Discuter avec son médecin sur smartphone ou bénéficier de conseils professionnels en ligne : les services de télémédecine se développent largement à l'étranger mais en France les médecins luttent pour se réserver ce marché prometteur. Un marché également contraint par une forte réglementation qui selon l'Ordre des médecins, ne permet pas le développement de la télémédecine.

Halte à l’ubérisation des prestations médicales ! s'inquiétait en février le Conseil national de l'Ordre des médecins (CNOM), dans un communiqué. "Il existe un véritable risque de dérive vers du commerce électronique non régulé qui réduirait la pratique médicale à une simple prestation électronique moyennant rétribution", s'alarme-t-il. Objet de ses foudres : le site Deuxiemeavis.fr, qui propose d'obtenir un avis contradictoire d'un médecin. Le patient répond à un questionnaire et télécharge son dossier médical sur le site. Moyennant 295 euros, il obtient alors un avis "entièrement personnalisé" en ligne sous un délai de 48 heures à 7 jours. Dans le même genre, sur mesdocteurs, l'internaute peut poser une question à un praticien qui lui répond dans les quinze minutes pour 4,99 euros.

Autre cible du CNOM : les téléconsultations proposées par des assureurs privés comme Axa, qui offrent à leurs membre un service de consultation par téléphone 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24. Le patient bénéficie de conseils et peut recevoir, le cas échéant, une ordonnance. Le dispositif exclut la délivrance de certificats médicaux ou d’arrêts de travail. Le CNOM dénonce ici un système de soins parallèle et une sorte de "contournement" du régime obligatoire.

Un secteur extrêmement régulé

On est pourtant loin d'une jungle médicale en France. Le secteur de la télémédecine est extrêmement encadré par un décret de 2010 et par le code de la santé publique, qui stipule que la médecine "ne peut pas être pratiquée comme un commerce et que toute forme de publicité directe ou indirecte pour un médecin est interdite". Mais Deuxiemeavis assure délivrer des "conseils personnalisés" non assimilables à des téléconsultations médicales telles que définies par le décret. "Nous répondons aux inégalités sanitaires" , se défend Pauline d'Orgeval, une des confondatrices, dans un article du Monde.

Le CNOM soulève aussi la question des données privées : le médecin doit pouvoir répondre de son activité en cas de contentieux, ce qui suppose l'enregistrement et la conservation des entretiens médicaux. "Cela pose de toute évidence des questions de confidentialité et de sécurité et la CNIL doit être consultée", alerte-t-il.

A l'instar des taxis, les médecins entendent garder leur monopole. Le CNOM demande une clarification de la réglementation afin que "les services de télémédecine soient intégrés [...] dans les parcours de soins des patients et les pratiques quotidiennes des médecins". Il appelle aussi à la rémunération du médecin pour les actes de télémédecine, actuellement non couvertes par la nomenclature de l'Assurance maladie.

Ailleurs, la télémedecine décolle déjà

A l'étranger les débats français peuvent sembler bien philosophiques. Au États-Unis par exemple, le groupe One Medical, qui possède entre autres des cliniques low cost, a développé sa propre application mobile qui inclue notamment un outil de diagnostic. Le patient répond à quelques questions et une ordonnance correspondant à ses symptômes est transmise directement à sa pharmacie. Les clients de la plateforme peuvent en outre "chatter" en vidéo avec un vrai médecin ou prendre rendez-vous dans un centre de soins. Bien d'autres startups (Doctorondemand, Breakthrough...) se sont lancées dans la télémédecine, il est vrai dans un pays où la santé est financée essentiellement par les entreprises, donc qui adresse un marché est B to B.

En Europe, la startup finlandaise MeeDoc propose des consultations en ligne : le patient peut discuter avec un médecin, envoyer des photos de ses boutons ou d'une blessure et obtenir un diagnostic et une ordonnance. "75% des visites chez le médecin pourraient être réalisées par téléphone", assure l'entreprise, qui a ouvert des filiales dans sept pays européens.

Médecins et chauffeurs de taxi, tous ringards ?

Les médecins français ne sont pas forcément hostiles à l'utilisation des technologies. 70% d'entre eux jugent nécessaire d’intégrer le numérique dans l’organisation des soins sur les territoires, d'après une étude du CNOM lui-même. De fait, de nombreuses expériences sont menées dans des centres hospitaliers et les praticiens sont nombreux à y voir un intérêt pour le suivi des patients atteints de maladies chroniques par exemple. "La télémedécine peut répondre aux besoins d’accès aux soins de "premier niveau" et contribuer au désengorgement des services d’urgences" , avance de son côté un rapport de la DGE.

Comme pour les taxis, les barrières législatives ne résisteront sans doute pas bien longtemps aux assauts de la technologie. Rien qu'en 2015, trois milliards d'applications santé ont été téléchargées dans le monde, d'après une étude Research2guidance. Grâce aux objets connectés, chacun peut mesurer en permanence sa tension, sa température, son activité physique, la qualité de son sommeil ou de son alimentation. Les Google, Apple et autres Facebook lorgnent avec appétit sur ce juteux marché. Les laboratoires pharmaceutiques sont eux aussi dans les starting-blocks pour délivrer gratuitement des services de santé. L'ouverture à la concurrence de la télémédecine n'est qu'une question de temps.

La télémédecine est reconnue par la loi (Article L6316-1 du code de la santé publique) comme étant "une forme de pratique médicale à distance utilisant les technologies de l'information et de la communication". Elle met en rapport un patient et un professionnel médical dans le but d'établir un diagnostic, d'assurer un suivi à visée préventive ou post-thérapeutique, de requérir un avis spécialisé, de préparer une décision thérapeutique, de prescrire des produits, ou d'effectuer une surveillance de l'état des patients.

Article écrit par Céline Deluzarche

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