne sont pas conciliables

Pour Marie-Hélène Armestreiter, lead partner chez Speedinvest, le problème touche à l’identité des investisseurs. Homme ou femme, il est toujours plus facile de "s’identifier à une personne qui nous ressemble. Or les femmes que nous rencontrons se concentrent souvent sur des sujets comme l'éducation, l'alimentation pour bébés, la mode, la femtech..." qui parlent moins "aux investisseurs masculins blancs"

Diversifier les fonds avant leurs portefeuilles

"Plus les partners se ressemblent, plus les performances de leurs investissements diminuent", révélait Paul Gompers, professeur de la prestigieuse Harvard business school, dans une étude de 2018. Selon celle-ci, "le taux de succès des acquisitions et IPOs était plus faible de 11,5% chez les investisseurs passés par les mêmes écoles que chez les investisseurs aux parcours divers"Malgré ces résultats, les fonds cultivent, comme les startups, cette culture du réseautage et des grandes écoles, ce que tente de combattre les signataires de la charte Sista. À travers sa signature, 56 fonds se sont engagés à diversifier leurs portefeuilles et leur équipes en atteignant un ratio de 30% de partners femmes et 50% de femmes. Et ce n’est pas gagné. Même chez Speedinvest, qui atteint la parité parmi ses membres, un "travail est encore nécessaire du côté des partenaires", reconnaît Marie-Hélène Armestreiter. Le plafond de verre se fissure lentement dans un secteur longtemps resté chasse gardée des hommes.

Pour contrecarrer ces mécanismes insidieux, certains fonds n'hésitent pas à se remettre en question et à instaurer de nouveaux modes de fonctionnement, du plus simple au plus complexe comme "la mise en place d’une grille de questions identiques pour recruter des analystes" , cite Julien David Nitlech, managing partner chez Iris Capital. Mais c’est aussi le rapport au temps qu’il faut repenser. "Nous nous sommes rendus compte que les candidats masculins postulent rapidement à nos offres alors qu’en attendant deux à quatre semaines, nous obtenons 20 à 30% de plus de candidatures féminines" 

La mise en place de l’écriture inclusive et la présentation de femmes et de personnes issues de la diversité sur les sites des fonds sont aussi une manière d'indiquer aux femmes qu’elles ont leur place dans le fonds, prône de son côté Marie-Hélène Armestreiter. Ensuite, il faut accepter de casser la chaîne invisible de l'entre-soi dans la tech française en "développant des liens avec des réseaux qui soutiennent la diversité et en proposant des formations contre les biais inconscients aux managers et aux dirigeants” .  

L'accumulation de ces petites actions devrait entraîner une nouvelle dynamique plus propice à la diversification de leurs portefeuilles et des startups.

Les VCs, ces influenceurs de l'ombre 

Doit-on alors attendre patiemment que les fonds d’investissement fassent leur mue pour espérer voir leurs portefeuilles se diversifier ? La question est complexe car le problème ne provient pas uniquement des biais potentiels des investisseurs mais aussi du manque d'entrepreneuses. "Les VCs ont un rôle important à jouer en allant au contact des jeunes filles, dans les lycées et dans les universités pour les pousser à entreprendre ou se lancer dans la finance pour devenir investisseuses” , réagit Julien David Nitlech. Si les femmes représentent près de 30% des ingénieurs diplômés, elles sont encore peu nombreuses à choisir la voie de l’entrepreneuriat. 

En aval, les VCs peuvent aussi pousser leurs startups à placer plus de femmes à des postes décisionnaires. "Nous avons poussé des noms pour certaines startups” , explique le partner d’Iris capital, convaincu que ces prises de poste pourraient également pousser les femmes à entreprendre après une telle expérience. Et pour garder un oeil sur l’évolution de cette diversité, ils mesurent "régulièrement la composition et la diversité des équipes de direction de nos startups” .

Compter les femmes, compter les hommes, comptabiliser la diversité... et si la somme n'est pas bonne, doit-on recourir aux quotas pour y remédier ? 

Les quotas au coeur du débat 

La question de la discrimination positive via les quotas est difficile à trancher pour les VCs qui préfèrent parfois contourner la question. Également professeur au sein du master innover et entreprendre de l'ESCP Business School, Marc Fournier estime que la réponse est double. Les quotas à l’entrée des écoles et des universités, non merci, mais dans les portefeuilles des VCs, pourquoi pas. "À un moment donné, il faut un élément déclencheur afin de créer un terrain de jeu artificiel pour les jeunes femmes aujourd'hui" , détaille t-il. L'obligation d'inclure plus de femmes dans les comités de direction a eu un effet positif selon l'investisseur. Pourtant, il suffit de jeter un coup d’oeil sur les fonctions des organigrammes des entreprises du CAC40 pour voir que les postes de direction sont encore largement occupés par des hommes. C'est l'irrigation de cette parité à tous les échelons de la société qui est donc en jeu.

Malgré la lenteur du phénomène, les mentalités évoluent, notamment grâce à différentes initiatives "pour impliquer davantage les VCs comme Diversity VC, Female Founders, StartOut ou encore Colorintech"  , se félicite Marie-Hélène Armesteiter. Atomico aussi montre la voie en multipliant les interventions sur ce sujet. Maintenant place aux actes.