Il y a peu, le groupe de bancassurance breton Crédit Mutuel Arkéa créait la surprise en annonçant son acquisition de 86% du capital de la plateforme de cagnotte en ligne Leetchi. L'aboutissement d'une stratégie de veille et de soutien aux startups, impulsée par Ronan Le Moal, directeur général du groupe qui invite à "être curieux, donner une chance à la rencontre, et prendre du temps pour écouter". Finie la banque comme on l'a toujours connue, l'avenir ce sont les FinTech, dont Crédit Mutuel Arkéa entend bien faire des alliées.


Depuis quelques années, le Crédit Mutuel Arkéa se construit une image de banque innovante, quelle est votre stratégie ?

Nous sommes une banque de taille intermédiaire (1,8 milliard de chiffre d’affaires l’année dernière), et en France, plus on est petit plus il faut être agile et réactif pour exister. Il faut jouer la carte de la mobilité. Nous sommes dans une stratégie de développement national, que l’on mène à bien grâce à la technologie. On regarde beaucoup quels nouveaux supports nous pouvons utiliser en tant que banque.

Nous avons été les premiers à lancer notre application iPhone, ça fait du Crédit Mutuel Arkéa un groupe qui cherche à jouer sur sa différence plus que sur sa taille, qui veut rayonner dans la France entière et au-delà et qui utilise la techno pour s’affranchir des frontières.

Et qui rachète Leetchi…

Il y a quelques années, quand on a commencé à travailler avec eux, je ne cacherais pas que l’on avait des appréhensions, mais l’équipe est solide. Et il y a aujourd’hui un vrai boulevard pour ces métiers dans les années qui viennent.

Nous prenons un pari industriel avec Leetchi. Via Monext, nous sommes bons pour opérer les paiements par internet mais Leetchi permet aux places de marché de séquestrer de l’argent pour le compte de tiers. Les retailers ont besoin d’un mix de ces deux solutions. Il n’y a aucun côté prédateur dans notre démarche mais nous faisons en sorte que ces synergies qui peuvent exister entre banques traditionnelles et startups ne soient plus du tout conflictuelles.

Je crois que cette opération donnera des idées à d’autres, dans le numérique au sens large, les solutions qui s’offrent aux startups c’est de lever des fonds, ou de se faire racheter. Mais aujourd’hui il y a une autre voie possible : qu’un industriel vienne investir pour faire de la société un champion. Bien sûr, ça suppose de respecter l’ADN de la société que l’on achète.

Si on investit dans Leetchi c’est que c’est très bien, il ne faut pas s’empresser de tout changer. Ce qui doit changer, ou évoluer, ce sont les synergies commerciales. Mais on ne touche à rien, les équipes sont remarquables. Il faut bien comprendre que les FinTech peuvent être des alliées.

Des alliées qu’il faut tout de même garder à l’oeil ?

Nous observons beaucoup ce que font les nouveaux entrants sur notre marché, mais parce qu’on y voit une opportunité plus qu’une menace.

Et comment organisez-vous votre veille ?

Il faut être curieux, donner la chance à la rencontre, il faut prendre du temps pour écouter. La veille c’est aussi d’assister aux conférences, comme France Digitale Day, d’aller dans les bons endroits comme The Family mais c’est aussi nourri par le réseautage. Nous avons une sorte d’observatoire via des fonds innovants, comme ISAI, dans lequel nous avons pris une participation et les projets qui y passent peuvent nous donner des idées, ce qui en sort est tellement disruptif qu’on ne peut pas l’imaginer.  Mais c’est avant tout un état d’esprit.

Nous sommes aussi dans une démarche de laboratoire, nous avons pris quelques participations dans les FinTech comme Prêt d’Union, nous avons mis un petit ticket pour avoir 34% du capital. Dans Linxo, qui est un agrégateur de compte bancaire, nous avons 25% du capital. Il y a aussi Yomoni etc. Nous avons commencé à nouer des partenariats technologiques et nous continuons les partenariats capitalistiques, et peut-être développerons-nous les acquisitions ciblées.

Quelle relation entretenez-vous avec les FinTech ?

Cette semaine j’ai vu quatre ou cinq projets.  Alors qu’il y a sept ans c’était un travail d’aller au contact des sociétés innovantes, aujourd’hui nous commençons à avoir bonne réputation. Et sur ces sujets-là, lorsqu’il y a un pari à faire, on ne peut pas se contenter de déléguer totalement, il faut que je comprenne le modèle, car ce ne sont pas des modèles standards. J’ai une équipe, qui source les dossiers, les analyse. Le but est d’aller plus loin en montant un écosystème, une équipe de deux ou trois personnes qui pourraient faire un go-between  entre les banques et les startups. On va sans doute créer un fonds pour investir dans le numérique au sens large, quand on se sera équipés de manière plus large, quand on aura rendu scalable notre modèle.

Comment se dessine l’avenir de la banque ?

Une chose est sûre c’est que si la banque de détail ne se réinvente pas elle va disparaître. La législation sur les commissions fait chuter drastiquement les revenus, et la pression réglementaire est très forte : ce sont deux sujets qui questionnent le modèle de rentabilité de la banque.

Aujourd’hui les métiers de banquiers sont verticalisés et nous tous, nous nous sommes échinés à faire moins cher pour être meilleur que les nouveaux entrants, mais ça n’a aucun sens. Le client aujourd’hui ne voit plus la relation que par le produit uniquement. IL faut retrouver une connivence qu’on a perdue. La relation avec le client s’est inversée et ça rebat les cartes mais la réaction la plus saine à avoir c’est de se demander ce qui fait notre valeur.

Il faut des agences différentes, des modèles différents, le conseiller doit être un agrégateur de solutions. La technologie pour la technologie n’est pas le sujet, mais il faut se demander ce qu’elle peut apporter comme valeur au client. Quand vous allez dans votre banque, vous attendez une expérience que vous ne trouveriez pas sur internet.

Pour vous, quels sont les prochains sujets à surveiller ?

J’ai un sujet de préoccupation qui est celui de l’identité numérique et la sécurité des transactions. Comment faire en sorte que la sécurité ne vienne pas brider les transactions. Je pense aussi au biométrique et tous les autres sujets qui peuvent rendre tout plus opérant et plus « friendly ».  Il y a peu, j’ai parlé blockchain avec une personne qui me présentait son projet, et ça aussi c’est une technologie qui peut révolutionner un certain nombre de métiers.