Depuis le 1er novembre 2019, les non-salariés peuvent bénéficier de l'allocation pour les travailleurs indépendants (ATI) pour un montant de 800 euros pendant six mois, à la suite d'une liquidation ou d'un redressement judiciaire, s'ils se retrouvent avec des ressources personnelles inférieures au montant du RSA. Ce filet de sécurité se voulait la traduction d'une promesse de campagne d'Emmanuel Macron, selon qui "les artisans, les commerçants, les entrepreneurs, les professions libérales et les agriculteurs" devaient avoir droit, comme les salariés, à l'assurance-chômage. En effet, "3,3 millions de travailleurs indépendants, soit 10% de la population active, ne bénéficient d'aucune protection sociale contre le risque de perte d'emploi", moins d'1% souscrivant une assurance privée, selon le député LREM Dominique Da Silva, auteur d'un rapport d'information sur le sujet.

Mais, en 16 mois, selon Pôle emploi, seules 911 personnes ont eu accès au dispositif pour un coût de 3 millions d'euros, là où l'étude d'impact en prévoyait 29.300 par an pour 140 millions. Pour le député, "ce bilan décevant" s'explique d'abord par "des critères trop restrictifs qui excluent de nombreux indépendants". Sur les 2 396 demandes effectuées auprès de Pôle emploi, 59% ont été rejetées. Si 23% l'ont été au profit d'anciens droits à l'assurance-chômage plus avantageux pour des ex-salariés, 36% ont été rejetées parce que les demandeurs ne remplissent pas les conditions d'éligibilité. La grande majorité des rejets concerne le seuil de revenu d'activité minimal de 10.000 euros par an en moyenne sur les deux dernières années, ce qui "exclut le travailleur en difficulté ayant des revenus d'activité déficitaires ou nuls", selon M. Da Silva.

Refus psychologique

Autre blocage: l'activité doit être cessée "de manière définitive et involontaire", ce qui exclut tous ceux qui ne peuvent justifier d'une liquidation ou d'un redressement judiciaire, des procédures longues et coûteuses. "Vous n'avez pas l'obligation de passer par le tribunal de commerce pour arrêter l'activité d'une entreprise. Des chefs d'entreprise sont oubliés", soulignait Anthony Streicher, président de l'association Garantie sociale du chef d'entreprise (GSC) lors d'une récente audition à l'Assemblée nationale. Pour Lionel Canesi, président du Conseil supérieur de l'Ordre des
experts-comptables, "l'ATI ne fonctionne pas parce que son champ est très restreint". Sont exclus plusieurs statuts comme "le gérant majoritaire d'une SARL", soit "le coeur du tissu économique".

M. Da Silva propose en conséquence d'élargir la condition de cessation d'activité "à la liquidation amiable, dès lors qu'elle vise à anticiper un état de cessation de paiement" et de rendre l'ATI accessible "à tous les statuts juridiques de travailleurs indépendants non-salariés et assimilés salariés". Il suggère de remplacer le seuil de revenu d'activité par celui de chiffre d'affaires afin d'en faire bénéficier les micro-entrepreneurs (47% des indépendants avec un revenu annuel de 5 000 euros en moyenne) ainsi que de relever le niveau de ressources du RSA (564 euros) au seuil de pauvreté (1 063 euros).

"Sans cotisations versées au titre du chômage, l'ATI doit s'entendre comme une allocation de solidarité, forfaitaire et de courte durée, pour aider au rebond d'un travailleur indépendant aux ressources modestes mais aux compétences riches", résume-t-il. Des propositions que pourra étudier le ministre délégué aux Petites et moyennes entreprises (PME), Alain Griset, qui doit présenter prochainement un plan pour améliorer la protection sociale des indépendants. Mais l'échec de l'ATI s'expliquerait aussi par "un aspect psychologique", selon Sophie Jonval, présidente du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce.

"Quand vous êtes dans une démarche de création d'entreprise, vous êtes dans une dynamique positive, vous n'avez pas forcément le réflexe de prévoir ce qui se passera en cas de difficulté (...). On ne prépare pas un divorce lorsqu'on se marie", soulignait-elle lors de cette audition à l'Assemblée.  "Les chefs d'entreprise ne veulent pas d'une couverture chômage. Si la volonté existait, ils iraient massivement vers les dispositifs d'assurance existants", tranchait Lionel Canesi.