25 janvier 2022
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Temps de lecture : 6 minutes
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CBD : un pas de plus vers l'ouverture d'une filière française

Le CBD n'en finit pas de faire travailler la justice. Suite à un arrêté publié au journal officiel le 31 décembre 2021, interdisant la vente de fleurs de CBD - seules ou en mélange- aux consommateurs, plusieurs acteurs de la filière avaient déposé un recours en référé. Le Conseil d'Etat vient de se prononcer au profit des demandeurs, suspendant ainsi la décision du gouvernement, temporairement.
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Crédit : Justin Aikin by Unsplash

Article mis à jour le 25 janvier 2022

Entre l’État et le CBD, la relation est compliquée. La France avait décidé d’interdire la vente de CBD avant d’être déboutée par la Cour de justice de l’Union européenne en novembre 2020. La fin des tourments ? Pas tout à fait. Dans un arrêté du 31 décembre 2021, le gouvernement actait que “la vente aux consommateurs de fleurs ou de feuilles brutes sous toutes leurs formes, seules ou en mélange avec d'autres ingrédients, leur détention par les consommateurs et leur consommation" sont interdites, restreignant ainsi l’usage du CBD. Une décision motivée par le fait qu’il serait difficile de différencier une fleur de CBD d’une fleur de cannabis et par la nocivité des inhalations. Le Conseil d'Etat s'inscrit en faux de cette décision et vient de suspendre cette décision, dans le cadre d'une procédure en référé, révèle le Monde. Une décision temporaire qui offre néanmoins un peu de répit aux 1800 magasins vendant du CBD. 

Des arguments à opposer

Pour motiver sa décision, le juge du Conseil d'Etat a présenté un argument majeur qui pourrait être retenu à l'avenir pour motiver une décision définitive. "Au vu des pièces versées à la procédure par les parties et des échanges tenus au cours de l’audience, il ne résulte pas de l’instruction (…) que les fleurs et feuilles de chanvre dont la teneur en THC n’est pas supérieure à 0,30 % revêtiraient un degré de nocivité pour la santé justifiant une mesure d’interdiction générale et absolue de leur vente aux consommateurs et de leur consommation" , lit-on dans la décision de lundi.

Début janvier, Aurélien Delecroix, président du Syndicat professionnel du chanvre et fondateur de The Green Leaf Company, partageait également à Maddyness son incompréhension par rapport à cette interdiction. "Sur le plan juridique, l’arrêté ne tient pas. L’interdiction n’est ni justifiée, ni proportionnée" , estime t-il, soulignant qu’aucune interdiction du tabac à fumer n’existe à ce jour. Il balaie également d’un revers la difficulté à distinguer le CBD du cannabis : 'nos voisins ont doté leurs forces de l’ordre de tests rapides pour lever des doutes éventuels" , explique-t-il, avant de préciser que "la traçabilité liée à la réglementation sur les produits du tabac et connexe est très exigeante”.

Sur le plan économique, "on se coupe de la moitié du marché, 50% de celui-ci est lié au chanvre brut, que ce soit pour la partie fleur à fumer ou les infusions. Une vague de licenciements de l’ordre de plusieurs milliers d’emplois est à prévoir" , assène t-il. Loin de calmer le jeu, cet arrêté laisse place à une autre bataille juridique. Des référés visant la suspension de l'arrêté sont prêts, de même qu'un recours devant le Conseil d'Etat "qu'on déposera après une décision du 7 janvier du Conseil constitutionnel" , a confié Aurélien Delecroix à l’AFP. 

De son côté, Ludovic Rachou, président de l'Union des industriels pour la valorisation des extraits de chanvre(UIVEC) et fondateur de Rainbow, préfère se concentrer sur les avancées permises par le texte qui reconnaît, pour la première fois, la licéité du CBD en France.

Une filière du CBD français en devenir

Avec cet arrêté, la France assouplit sa position sur la culture du chanvre qui se restreignait jusqu’ici aux graines et à la fibre. Désormais, "sont autorisées la culture, l'importation, l'exportation et l'utilisation industrielle et commerciale des seules variétés de Cannabis sativa L.". Avec comme condition que la plante de chanvre ait une teneur en THC inférieure ou égale à 0,3%, note l’AFP. "Auparavant, les agriculteurs n’avaient pas le droit de toucher aux fleurs de chanvre qui étaient donc importées d’Italie ou de Suisse. Cet arrêté signifie que nous allons enfin pouvoir proposer du CBD français" , se réjouit Ludovic Rachou.

L’entrepreneur, à la tête de l’enseigne Rainbow, indique avoir déjà reçu plusieurs propositions d’agriculteurs français qui souhaitent justement vendre leurs fleurs afin d’accroître leurs revenus. "Le marché de la fleur à fumer n’est pas si important que ça pour les agriculteurs. C’est un marché compliqué car il faut que les fleurs soient esthétiquement belles et s’assurer de leur conformité [un taux inférieur ou égal à 0,3% de THC, ndlr]" . Cet arrêté permettrait le développement de la filière France dont le potentiel s’élève tout de même à 700 millions d’euros en 2022 selon lui. 

Pour autant, tout n’est pas réglé pour le président de l’UIVEC, notamment en ce qui concerne les produits finis touchant à l’alimentaire et aux cosmétiques. Il est important "d’instaurer un cadre national soumettant l’usage du CBD dans les compléments alimentaires à certaines normes, afin de sécuriser le premier marché de débouché pour le CBD et de garantir la qualité de ces produits" , souligne l’Union des industriels dans un communiqué de presse.

Dans le secteur cosmétique, la règle actuelle est que "ce qui n’est pas interdit est autorisé. Mais les grandes marques ne peuvent pas se contenter de cela" , renchérit Ludovic Rachou. "Aujourd’hui, nous regroupons de plus en plus d’industriels notamment dans les cosmétiques comme Pierre Fabre mais ils ne vont pas aller sur le secteur du CBD sans avoir une réglementation claire" . Le constat est identique pour le marché alimentaire et celui des compléments. "Nous sommes dans la zone grise de la Novel Food" , qui a déjà coûté beaucoup au marché des insectes par le passé

L’UIVEC demande des mesures transitoires sur ces points précis afin de pousser le développement de la filière CBD et, par là-même, la création de nouveaux emplois. Une plus grande clarté permettrait aussi aux acteurs du secteur de bénéficier d’un relai via les réseaux sociaux des géants américains du web. "Aujourd’hui, concrètement, aucune publicité n’est autorisée par ces géants car cela nécessiterait de vérifier ce qui est légal et ce qui ne l’est pas" , pointe le fondateur de Rainbow qui se veut plutôt confiant.

Mi-décembre, l’UIVEC a organisé une première réunion de la filière des extraits de chanvre en présence d’Agnès Pannier Runacher, ministre chargée de l’Industrie, qui a donné son aval. "Cette variété de possibilités d’utilisation (du CBD) représente une opportunité pour notre économie, puisque la France est le premier pays producteur européen de chanvre et parmi les premiers producteurs au monde. Nous disposons des atouts nécessaires pour devenir l’un des leaders mondiaux en la matière" , a t-elle confié. À condition que la réglementation suive.