Le désintérêt pour la politique est flagrant et le dialogue entre citoyens et élus semble être de plus en plus difficile. Pourtant le numérique est en train de rebattre les cartes et invite à la démocratie participative, au débat et à l'expression citoyenne.


Le digital est un outil politique puissant. Personne n’ignore le rôle central joué par les réseaux sociaux et les technologies numériques lors du Printemps arabe. Une actualité peut devenir en quelques heures un sujet brûlant suivi par des millions de personnes grâce au hashtag de Twitter – avant même que les médias traditionnels ne s’en emparent. En France nous sommes loin d’un mouvement massif visant à révolutionner les institutions, mais on s’accorde à dire que le politique ne va pas bien. Nous souffrons d’une forme croissante de désintérêt vis-à-vis du politique, d’une forme d’indifférence reflétée par de forts taux d'abstention aux élections des dernières années (50% d'abstention au 2ème tour des élections départementales en mars 2015). Le dialogue entre les citoyens et leurs élus est difficile. Abreuvés de résultats de sondage, les citoyens ne se sentent pourtant pas toujours écoutés.

Mais cela pourrait bien changer. Comme dans tous les autres secteurs, les nouvelles technologies font leur entrée sur la scène politique pour la bousculer. Elles viennent y recréer de la démocratie participative, du débat, de l’expression citoyenne, de l’implication.

Les citoyens manifestent

Avoir accès à une information claire et simple

Dans l'idéal, l'information devrait permettre à chacun de se forger une opinion, de saisir les enjeux globaux d’un débat au delà de sa propre fenêtre. Internet et les réseaux sociaux nous donnent aujourd'hui accès à une masse d’informations en temps réel 24h/24. Cette information pléthorique (la fameuse infobésité) nous laisse souvent, paradoxalement, mal ou pas informés - quand on n'a pas le temps d'analyser l'information et de prendre du recul, pas toujours facile d'avoir un avis éclairé.

Le besoin de clarification et de simplification de l'information grandit. En réponse à cela apparaissent sur la Toile des acteurs dont l’ambition est de présenter l’information politique de manière simple, «neutre» et pédagogique pour permettre à chacun de la comprendre rapidement. On a vu ainsi apparaître ces dernières années des médias pure players qui cherchent à délivrer une information indépendante tout en permettant aux internautes de participer au décryptage des faits sous un mode participatif. Certains ont rencontré le succès (exemple : Mediapart, acteur reconnu du secteur des médias aujourd'hui), d'autres n'ont pas trouvé leur modèle économique (exemple : quoi.info, site participatif qui se voulait « consacré au décryptage et à l’explication de l’actualité. Pas d'opinion, que des faits et des explications pour vous offrir un service nouveau : comprendre l’actu en quelques minutes »).

L’association voxe.org, née en 2012 et finaliste du Google Impact Challenge, mise sur les nouvelles technologies pour délivrer des « informations neutres et claires » sur la politique. Son but : recréer la confiance dans le politique et redonner aux citoyens l’envie de participer à la vie politique de leur pays. L’association a développé un « comparateur neutre » des propositions des candidats aux élections. Elle veut enrichir cet outil et développer une plate-forme sur laquelle il sera possible de débattre, de rédiger des lettres ouvertes, de participer à des réunions publiques. Il est encore trop tôt pour préjuger de son impact, mais l'initiative de voxe.org a le mérite de pointer un besoin bien réel : celui d'avoir accès à l'information "autrement".

les citoyens ont une voix

S'exprimer en tant que citoyen

Les outils digitaux permettent aujourd’hui aux citoyens de (re)prendre la parole pour exprimer ce qui leur tient à cœur. Les réseaux sociaux amplifient leur message pour rallier à leur cause le plus possible de sympathisants.

Lancer une pétition et collecter des milliers, voire des millions de signatures pour la cause que l’on veut défendre est devenu possible à moindre frais grâce à change.org. Cet outil permet au citoyen lambda de donner de la voix et de peser dans le dialogue avec les décideurs. Lancé en 2007 (2012 en France), la plate-forme affirme compter 100 millions d'utilisateurs dans près de 200 pays, dont 5 millions en France. 35 millions d'utilisateurs auraient participé à une campagne victorieuse (chiffres change.org).

Autre initiative, plus récente encore : l’application edemocratie.net, actuellement en version bêta. Cette appli ambitionne de devenir le réseau social citoyen. Elle veut délivrer chaque jour de l’information sur un sujet d’actualité et permettre à tous de débattre autour de ces sujets et de participer aux décisions qui nous impactent. La promesse : chaque thème proposé par l’équipe éditoriale sera accompagné d’un article « court et clair » pour comprendre les éléments du débat. Les discussions sur le réseau social devront permettre de faire émerger les questions prioritaires à l’attention des personnels politiques.

Décidée à disrupter la politique, l’application Gov a été lancée en réponse aux événements de Tunisie et en particulier aux premières élections présidentielles libres de novembre 2014. L’équipe de Gov fait ce constat : les citoyens ont besoin de faire entendre leur voix mais manquent d’outils et de supports modernes pour le faire. Dans un système démocratique qui s'appuie sur des institutions conçues au XIXème siècle, avec un pouvoir qui va « du haut vers le bas », Gov veut donner "une voix aux sans voix » et inverser le système. 10 mois après son lancement, l’appli recensait déjà 3 millions d’opinions exprimées. Sur Gov, outil de « météo de l’opinion »on peut donner son avis au jour le jour sur les femmes et les hommes politiques, répondre à des sondages sur des sujets d’actualité, voir les résultats en temps réels, partager ces résultats, lancer soi-même un débat – bref interagir chaque jour et peser dans le débat public.

