Ce n’est pas la peine d’en faire trop avec l’optimisme, l’authenticité, l’honnêteté, la positivité : c’est en substance le message d’une étude publiée en avril 2019 dans The Leadership Quaterly. Et, tant que vous y êtes, allez-y doucement sur le management “transformationnel”, “éthique”, “spirituel” ou encore les “servant leaderships”. 

“Nous vivons dans une société où dominent les images et aspirations grandioses, idéalisées”, explique Mats Alvesson, professeur à l’université suédoise de Lund et co-auteur de l’étude. “Tout doit être beau, doit être impressionnant dans la communication”, expose-t-il. 

Pourtant, Mats Alvesson estime que c’est un piège et que cela crée des manières de communiquer qui ne reposent pas sur grand chose. Pire encore, pour lui, cela donne donne une “vision erronée, trompeuse et même parfois hypocrite du monde”. Ce qui donne, une fois en entreprise, des leaders ultra optimistes, irréalistes et, tôt ou tard, des collègues cyniques et déçus. Quand ce ne sont pas les entrepreneur·e·s eux-mêmes. “Le leadership, ça ne fonctionne pas si ce n’est pas ancré dans la réalité”, fait valoir le chercheur. 

Si être optimiste et positif semble nécessaire pour entreprendre et diriger, les auteurs de l’étude estiment que le problème avec les mouvements de modes dans le management est qu’ils reposent souvent sur des études empiriques qui ne tiennent pas la route, des arguments sans fondement et, entre autres, une vue simpliste de la vie en entreprise. 

Le “piège de l’optimisme”

C’est une tendance qu’Amie Devero remarque souvent parmi les fondateurs et gérants des startups en croissance qu’elle accompagne. Ses clients tombent dans ce “piège de l’optimisme” car ils sont investis jusqu’au cou dans le succès de leur entreprise, qui a en plus une croissance rapide. Ils veulent maintenir l’énergie de leurs équipes et faire en sorte qu’elles se soucient plutôt de la prochaine levée de fonds. Le problème, c’est que cette vision toute belle toute rose fonctionne rarement dans un groupe. 

“Quand les gérants endossent leur costume de pom-pom girl malgré une réalité un peu triste, ils donnent l’impression de mentir, voire d’être en plein délire”, critique Amie Devero. 

Être trop positif, cela empêche aussi les employé·e·s de mettre à profit leur créativité et leur capacité à trouver des solutions en cas de coup dur, relève Anne Baum, autrice de Small Mistakes, Big Consequences. Si vous entrez dans l’open space en disant que c’est une magnifique journée alors que votre entreprise est en train de perdre des millions, personne ne va vous croire. Pire, vous allez sans doute descendre dans l’estime de vos collègues. 

Un optimisme qui étouffe les ressources de l’équipe en cas de coup dur

A la place, “la personne peut présenter les mêmes comptes et dire ‘Ok, on a un trou de 20 millions d’euros. Est-ce que quelqu’un voit des options pour combler ce déficit ? Comment on arrête l’hémorragie ? Est-ce qu’il y a, autour de cette table, des idées pour qu’on puisse s’en sortir ?”, suggère Anne Baum. Si vous camouflez les vrais problèmes, votre équipe ne risque pas de trouver les solutions. 

Être optimiste au-delà du réalisme peut donc être un inconvénient. Mais qui peut reprocher à quelqu’un d’être trop “authentique”, trop honnête ? “Je pense que nous devrions accepter nos imperfections et celles du quotidien et connaître nos limites”, avance Mats Alvesson. “La pression du conformisme est souvent très forte en réalité.” 

Le chercheur estime avec la co-autrice de l’étude Katja Einola qu’il est en fait difficile de vraiment se connaître et de mettre en valeur son “authenticité”. Il suffit d’imaginer ce que ça donnerait si nous avions un peu de succès et que nous laissions tomber les normes sociales, le tout pour être plus honnête : il y a de grandes chances que l’on nous renvoie notre manque de tact, notre vision butée sur certains sujets et nos tics insupportables. 

“La vraie authenticité créerait probablement beaucoup de conflits et mènerait sans doute à des licenciements”, déclare Mats Alvesson. “Chercher un feedback honnête, c’est important, mais les gens sont souvent polis, diplomates. Une possibilité est de demander aux gens qui démissionnent ou prennent leur retraite comment ils vous perçoivent. Et une pinte de bière ou un verre de vin peuvent aider à délier les langues”, conseille-t-il. 

Mais s’il faut se calmer sur l’optimisme et l’honnêteté, que reste-t-il aux leaders pour être plus efficaces ? Le chercheur conseille de mettre de côté les théories de management à la mode, et tenter d’équilibrer l’intégrité et l’honnêteté face aux demandes toujours plus fortes de conformisme et de gestion de l’impression (impression management) au travail. 

“Nous devons trouver un meilleur équilibre et une meilleure intégrité”, explique Mats Alvesson. “Je ne pense pas que la plupart des collaborateurs et collaboratrices puissent être vraiment honnêtes, authentiques, à part dans de petites équipes, mais nous pouvons essayer de combattre beaucoup de manies hypocrites et éviter le bullshit corporate qui a le vent en poupe.” 

Retrouvez l’article original de Gwen Moran ici.