« The World is Flat », expliquait en 2005 Thomas Friedman dans son best seller « The World Is Flat: A Brief History of the Twenty-First » pour décrire l’arrivée d’un monde horizontal de réseaux de coopération, de marché à l'heure de sa numérisation.


Il parle ainsi d'une globalisation 3.0, celle ouvrant la voie à une triple convergence : technologique, économique et sociale. Sa particularité ? La mise à disposition des ressources de la planète en un clic. Une façon d'annoncer le bouleversement que la nouvelle économie allait réaliser.

Bienvenue à l'Ere des talents

2016 est déjà là et force est de constater qu'aujourd'hui le monde n'a jamais été aussi plat ! Mais cette fois-ci, la vision se fait plus alarmiste. Les nouveaux leitmotivs véhiculés renvoient à une série d'armes défensives: dé-bunkérisation (des silos), uberisation (des business modèles classiques), injonction à l'innovation distribuée... Il s'agit de faire face à cette accélération technologique.

Désarmés, les secteurs traditionnels s’empressent alors de rebondir sur les propos de l’économiste français et prix Nobel (2014), Jean Tirole, pour ses travaux sur « le pouvoir du marché et sa régulation ». La vision est en effet plus « rassurante » : elle exhume la théorie de Schumpeter pour une nouvelle théorie de la régulation "made in 3.0/4.0". L'équation devient tout de suite plus simple : « Qui dit révolution industrielle dit destruction créatrice ». Une façon d’exorciser le marché de sa schizophrénie contemporaine et de son « complexe de Prométhée ». Pour les « Davociens », le terme "création" rimerait cependant plus avec celui de "destruction" ... des emplois, des secteurs traditionnels.

Et pourtant à l’aube de la réalité nouvelle d'une "quatrième révolution", c'est aussi une ère des talents qui se dessine. Celle où le potentiel humain sera le premier facteur de croissance économique. Sous le dénominatif de génération C (pour Communication, Collaboration, Connexion et Créativité), cette génération des talents impose avec elle ses façons de travailler.

Et c’est le modèle du coworking, collaboratif et ouvert qui semble arriver en force partout dans les grandes métropoles.

L'Ile-de-France arriverait d’ailleurs en 3ème position avec 88 espaces, derrière Barcelone (92), New York (119), selon le récent classement de La Fonderie sur la révolution mondiale du coworking.

wikibuilding

Dès lors quel environnement mettre en place pour développer une vision optimiste des Futurs du travail ? Comment intégrer, attirer cette nouvelle génération ?

Pour Bernard Michel, président de la foncière immobilière Gecina, il s'agit d'avoir avant tout le souci urbain dans les opérations tertiaires. Pour Alain Renk, architecte et urbaniste programmiste, il s’agit de démocratiser la place de la créativité à toutes les échelles, en commençant par développer un immobilier tertiaire aux dynamiques wikibuildings

Une rencontre étonnante pour une définition plus apaisée du mot « uberisation », résonnant d’ailleurs plus avec « civic uberisation ».

Immobilier tertiaire, ouvert sur la ville

Pour Bernard Michel, les futurs du travail imposent aujourd’hui aux acteurs de la ville d’avoir une intelligence de la lecture du bâtiment. Dans l’immobilier tertiaire, c’est par exemple imaginer la réversibilité des surfaces, ses usages dans le temps.

« C’est une approche qui demande ainsi d’avoir avant tout le souci urbain. »

Des lieux comme le NUMA, c’est en effet plus qu’une connexion wifi. Ce sont des événements, des animations, des ateliers...des espaces d’émulation entre salariés et travailleurs indépendants (freelance, artistes, ..), voire pour ICI Montreuil Makers.

« Plus inclusive, plus sociale, plus citoyenne­, leur approche touche directement la question du programme et du portage économique des locaux. »

Il s’agit donc pour les foncières, les promoteurs, la ville de s’ouvrir à d’autres acteurs.

« Quand on parle d’uberisation des secteurs traditionnels, ça renvoie donc au fait que ces espaces tiers ont réussi à créer des lieux utilisés... et pas seulement par leurs utilisateurs directs. »

C’est un point essentiel en termes d’innovation pour les futurs du travail : car c’est une dynamique encore différente des grands centres d’affaires et télécentres.

Des bureaux ouverts à la culture et à l'innovation 

Quand on parle d'Ere des Talents, de génération C/Z ou encore millennial, nous sommes en fait renvoyés aux images du web, propices à la sérendipité. Dans le monde physique ça se traduit par des lieux hybrides, mixtes et réversibles. Demain votre logement sera peut-être un bureau, et vice versa. Récemment Gecina a par exemple inauguré la résidence Campuséa Montsouris qui est le fruit d’une reconversion d’anciens bureaux en une résidence pour étudiants. Un bureau aura ainsi plusieurs vies. Nous ne sommes plus dans une démarche de l’obsolescence.

« Bien plus que simplement défendre l’innovation technologique, les espaces de coworking proposent un réel concept culturel de l'innovation. »

C’est la « leçon », par exemple, d'IBA Emscher Park (en Allemagne) qui a fait le pari de la culture et de l’art pour transformer le regard qu’avaient les habitants sur ces friches industrielles de la région de la Ruhr.

Implémenter des services pour apporter des réponses concrètes aux contingences contemporaines est devenu une nécessité. C’est l’idée, par exemple, du partenariat avec Indigo pour mettre en place une offre de parkings partagés.

