Plutôt que de collecter des données chacun de leur côté, les objets intelligents du futur interagiront sans intermédiaire via à un système d'autogestion décentralisé.

Imaginez une cafetière qui commande elle-même ses capsules compatibles lorsque son stock est épuisé. Les appareils électriques de votre maison qui s'arrêtent quelques heures dès que le prix prévu par votre contrat est dépassé. Une voiture qui se bloque lorsque la durée de location est dépassée. Une machine à laver qui sollicite l'intervention d'un technicien en cas de panne. Une compagnie dont la valeur des stocks s'ajuste en temps réel grâce à des capteurs placés dans les cuves.

La croissance exponentielle des objets connectés implique une révolution

Bienvenue dans l'Internet des objets par la blockchain. Chaque jour, près de 10 nouveaux objets connectés entrent en service dans le monde, d'après Gartner, qui prévoit 20,8 milliards d'appareils reliés à internet d'ici 2020. Mais cette prolifération soulève toutefois plusieurs questions. Celle de la sécurité, d'abord. En 2015, deux informaticiens avaient réussi à prendre le contrôle à distance d'une Jeep Cherokee, et des cas de piratage de caméras de surveillance, de thermostats, de télévisions ou même de défibrillateurs ont été observés. Selon un sondage Ifop de 2015, 65% des Français considèrent ainsi que leurs données sont mal protégées avec les objets connectés.

Deuxièmement, les données collectées par la caméra de surveillance, la balance intelligente ou la voiture connectée sont aujourd'hui stockées sur un serveur appartenant à l'entreprise qui les commercialise. Ce qui pose évidemment la question de leur confidentialité et de leur utilisation. "Aujourd'hui, de nombreux objets connectés ne servent pas à faciliter la vie de leurs utilisateurs... mais à fournir une masse de données à leurs fabricants qu'ils peuvent revendre ou exploiter à des fins publicitaires", brocarde Stephan Tual, le fondateur de Slock.it, une startup spécialisée dans l'internet des objets.

La blockchain pour décentraliser la collecte des données

Plutôt que de collecter toutes les données des objets connectés dans un cloud privé, certains envisagent donc de les inscrire sur une blockchain. Il devient donc impossible de changer la configuration d'un appareil ou de le pirater sans modifier tout le registre. D'autre part, "les données restent dans votre maison, cryptées et accessibles uniquement par vous-même", insiste Stephan Tual. Mais le plus gros avantage, c'est le système décentralisé induit par cette technologie. "La technologie blockchain une réduction de cout significative", se félicite Philippe Bournhonesque, Chief Technical Officer d'IBM France. "On réduit aussi le risque de panne réseau". Et surtout, on permet aux différents objets d'échanger directement entre eux, via des "smart contracts" enregistrés sur la blockchain.

De la logistique à la serrure intelligente, les applications sont infinies

De plus en plus d'acteurs de l'internet des objets s'intéressent donc à la blockchain. En janvier 2015, IBM a présenté un prototype de réseau baptisé ADEPT (Autonomous Decentralized Peer-to-Peer Telemetry) pour proposer des solutions adaptées à leurs clients. La première application  vient de se concrétiser : il s'agit de "conteneurs intelligents" pour le hub ferroviaire de Kouvola en Finlande. "Toute la chaine logistique est suivie et partagée en temps réel par les différents acteurs", détaille Philippe Bournhonesque. Le groupe informatique a développé plusieurs autres solutions, comme le suivi des pièces détachées, la maintenance d'appareils (ascenseurs par exemple), ou même une place de marché publicitaire, où l'écran de l'objet connecté pourra afficher une pub en fonction des enchères remportées par les annonceurs. "Plus de 1200 sociétés peuvent déjà tester des applications grâce à notre plateforme", se réjouit Philippe Bournhonesque.

Les startups sont elles aussi entrées dans la course. Slock.it promet ainsi de "créer l’infrastructure de la future économie du partage" grâce des contrats passés entre objets connectés. Si quelqu'un veut par exemple louer votre appartement, il passe par le contrat lié à la serrure de la porte inscrit sur la blockchain. Sitôt le paiement effectué, la serrure est déverrouillée. Une sorte d'Airbnb sans Airbnb. La startup a également conclu un partenariat avec l'énergéticien allemand RWE dans le but de créer des bornes de chargement autonomes pour les véhicules électriques. Une autre jeune pousse, Filament a levé l'an dernier 5 millions de dollars pour développer un capteur intelligent afin d'optimiser les ressources dans l'agriculture ou les matières premières.

Interopérabilité, capacité du réseau et freins culturels : les prochains défis

Pourtant, comme le reconnait lui-même Philippe Bournhonesque, le monde des objets 100% autonomes n'est pas pour demain matin. D'abord, il existe plusieurs blockchains différentes et elles ne sont pas compatibles entre elles. IBM utilise par exemple le protocole Hyperledger, tandis que Slock.it travaille sur Ethereum. Si Airbus pourra aisément imposer son standard pour ses sous-traitants, tous les fabricants de machines à laver n'auront peut-être pas tous le même prestataire informatique. Autre souci : la capacité du réseau à supporter un nombre considérable de transactions. Dans le cas du bitcoin, les "ordres" passés sur la blockchain sont très simples (un échange d'argent de A vers B).

"Le cas des objets connectés est beaucoup plus complexe", assure le consultant Benedikt Herudek. "Vous avez besoin non seulement d'un mineur, qui édite un bloc de transactions, mais aussi d'un traducteur, qui interprète l'ordre envoyé par un objet". Pour limiter la quantité de données, IBM a ainsi placé des filtres. "Dans la logistique, par exemple, nous ne conservons pas l'ensemble des positions du conteneur. Elles sont enregistrées tous les 100 kilomètres, ou à chaque fois qu'il change de mode de transport, du train au bateau par exemple", illustre Philippe Bournhonesque.

Restent enfin des questions juridiques et culturelles. Quel droit s'appliquera à cet internet des objets sans autorité référente ? Qui sera responsable en cas de conflit ou d'erreur lors d'une transaction ? Et finalement, sommes-nous prêts à nous passer de tous intermédiaires auxquels nous sommes habitués ? Avec des objets autogérés, pas de conseil de la part de notre assureur, de service après-vente aux petits soins, bref, de relation humaine. Un monde nouveau à imaginer.