Connu de tous les entrepreneurs, le cofondateur de Microsoft, Bill Gates, s'est peu à peu retiré de la direction de l'entreprise au profit d'une activité associative avec son épouse. Mais l'informaticien-entrepreneur continue de garder un oeil sur la sphère entrepreneuriale. Ainsi, dans un post publié à l'origine sur son blog, Bill Gates s'interroge sur l'innovation, et plus particulièrement sur son lien avec le pouvoir. Les dirigeants sont-ils un catalyseur d'innovation ? L'ancien numéro 1 de la firme de Redmond apporte son éclairage.

Alors que les candidats à l’élection présidentielle américaine dévoilent leurs visions concurrentes pour leur pays, je réfléchis à un sujet qui n’a pas encore été abordé en détail : qu’est-ce que le pouvoir politique peut faire afin d’accélérer l’innovation. L’innovation a amélioré nos vies au long du siècle dernier. De l’électricité aux voitures, en passant par les médicaments et les avions, l’innovation a rendu le monde meilleur. Aujourd’hui, nous sommes bien plus productifs grâce à la révolution es nouvelles technologies. Les économies les plus florissantes sont menées par des industries innovantes qui évoluent afin de répondre aux besoins d’un monde qui change. Des avancées qui ont installé l’ordinateur sur chaque bureau aux découvertes ayant permis de créer des vaccins sauvant des vies, les grandes innovations résultent d’investissements gouvernementaux dans la recherche ainsi que de la créativité et du financement du secteur privé, qui permettent d’en faire des produits qui font changer les choses.

J’ai entendu certaines personnes arguer que les innovations disruptives proviennent exclusivement du secteur privé. Mais l’innovation débute avec le soutien gouvernemental envers les laboratoires de recherches, avec les universités travaillant sur de nouvelles perspectives que les entrepreneurs peuvent ensuite transformer en entreprises qui changent le monde.

Pourquoi les gouvernements devraient-ils investir dans l'innovation ?

J’ai été assez chanceux pour être étudiant alors que les ordinateurs débarquaient, dans les années 1960. Au début, ils étaient très chers et y avoir accès était compliqué. Mais la double révolution du microprocesseur et de l’internet — toutes deux rendues possibles par les recherches menées par le gouvernement états-unien — a complètement changé la donne. Il n’y a rien de surprenant à voir que les entreprises les plus novatrices en matière de matériel et de logiciel soient basées aux États-Unis.

Accélérer l'innovation demande à la fois du leadership politique et du leadership du secteur privé.  Alors que les électeurs américains s'apprêtent à choisir les candidats qui siégeront dans les bureaux nationaux comme dans les bureaux locaux, et alors que de nombreux pays autour du monde vivent des transitions politiques similaires, je crois que nous devrions bien évaluer quel genre de dirigeant sera le moteur des innovations dont nous avons besoin.

Les plus grands leaders ont la capacité de gérer d’une part les situations urgentes, qui requièrent leur attention aujourd’hui, mais également de poser les pierres d’innovations dont nous récolterons les bénéfices durant des dizaines années. En tant que pays et à travers le monde, nous faisons face à un large éventail de problèmes urgents auxquels nos dirigeants doivent s’attaquer (du terrorisme à la création d’emploi, en passant par la migration). Notre prochain président fera partie d’un nouveau groupe de dirigeants mondiaux qui lutteront contre ces problèmes urgents. Ces dirigeants pourront faire une priorité de l’allègement de la pauvreté, de l’amélioration de la santé et de l’accélération de la croissance économique ; ou alors, ils pourront laisser le progrès se paralyser. Le soutien à l’innovation est la clé lorsqu’il s’agit de faire du progrès une priorité.

En 1961, le président John F. Kennedy s’est adressé au Congrès et a mis le pays au défi de lancer un homme sur la lune durant la décennie ; cela reste l’un des exemples les plus forts d’un dirigeant débridant l’innovation des secteurs public et privé à la fois. Ce discours est arrivé à une époque de crise politique et culturelle alors que seule la sécurité économique et nationale faisait les gros titres. Le président Kennedy croyait que le fait de regarder vers le ciel allait inspirer le pays à rêver en grand et à accomplir d’importantes choses.

Ce discours n’a pas simplement permis à l’humanité de réussir un voyage vers la lune. Il a également incité les États-Unis à construire un réseau satellite qui a changé la façon dont nous communiquons à travers le monde et qui a produit de nouveaux types de cartes météorologiques, permettant aux agriculteurs de devenir bien plus productifs. Face à la peur, le président Kennedy a réussi à appeler le pays pour qu’il exploite l’ingéniosité américaine et qu’il fasse avancer le progrès humain.

Il est important de se rappeler ce qui a fait de ce lancement de fusée une réussite ; c’est ce qui transforme la rhétorique politique en une avancée majeure. Un tel challenge nécessite un objectif clair et mesurable qui capte l’imagination de la nation et modifie fondamentalement sa perception du possible. Et cela requiert de mobiliser les ressources et l’intelligence des secteurs public et privé. Lorsque l’on fait cela, nous suivons le chemin d’un futur plus sûr, plus sain et plus fort.