Les initiatives ne viennent pas que d'acteurs privés. Elles sont aussi prises par des politiques en place comme vient de le faire Axelle Lemaire, et c'est à saluer comme une première en France. La secrétaire d’Etat au numérique utilise les outils numériques pour impliquer les citoyens dans la co-création d’un projet de loi, sur un sujet susceptible d'impacter tous les aspects de leur vie future. Elle a proposé un débat public autour du projet de loi sur une République Numérique. 21 330 personnes ont participé, le site a enregistré 8501 contributions et 147 710 votes. Un résultat encourageant en termes de participation pour une démarche à laquelle les gens ne sont pas encore habitués. Au final, le gouvernement a ajouté cinq articles issus de ces contributions au texte présenté vendredi 6 novembre.

manifestation de citoyens

Parler avec sa ville

A l’échelle locale, le digital permet aussi aujourd’hui de dialoguer avec sa ville. Intéressées par l’expérience d’une démarche participative, de nombreuses villes (Toulouse, Lyon, Paris…) sont ainsi passées, via les outils digitaux, par une phase de questionnement de leurs habitants, les incitant à proposer leurs idées pour le développement futur de  leur ville. Exemple : le grand débat public lancé par la ville de Paris sur « Paris intelligente et Durable, perspectives pour 2020 et au delà » a pour ambition de permettre au plus grand nombre d’exprimer son point de vue et ainsi d’enrichir le document d’orientation préparé par la Ville de Paris. C’est le logiciel d’intelligence collective Assembl développé par bluenove qui a été choisi pour concrétiser ce projet. Les enjeux sont forts : la technologie doit être capable « d’attraper, de synthétiser et de gérer » cette communauté muti-facettes et éphémère. Le projet a été mis en ligne début juillet 2015. A la mi-octobre, plusieurs milliers de personnes sont venues consulter le site, 500 messages y ont été postés par 76 participants au total. A première vue, on est donc loin d’un raz-de-marée participatif, mais là encore l’outil est très nouveau.

La toute récente application Vooter propose à tout un chacun de s’exprimer sur les projets de sa ville. Les habitants de Bougival dans le 78 ont par exemple dès aujourd’hui la possibilité de tester Vooter pour donner leur avis sur l’implantation de bornes Autolib’ dans leur ville. Le mobinaute a accès via la géolocalisation aux projets de sa ville. Il peut donner son avis en cliquant sur l'une des réponses proposées par l'appli et s'il souhaite s'exprimer plus en détail, envoyer un mail aux responsables du projet via l’appli. Au même moment, 4 communes du Pays Basque testent l'appli popvox, aux objectifs assez comparables. Développée par une startup locale, popvox fonctionne aussi sur la géolocalisation et propose de développer les relations de proximité entre les villes et les citoyens, sous plusieurs formes. Les citoyens pourront poser une question, participer à un sondage, lancer un débat et voir les résultats en temps réel. La ville pourra de son côté lancer un projet participatif, poser des questions aux habitants pour mieux cerner leurs besoins, les informer en temps réel, publier des alertes : le champ des possibles est très large et les "bêta tests" vont contribuer à donner à l'appli sa forme définitive.

On peut également citer l’application city2gether développée par soyhuce. Son objectif : permettre aux citoyens d’une ville de s’impliquer dans la vie de leur cité, de développer un engagement citoyen pour améliorer la vie en commun, mais aussi – c’est ce qui nous intéresse ici - de créer la possibilité technique d’un dialogue direct et simple entre les citoyens et leur ville. Au final, city2gether veut « redonner goût au citoyen de prendre part à la vie de la cité », bref construire la « Démocratie Urbaine ».

De nombreuses questions encore ouvertes

Quel rôle ces nouveaux outils sont-ils appelés à jouer dans la démocratie des années à venir ?  Vont-ils être capables de redonner aux citoyens l’envie de dialoguer avec leurs élus, de s’impliquer dans la vie politique de leur pays et de leur ville ? Vont-ils rendre aux citoyens la possibilité de jouer un rôle actif ? Aujourd’hui tout reste à inventer. La notion même de démocratie participative reste assez floue, même si on la voit émerger à travers de nombreuses initiatives publiques ou privées.

Ces outils qui ambitionnent de réveiller la démocratie doivent encore prouver leur pouvoir d’adhésion, pour amener le plus grand nombre  à participer et à s‘exprimer. Ils doivent aussi prouver leur pouvoir d’action : ce que les citoyens expriment à travers ces outils doit être pris en compte par les décideurs et avoir un impact sur la vie politique. Comment, sous quelles conditions et dans quelle mesure, puisqu’ils ne peuvent remplacer, en tout cas aujourd’hui, le vote dans les urnes ? Quoi qu’on en pense, la démocratie du XXIème siècle est bel et bien en train de se construire sous nos yeux, en ce moment - et le numérique sera sans aucun doute au coeur de son fonctionnement.

Article proposé par Chloé Duval

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