Vendredi 12 février 2016 avait lieu la deuxième journée d’audience du procès opposant les fédérations de taxis à la société californienne de VTC Uber. Comment se sortir de cette situation qui oppose taxis et VTC ?


La lutte instaurée par les taxis contre le service de VTC symbolise en réalité une forme de querelle bien connue en France entre certains anciens plaidants pour une protection de leurs acquis et d’autres plus modernes souhaitant au contraire une évolution dans le sens de l’innovation et du progrès.

La coexistence par le haut de ces deux mondes ne pourra passer que par l’adaptation du modèle le plus ancien et non par la restriction de celui le plus moderne.

De la rue vers le prétoire

Durant l’été 2015, certains taxis décident de réagir contre ce qu’ils considèrent comme une menace pour leur modèle économique.

Plusieurs chauffeurs et utilisateurs de VTC sont agressés et parfois même sévèrement blessés. On se souvient du visage tuméfié d’Alexandre, jeune client lyonnais d’UberPop, qui a subi la colère de certains taxis
à coups de poings au visage. Plusieurs chauffeurs ont alors été placés en garde à vue pour avoir choisi le système de défense le plus rétrograde possible : la violence.

A la suite de ces évènements, la lutte s’organise. Plutôt que d’être guidés par la volonté de démontrer la qualité de leur service et pour promouvoir le bien être du client, certains syndicats de taxi appellent au contraire à la manifestation et au blocage des routes. Fantastique communication négative, tournée en dérision sur internet, encore et encore. De son côté, Uber s’excuse pour la gêne occasionnée et offre une course gratuite à ses utilisateurs. Deux consciences, deux modèles, deux réponses, aussi.

Aujourd’hui, les différentes fédérations de taxis (FNAT, FNTI, FFTP) réclament la somme invraisemblable de 103,7 millions d’euros de de dommages et intérêts pour le préjudice financier prétendument subi ainsi que pour le « préjudice moral lié à la détérioration de l'image de la profession de taxi », image de marque dont ils participent de sa détérioration tous les jours par leurs actions. Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude.

Les premières audiences avaient été suspendues en septembre 2015 suite au dépôt d’une question prioritaire de constitutionnalité. Jeudi 11 et Vendredi 12 février 2016, le procès à repris dans la salle où Marie-Antoinette fut condamnée par le Tribunal révolutionnaire. Faut-il y voir un symbole ?

En attendant, d’aucun évoque une prétendue délinquance 2.0 mais la seule délinquance dans ce dossier est celle de la rue et l’on sait malheureusement qui porte les coups et qui en porte les stigmates.

Des anciens contre les modernes

Cette affaire illustre en réalité deux approches possibles face à l’innovation. La querelle qui avait agité le monde artistique à la fin du XVIIème siècle permettait déjà de dégager les lignes de forces qui réapparaissent aujourd’hui sous les mêmes formes à l’ère du numérique.

D’un côté, les anciens qui ont l’idée d’un monde indépassable et qui considèrent le système actuel comme abouti ; tout changement ou évolution ne peut dès lors conduire qu’à une aggravation de la situation présente. Les anciens sont ainsi souvent pessimistes - eux disent réalistes - et affirment qu’il vaut mieux conserver les choses telles qu’elles sont car l’inconnu, le futur ou le progrès n’en seront que pire.

De l’autre, les modernes qui affirment au contraire que la création implique l’innovation. Face aux problèmes, à l’imperfection, ils considèrent qu’il faut l’emprunter la route de la modernité et du progrès.

Deux solutions ainsi s’opposent. Soit trouver des subterfuges législatifs ou réglementaires de nature à endiguer provisoirement l’émergence de solutions novatrices que les utilisateurs plébiscitent et qui auront de toute façon nature à ressurgir un jour, ou au contraire permettre à d’anciennes solutions de se moderniser pour faire face à la nouvelle économie.

De l’adaptation plutôt que de l’opposition

Un changement de modèle est un catalyseur d’innovation, un cercle vertueux favorable à tous. L’avènement des VTC s’avère d’abord un formidable catalyseur pour l’économie qui permet à tout un chacun de lancer sa propre activité ou de s’adjoindre une activité complémentaire, à l’heure où le pouvoir d’achat est une préoccupation centrale du gouvernement.

C’est ensuite un catalyseur pour les taxis dont l’arrivée d’Uber a créé un besoin, une habitude des utilisateurs qui rejaillit sur l’ensemble de la profession. C’est enfin un catalyseur pour les utilisateurs qui ont vu les standards de qualité proposés par Uber peu à peu adoptés par les taxis dont l’image de marque s’en trouve considérablement renforcée.

Ainsi, à défaut d’opposer les taxis et les VTC qui font en réalité partie d’un même ensemble, il faut au contraire plaider pour des mesures de nature à permettre aux taxis de faire face à cette nouvelle concurrence que représentent les VTC, sans pour autant limiter ces derniers dans leur croissance exponentielle. C’est d’ailleurs dans ce sens qu’est allé le Conseil constitutionnel dans une décision n° 2015-516 QPC du 15 janvier 2016, aux termes de laquelle au nom de la "liberté d'entreprendre", il estime qu’un chauffeur de taxi pouvait aussi être conducteur de voiture de transport avec chauffeur.

Moralité, il faut donc s’attacher davantage à lutter contre les clauses d’exclusivité des centrales de réservation de taxis, plutôt que d’afficher des mesurettes inutiles de nature à restreindre le champ d’activité des VTC qui ne sont pas à la hauteur des enjeux.

A l’heure où le discours du Ministère de l’Economie se veut volontariste et engagé vers l’innovation et les nouvelles technologies, sanctionner Uber juridiquement ou politiquement serait un très mauvais signal envoyé au monde de l’économie numérique dans son ensemble. A bon entendeur.

Article écrit par Arnaud Touati, avocat spécialisé dans le droit des startups et des nouvelles technologies.