« Mais, l’impératif de se tourner vers des offres intégrées mêlant fab labs, espaces étudiants, ateliers devient la clé pour être attractif et compétitif aujourd’hui, face à une génération C. Tout tiendra dans le projet, dans les liens que l’on arrivera à tisser avec la population, le quartier. »

Les bureaux du futur devront s’inspirer des laboratoires urbains, à l’image du Matadero de Madrid, autrement dit des lieux dédiés à l’expérimentation et la production artistique, sociale et urbaine.

Génération C, pour un appel à des villes contributives

Finaliste parmi les projets de "Réinventer Paris" avec sa méthode Wikibuiding, Alain Renk, architecte et urbaniste programmiste a très vite senti qu’il était entre deux mondes : d'un côté, celui du concepteur-architecte, aux standards normatifs et qualitatifs, figés dans le temps et l’espace; et de l'autre côté celui des nouvelles échelles du numérique et de l’ubiquitaire. Avec un constat :

« Les formes urbaines allaient être complètement modifiées par le numérique et donneraient lieux à des villes hybrides et fractales. Fractales car il y aurait interpénétration des ensembles immobiliers, tissage des lieux, mixité des usages et évolutivité de la vie du bâtiment. »

wikibuilding systeme

Inspiré par les écrits d’Amartya Sen, économiste et philosophe indien connu pour ses travaux sur l’économie du bien-être et son approche par les capabilités, Alain se fait l’apôtre d’une ville optimiste, celle issue d’une « société liquide » dont le chaos ne serait qu’apparent de par ses nouveaux agencements mobiles et collectifs. Avec quelle ambition ?

« Démocratiser la place de la créativité à toutes les échelles, à commencer par celles de l’Habitat. »

Car, de facto, les technologies de la ville intelligente ont ce potentiel de rendre autonome la société civile.

En s’ouvrant loin du joug de ses décideurs classiques, les acteurs de la famille de la ville doivent ainsi voir leur métier bouger. De la conception urbaine à la question du programme, en passant par celle du portage économique, un cri se faisait désormais entendre jusqu’au trémolo virtuel : « O-Y-M » pour Open Your Mind !

Un immobilier wiki, pour les futurs du travail

C’est du côté de la « Culture open source » qu’est née la méthode wikibuilding.

« Demain les immeubles, les quartiers, les villes seront construits grâce à des systèmes d’exploitation ouverts permettant d’écrire, d'améliorer puis de réécrire le programme immobilier », raconte Alain.

Utopie d’un Eric Raymond de l’architecture (en référence au hacker américain ayant popularisé le terme d’open source) faisant de l’immobilis une matière vivante ? Pas vraiment puisque les premières pierres de ce projet prométhéen sont déjà là.

Co-fondateur de la startup UFO qui développe des outils numériques d'intelligence collective pour l'urbanisme, de l'agence HOST ou encore du collectif "Urbanisme Collaboratif", Alain Renk explique que :

« Son idée est de faire émerger la ville contributive dont le wikibuilding serait la première brique tangible »

Il s’agit de faire table rase de la vision de « l’expert solitaire » et de créer un circuit dialogique vertueux.

« L’idée est en effet de rendre effective l’intelligence collective, à l’image du projet Wikipedia. Demain, on parlera d’immoWiki. »

Pour ce faire, trois cercles sont impliqués dans le processus même de conception: le cercle des concepteurs, de la société civile et celui des partenaires.

L’orchestration et l’équilibre des forces se concentrent autour de quatre piliers méthodologiques. Le premier vise à penser l’architecture comme une plateforme. L’enjeu est d’offrir un écosystème avec les meilleures conditions de production et de maîtrise d’ouvrage. Elle permet ainsi la rupture des charges

« Autrement dit, c’est la version App Store de l’immobilier », résume Alain.

Le deuxième, c’est la démarche collaborative articulée autour d’un « charte ». Y prime une intelligence pratique des solutions à mettre en place. Le but étant de faire émerger des idées nouvelles.

Le troisième pilier vise quant à lui à faciliter le travail d’implémentation des idées émergentes.

« C’est l’architecture des "capabilités". Les plans sont mis à la disposition de la communauté des wikibuilders pour apporter des solutions et les tester. Et l’évaluation se fait par son usage. C’est la méthode propre aux startupers : le fameux test & learn ».

D'où l’intégration de communs urbains. Ni privés, ni publics les communs urbains du Wikibuilding sont ouverts à tout un chacun, et la notion des coûts est elle aussi envisagée sous cet angle.

Enfin la démarche open source : ce dernier pilier est la partie documentée, car le projet, en libre circulation, doit laisser des traces pour permettre sa mutabilité.

wikibuilding Cluster Ville

Des dynamiques wikibuildings, signe d’une « civic uberisation »

Alors uberisation du secteur immobilier ?

« Chez UFO ou HOST, nous préférons parler de ‘civic uberisation’ », précise Alain Renk.

Par rapport au marché traditionnel, nous envisageons les structures de coûts en fonction des alternatives offertes par l’économie numérique. C’est une optimisation des coûts à toutes les échelles, avec en plus une ouverture à de nouveaux acteurs.

« Tout dépend des communs urbains et de leurs degrés d’intégration au sein des programmes immobiliers. »

Avec lui, la disruption ne résonne pas avec les vocables « smart », « 4.0 » ou encore « IoT », tant naturalisés par les médias. Il s’agit plus d’un aller-retour direct aux sources des utopies du web et de son modèle de gouvernance. Et c’est peut être là qu'est la grande révolution.

Article rédigé par Camille Fumard