Parce que nous sommes à un moment clé où les conditions pour des innovations disruptives sont mûres, il y a beaucoup de choses importantes que ce nouveau groupe de dirigeants nationaux (y compris celui ou celle qui sera élu aux États-Unis en novembre) pourra accomplir durant la prochaine décennie. Selon moi, quatre objectifs devraient être leurs priorités :

  • fournir à chacun sur terre de l’énergie à un prix abordable sans contribuer au changement climatique
  • développer un vaccin contre le VIH et un traitement pour les maladies neuro-dégénératives
  • protéger le monde de futures épidémies qui pourraient être plus infectieuses qu'Ebola et plus mortelles que Zika
  • donner à chaque étudiant et professeur de nouveaux outils pour que tous les étudiants bénéficient d’une éducation de calibre mondial

Fournir de l’énergie à un prix abordable sans contribuer au changement climatique

Le développement de technologies qui rendraient l’énergie moins coûteuse, et qui réduiraient l’importation énergétique sans contribuer au changement climatique ou à la pollution de l’air, a un énorme potentiel. Dans les huit prochaines années, nous pourrions commencer la transition vers un nouveau type de combustible propre qui n’émettrait pas de CO2. Nous pourrions également déployer des batteries qui permettraient aux véhicules électriques de rouler bien plus en une seule charge et créer d’énormes chutes du coût total des énergies renouvelables.

L’année passée, les États-Unis et vingt autres pays se sont engagés à doubler leur budget de R&D en matière d’énergie. 28 investisseurs ont promis de financer les résultats de ces recherches. Ceci n’est qu’un début. En augmentant le soutien gouvernemental à la recherche sur une énergie propre, les présidents et premiers ministres pourraient attirer plus d’investisseurs privés dans le secteur. Alors que des idées de départ progressent, le capital privé abondera pour construire les entreprises qui apporteront ces idées sur le marché.

Développer un vaccin contre le VIH et un traitement pour les maladies neuro-dégénératives

Avec une bonne direction des autorités et des investissements durant la prochaine décennie, nous pourrions découvrir et délivrer un vaccin contre le VIH. Beaucoup ont oublié le fléau qu’est le SIDA, l’envisageant comme une maladie pouvant être traitée au lieu du virus qui tue un million de personnes chaque année. En se basant sur les progrès récents, je pense que les dirigeants mondiaux pourraient aider au développement d’un vaccin efficace dans les dix prochaines années. Et avec un vaccin, nous serions ainsi sur la voie de l’extermination de la maladie.

Nous pourrions également faire d’immenses progrès quant à l'éradication de maladies neuro-dégénératives comme Alzheimer. Ces maladies sont dévastatrices pour les personnes et les familles qu’elles affectent. Elles sont également responsables de dépenses de santé aux coûts incontrôlables, épuisant ainsi les budgets qui auraient pu être utilisés pour d’autres secteurs majeurs. Les nouveaux outils numériques et l’avancement rapide de la science donnent un nouvel espoir à la recherche de traitement.

Protéger le monde de futurs épidémies

Les dirigeants mondiaux devraient être fiers d’avoir endigué la crise du virus Ebola et d’avoir aidé les pays touchés à s’en sortir. Beaucoup d’organismes, comme le Centers for Disease Control and Prévention (CDC) et l’armée américaine, ont fourni un travail exemplaire en faisant face à d’importants risques qui menaçaient leur propre santé. D’autres dirigeants à travers le monde ont mobilisé leurs infrastructures. Mais l’épidémie Ebola et la montée du virus Zika mettent également en avant le besoin de nouvelles avancées. Il y a d’importantes chances qu’une épidémie substantiellement plus infectieuse arrive durant les dix prochaines années. Si c’est le cas, nous aurons besoin de pouvoir la détecter, développer un test et de produire un traitement très rapidement. En utilisant les avancées biologiques, les scientifiques sont en train de développer ses capacités. Avec idée et soutien, nous pourrons identifier et prévenir les épidémies avant qu’elles ne dévastent familles, communautés et économies.

Donner à chaque étudiant et professeur de nouveaux outils pour que tous les étudiants bénéficient d’une éducation de calibre mondial

L’éducation fait partie de ces domaines de recherche et développement souvent négligés alors qu'ils peuvent avoir des rendements immédiats. Le monde peut développer des technologies qui peuvent aider les élèves à apprendre de manière plus adaptée à leurs besoins. Mais ce n’est qu’une composante de l’équation du succès de l'éducation. Les cours en ligne de haute qualité n’en sont qu’à leurs prémices. Il en va de même pour l’apprentissage personnalisé, qui allie le temps de classe à des outils numériques pour laisser les élèves évoluer à leur propre rythme. La technologie peut simplifier le travail des professeurs et le rendre plus efficace en leur permettant de télécharger des vidéos d’eux en classe. En se connectant à d’autres enseignants, on peut observer les meilleurs éducateurs en action, et obtenir un retour de leurs élèves en temps réel. Le secteur privé a commencé à travailler sur ces idées, mais un financement pour doper les budgets publics de recherche boosterait le marché. Cela aiderait à identifier les approches les plus efficaces, équipant les élèves et les professeurs de nouveaux outils qui les inciteraient à fournir le meilleur de leur capacité.

J’espère que nos dirigeants saisiront ces opportunités de changement en investissant dans de grandes institutions de recherche, ce qui se traduirait pas de grandes opportunités pour les innovateurs.

Quand ces idées aideront à dessiner un futur plus sain, plus productif et plus puissant, ce sera parce que les dirigeants mondiaux auront réussi à s’occuper de l’urgent et de l’important en même temps.