En octobre dernier, Deezer annonçait avoir levé 130M $ pour son expansion internationale. Si Deezer et ses semblables ont réussi à se faire un nom dans les pays occidentaux, c’est encore loin d’être le cas dans les pays en développement. De nouveaux marchés s’offrent au français et à ses acolytes, la guerre des services musicaux ne fait que commencer.[hr]

Deezer est arrivé dans le monde arabe en début d’année. Face à l’entreprise française, des entrepreneurs locaux qui proposent à la fois des adaptations de modèles internationaux et des modèles inédits. Deezer pourra t-il s’imposer ? Le service français a beaucoup à apprendre de ses concurrents.

Deux services locaux aux antipodes

Anghami ("mes mélodies" en arabe), a clairement mis le doigt sur quelque chose : 6 mois après son lancement, en novembre 2012, la startup libanaise a réuni 1,1 million d’utilisateurs, dont 30% qui utilisent le service quotidiennement ! Anghami (à prononcer an’-r-ami) est une application smartphone qui propose un lecteur de musique en streaming sur un modèle freemium. Un modèle un peu similaire à Spotify, mais qui a pris en compte les spécificités du marché arabe.

Au Maroc, c’est un français, Patrick Chassany qui s’est lancé dans l’aventure. Yala Music ne propose que de la musique arabe mais offre un modèle plus surprenant. Patrick Chassany est convaincu que le marché arabe, habitué au téléchargement illégal, passera difficilement au payant ; il a dont opté pour du streaming et du téléchargement entièrement gratuit sur web et mobile (là aussi adapté à presque tous les OS mobiles) !

Proposer des services mobiles… sur tous les OS

On n’écoute pas la musique de la même façon en France et dans les pays arabes. Pour Elie Habib, le co-fondateur de Anghami, la musique doit être mobile et sociale dans les pays arabes, elle ne s’écoute pas seul  dans le métro par exemple mais lors de sorties en groupe. C’est pourquoi Anghami a décidé de se lancer uniquement sur smartphone pour commencer. La version internet est actuellement en développement.

Les utilisateurs du marché arabe utilisent d’autre part une plus grande variété de modèles de smartphones que les français (dans certains pays, les Symbian représentent 50% du marché d’après Elie Habib).  Le service a donc aussi été développé pour Symbian et Blackberry.

Adapter son répertoire

Les arabes écoutent à 75% de la musique arabe et à 25% de la musique occidentale. Il est donc vital d’offrir les deux catalogues. Avant de se lancer dans l’aventure, les fondateurs d’Anghami se sont assurés d'avoir le soutien des trois labels arabes qui contrôlent le marché, Rotana, Mazzika et Melody, mais aussi des principaux labels internationaux, Sony, EMI et Warner.

Le service est encore loin des 20 millions de chansons disponibles de Deezer. Mais devrait proposer 5 à 6 millions de chansons d’ici mai-juin. Un choix assumé par Elie Habib qui préfère offrir un service adapté aux spécificités régionales plutôt qu’un grand répertoire.

Guider et éduquer les utilisateurs

Un des grands défis sera d’aider les utilisateurs arabes à découvrir des nouvelles musiques. Anghami a donc créé plusieurs fonctionnalités de recommandation. L’option Personnal DJ, par exemple, propose aux utilisateurs, la playlist parfaite selon leur envie du moment et leur activité sur le site.  Grâce à son API ouverte à tous et à son équipe interne, les deux libanais veulent proposer prochainement de nouvelles features.

Adapter son business model à un public accro au piratage

Dans le monde arabe, tout est piratable et piraté : des films à la musique, en passant par les applications smartphone, souvent à cause d’une absence de distribution légale. Payer de la musique y semble donc contre-intuitif.  Anghami compte sur les télécoms et les chaînes télé pour payer l’addition (et promouvoir le service) et doit adapter son service freemium au coût de la vie locale. Anghami propose alors un abonnement premium à 5$ le mois (soit moins de 4€), l’équivalent d' "un burger pour un mois de musique de qualité" explique Elie Habib.

Chez Yala, on compte sur la publicité. L’utilisateur doit visionner une pub vidéo Pepsi avant d’obtenir son mp3.

Le fondateur de Yala se montre volontiers provocateur, vantant la musique gratuite et ne cachant pas ces sentiments face à l’industrie de la musique, accusant les labels de ne pas partager les revenus correctement. S'agit-il d'une vraie conviction ou d'une stratégie pour séduire les utilisateurs locaux ? C’est bien ce qu’on peut se demander d’autant que Patrick Chassany a cédé aux sirènes du modèle freemium qu’il a lancé en février.

De façon plus surprenante, Yala compte aussi se rémunérer grâce aux artistes et son programme Yala Backstage, une plateforme pour promouvoir les artistes sur Internet, qui offre un service de gestion des comptes YouTube, Facebook, Twitter et de l’e-réputation (se chargeant de la veille et de la suppression du contenu illégal).

Yala cherche aussi -pour l’instant sans succès- à attirer les opérateurs téléphoniques et les constructeurs téléphoniques. Chassany place ses billes un peu partout. Est-ce une vision claire d’un marché éclaté ou une réaction face au manque de succès ?

Quelle place pour Deezer?

Deezer a déjà commencé à rattraper son retard et son manque de connaissances initiales du marché en adaptant son offre musicale - le site propose plus de musique arabe - et en offrant des recommandations plus adaptées - le service dispose de son équipe dédiée sur place. Mais la route est encore longue. Deezer doit maintenant faire connaître son service dans le monde arabe et convaincre sa cible de passer à un modèle premium. Il lui faudra pour cela comprendre le marché local et les spécificités de chaque pays et imaginer des solutions marketings adaptées.

Deezer arrivera-t-il à se faire écouter par ce marché unique ? La musique sera-t-elle un marché global ou régional ?