Dans la continuité du concept Bottom of the Pyramid, il s’agit d’apporter des produits et des services durables à des populations n’y ayant pas accès pour soutenir leur développement. Moon, acteur de l’électrification rurale en Afrique, ou Willy Anti Gaspi, qui rend accessible le bio en évitant le gaspillage alimentaire sont deux exemples d’entreprises au cœur de cette cible.

La recherche d’impacts directs émane d’une saine volonté d’apporter des éléments de preuve concrets et mesurables, permettant de rendre compte des bénéfices obtenus aux différentes parties prenantes.

Il est heureux que les fonds à impact opèrent selon ces critères. Pour autant, cette approche comporte des tâches aveugles.

La première est qu’il existe des activités à impact indirect absolument essentielles: le développement d’outils de mesure (comme Impaakt, Sweep ou Weefin), celui d’innovations financières (comme Helios, Fundovino), ou de solutions permettant l’exercice d’une citoyenneté plus active (Bluenove, Benevolt, Sparknews). Depuis plusieurs années, ces solutions à impact indirect trouvent progressivement échos auprès des VC impact. La Taxonomie européenne institutionnalise cette tendance, en reconnaissant à la fois des activités directement contributives (contributing) et des activités facilitantes (enabling).

La seconde limite est plus persistante. Elle concerne des innovations s’adressant à la frange la plus aisée de la population. Elles sont pour l’instant grandement ignorées par l’impact investing, les acteurs se concentrant sur leurs cibles primaires (cf. supra) et/ou considérant que l’économie du luxe n’a pas besoin de leur soutien.

Trois raisons appellent à une évolution de cette situation:

  • Le luxe représente 3% du PIB français, autant que l’aéronautique; deux secteurs moteurs de nos exportations. Sachant que nous disposons de leaders mondiaux, il serait dommage de ne pas tirer partie de la transformation durable qu’ils peuvent catalyser dans l’ensemble de leur industrie. Si le tourisme représente 8% des émissions de gaz à effet de serre (GES) mondiales, le tourisme de luxe exacerbe ses impacts négatifs: un vol en première ou en business émet respectivement 6 et 3 fois plus de GES qu’en économie; une chambre 5 étoiles consomme 3000 l d’eau par jour, contre 686 pour une chambre standard, là où dans certaines régions un foyer moyen consomme 93 l/j.
  • Comme Angus Deaton l’a fort bien mis en lumière[1], le progrès est structurellement générateur d’inégalités, en ce sens qu’il n’advient pas partout au même moment. Les innovations porteuses de progrès commencent souvent par bénéficier aux classes aisées avant de se démocratiser. Le véhicule électrique, les panneaux photovoltaïques, certains dispositifs d’imagerie médicale, n’ont d’abord été accessibles qu’à une part réduite la population. Les subventions publiques contribuent à leur massification et à la réduction des coûts. L’investissement privé doit également pouvoir jouer un rôle.
  • Enfin, si l’on considère à juste titre que les riches détruisent la planète[2], il faut alors admettre qu’ils ont aussi le pouvoir de la sauver. Le plus grand impact négatif des populations les plus aisées n’est pas celui direct de leurs modes de consommation, ni même celui indirect des projets dans lesquels ils investissent leur patrimoine. Il tient au fait qu’ils constituent le modèle auquel la majeure partie de la population aspire à ressembler. Dès lors, contribuer à redéfinir ce qui est désirable, en soutenant dans le domaine du luxe l’émergence d’innovations fortement réductrices des impacts environnementaux et sociaux négatifs du secteur, représente un puissant levier de changement pour l’ensemble de la société. Lorsqu’au début des années 2000, Alain Passard décide de faire de l’Arpège un restaurant 3 étoiles quasi-végétarien, il révolutionne la représentation du luxe gastronomique - a rebirth of cool pour citer un autre grand artiste.

Le développement durable est un oxymore, une tension permanente entre des objectifs contradictoires, économiques, environnementaux et sociaux, ce qui en fait la richesse et la complexité. Luxe et impact ont également de bonnes raisons de coexister. Nous avons de jeunes pousses qui innovent en ce sens. Ephèle, qui, en promettant une nuit à la belle étoile dans le confort d’un cinq étoiles, crée un tourisme haut de gamme insolite, écologique et de proximité, valorisant territoires et artisanat. Luximpact qui redonne vie au patrimoine de la joaillerie française, en évitant les dégâts causés par les mines (recyclage or et argent, diamants de synthèse, réutilisation de pierres existantes). Ces entreprises méritent de trouver des investisseurs qui soutiennent leur croissance.

Alors qu’arrive le printemps, les nouveaux fonds à impact continuent de fleurir. Pas moins de 50 en Europe ont réalisé un closing en 2022. Et si l’un d’entre eux se dédiait au secteur du luxe ?

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Sources

[1] La Grande Évasion. Santé, richesse et origine des inégalités (PUF, 2016).

[2] “Comment les riches détruisent la planète”, Hervé Kempf, Seuil 2007. Cf. également le rapport Oxfam Greenpeace “ Les milliardaires français font flamber la planète”, 2022.