L'industrie française du livre est ainsi faite : un stock de livres invendus finit souvent et malheureusement au pilon. Un terme explicite qui consiste à détruire massivement les livres invendus et encombrants pour en faire du papier recyclé, du carton, voire du papier toilette.

"Entre 140 et 145 millions de livres sont pilonnés en France par an, soit 1/4 de la production littéraire", explique Julie Rovero, qui a longtemps travaillé dans l’édition magazine, en France comme à l’étranger, avant de rejoindre les Ateliers Henry Dougier. Aux côtés de cet éditeur indépendant, elle observe, impuissante, la courte durée de vie des livres en librairie. "Même avec la meilleure énergie du monde, il est très difficile de prolonger la durée de vie de livres pour lesquels on s’est battus pour les publier. Ils disparaissent des présentoirs au bout de trois semaines à peine".

Un phénomène courant dans l’édition qui porte un nom : les livres mort-nés. La surproduction éditoriale et l’arrivée permanente de nouveaux offices dans des espaces réduits laissent peu de temps aux libraires pour promouvoir la plupart des livres. Ces invendus sont ensuite retournés à l’éditeur via son distributeur, qui propose alors une mise au pilon automatique et gratuite.

Prolonger la vie des livres

"Avec Henry Dougier, cela nous posait un vrai problème", poursuit Julie Rovero. "Nous avions déjà commencé à créer des liens avec des associations, en accord avec les auteurs, pour donner des livres plutôt que de les détruire". Le constat était là : il y a sûrement un modèle à inventer pour prolonger la vie des livres et éviter le gaspillage. Julie Rovero fait alors la rencontre de Patricia Farnier, ex-trésorière de l'association Culture et Bibliothèques pour tous.

"Notre idée est d’aller voir les éditeurs indépendants pour remettre la lumière sur ces livres encore en stock", reprend Patricia. Elles décident de créer MyFairBook, une plateforme de vente de livres invendus sélectionnés grâce à un comité de lecture. La startup travaille avec une société de logistique qui va chercher des petites quantités, entre 10 et 50 exemplaires, les stocke et s’occupe de la livraison. Les livres sont achetés à l’éditeur une fois qu’ils sont vendus. L’ajustement des stocks se fait en fonction de la demande.

MyFairBook se rémunère selon un pourcentage plus élevé que la librairie mais la startup ne bénéficie pas de la manne financière que représentent les bestsellers. Côté financements, la startup a reçu la Bourse French Tech de 30.000 euros.

L’objectif à terme : sauver 8 à 10.000 livres par an, en vente et en dons. Les fondatrices veulent également travailler avec des associations comme Bibliothèques sans frontières et convaincre les éditeurs de donner une partie de ces livres condamnés. "Nous avons commencé avec le segment de la littérature. Les éditeurs nous proposent des listes de livres pour lesquels ils ont encore du stock et qui portent en eux des regrets éditoriaux. Des livres qui auraient pu marcher mais n’ont pas eu leur chance, par manque de temps d’exposition en librairie".

Les livres proposés par les éditeurs passent ensuite en comité de lecture, constitué d’une dizaine de personnes (libraires, bibliothécaires, étudiants en édition, journalistes). "Une fois ces livres sélectionnés, on les chronique, on y met notre ton, on les classe par thématiques puis on les vend directement sur notre site".

Le pilon, une aberration écologique comme économique

MyFairBook souhaite sauver un maximum de livres du pilonnage. Ces 140/145 millions de livres pilonnés par an représentent entre 700.000 et 1 million d’arbres. Les aberrations dans le domaine de la fin de vie du livre sont légion : il est plus avantageux pour l’éditeur d’opérer une réimpression d’un ouvrage que de le garder en stock (coût de 4 à 10 euros par mois le mètre carré) selon une étude de WWF France.

Le Syndicat National de l’Édition va plus loin dans cette même étude : en 2018, 25 % des livres produits et distribués en France ne se sont pas vendus, soit plus de 51.600 tonnes. Cela représente environ 131 millions d’ouvrages, en se basant sur une masse moyenne du livre de 393 grammes en 2016 (ADEME 2017). Et leur recyclage demeure très énergivore.

À l’heure de l’économie circulaire et de librairies en ligne toutes puissantes mais peu prescriptrices, MyFairBook innove et répond aux enjeux de la filière livre, qui peine à réinventer ses modèles économiques.