Faire avec sa colère : le dragon intérieur apprivoisé

« Ce que nous refoulons dans l’ombre se consolide, et nous est renvoyé par la vie, de l’extérieur. Ce que nous acceptons se transforme. » (Dominique Baumgartner) Notre colère doit donc être vécue, autant que la joie et l'amour. Sinon, comme dit le proverbe, qui veut faire l’ange fait la bête. Comme tous les interdits, ceux de la colère et de la violence exacerbent le phénomène, qui devient incontrôlable.

« Laissez votre colère s’exprimer aussi naturellement que vos rires. Laissez-la exploser, au lieu d’imploser. S’affirmer ne veut pas dire écraser. S’affirmer par sa colère, c’est se rendre vulnérable : c’est reconnaître que nous ne sommes pas au dessus de la vie. La colère peut être belle, elle est une voie, parmi d’autres, d’accomplissement de l’être et de liberté. Quand elle est exprimée, elle ne s’imprime pas. Elle devient force créatrice et ne détruit pas. Elle mérite notre amour, notre permission. » (Farah Sahbi)

Notre colère nous connecte à notre énergie vitale et à notre capacité d’affirmation. (Nous pouvons avoir peur de notre puissance.) Quand elle est refoulée, notre colère devient comme un dragon enragé, enfermé depuis trop longtemps. « Cette force souffre et devient agressive. » (Ludivine Aether)

Dialoguons avec cette force brute, et arrêtons de culpabiliser, pour l’extérioriser. La clé est d’oser honorer sa colère. C’est la clé pour la transformer : pour laisser la vie en nous la transformer. Notre dragon intérieur se met au service de la vie. La confiance peut alors revenir entre lui et nous. Apprivoisé, le dragon intérieur apporte la puissance et l’élan spirituel : il est puissance de vie et de manifestation. Il crache le Verbe créateur (logos). 

Ne donnez jamais une épée à quelqu'un qui ne sait pas danser

L'enfant qui sert de paratonnerre à ses parents, et ignore l’art du combat, devient un être de cuivre : son empathie surdéveloppée conduit trop les émotions des autres. Quand sa maison intérieure est respectée et quand il est initié tôt à la puissance du « non », il devient un être de fer : son guerrier intérieur est armé. (Robert Bly)

Sa force le protège et autorise, en cas d’invasion, une violence maîtrisée, sans culpabilité. La protection des limites fonctionne dans les deux sens : autorisation à se défendre, et autorisation à refuser de rendre un service qui dépasse ses ressources (conscience de soi et responsabilité de soi). 

Quand le guerrier intérieur est inconnu au bataillon, le porteur de projet est dans de la naïveté. Il laisse les gens franchir ses limites, pénétrer dans sa maison psychique et le dépouiller. Or chacun doit être souverain dans son projet. Se laisser envahir sans réagir génère de la honte ? « je ne vaux rien, je suis indigne, je n’ai pas le droit de souveraineté » ? et c’est le début de la fin… 

Quand le guerrier intérieur est dûment formé, le porteur de projet peut rendre coup pour coup, quand la situation l’exige. Une formation est indispensable : les légendes celtes et vikings multiplient les mises en garde contre la colère incontrôlée. Quand la rage et la haine pénètrent le coeur du guerrier ou de la guerrière, la raison est terriblement difficile à restaurer, et le pire peut arriver. 

Si le guerrier est le champion de la vie créatrice et des choses à venir, l’ogre intérieur  « défend le statu quo et détourne, à son profit, l’autorité que lui confère sa position, son statut. » (Joseph Campbell) L’ogre croit tenir sa force de lui-même, et son ego lui fait prendre la proie pour l’ombre. Son destin est d’être leurré. Sa blessure réside dans l’ombilic : cicatrice, point d’attache et coupe (culpa) d’où doit émerger l’épée (dignité). 

Le guerrier est dans une colère juste

Ses poings sont armés, son cœur reste désarmé. La voie du guerrier (du chevalier ou de l'amazone) associe donc intimement l’art du combat à l’art de l'Amour. Le mot courage dérive d’ailleurs de cœur, et enthousiasme signifie « être animé par la vie divine ». 

L'unique question est donc : quand je rends coup pour coup afin de protéger mes limites, à quoi je reconnais que mon cœur reste désarmé ? (Marguerite Hoppenot) Comment m’autoriser ma violence (constructive) en évitant de tomber dans la rage narcis- sique ? Le guerrier se reconnait à ce qu’il reste au service d’une cause plus grande que lui : il garde le cap du bien commun, de l'esprit collectif. 

Cette fidélité du cœur est une discipline, la plus exigeante qui soit. Elle est déterminante, crucial et vitale. Comme disent les chamans : la racine de l’intention fait tout. La fidélité au bien commun, à la vie d’équipe et à la réussite du projet posent des limites claires à l’action guerrière. Elle met des garde-fous. 

Cette fidélité se situe au-delà de la contrainte : elle trouve sa source dans le goût pour la vie, dans notre fidélité à la Vie. D’où le proverbe celte, ne donnez jamais une épée à quelqu'un qui ne sait pas danser : son cœur doit d’abord être formé à l'Amour dans les détails de ses intentions et de ses relations.

L’art de l’Amour précède l’art du combat : ce dernier est à son service. L’art de l'Amour est la formation initiale, préalable et indispensable. Car la séduction absolue du mal est la provocation à la haine : mépris du bien commun, mépris de l’adversaire et finalement haine de soi. C'est un bouclage infernal et un cercle vicieux, d'où cette notion de rage narcissique. Tous sont perdants, sinon la haine, qui se propage comme un virus. 

L’art du combat : confronter droit !

C’est la partie que je préfère : l’art de cogner vite et juste. Il m’a été enseigné par deux coachs, deux femmes ? Nelly et Dominique ? lors de nos séances mensuelles de supervision de mes pratiques de management et de coaching. C’est aussi le fruit de ma réaction à une enfance contrariée, où ma force était condamnée, et de nombreuses et douloureuses années d’entrainement !

Dans un environnement complexe et mouvant comme celui de l’entrepreneuriat, la sagacité fait la différence. Notre violence destructrice adresse les abus et les mensonges. Chacun fourbit ses armes de prédilection : du fleuret qui transperce à la masse d’arme qui assomme ! L’essentiel est d’assumer et surtout de s'entraîner, d'expérimenter : un certain calme s’installe et nos coups portent juste, jamais plus qu’il n’en faut (à l'adversaire blessé, il faut toujours laisser une porte de sortie, dit le grand maître d'arme Sun Tzu dans son manuel indispensable, L'art de la guerre.

La toute première étape est donc de se réconcilier avec notre violence. Oui, ce mot est autorisé ici, dans toute sa beauté ! La violence est dans la nature : celle du tonnerre qui décharge l’électricité statique et faire venir la pluie, celle de la neige qui tombe en avalanche. Comme dit La Rochefoucauld, pour pouvoir être doux, il faut pouvoir être dur. Sinon, c'est de la mollesse ! 

Si j'aime la communication non-violente (CNV), je crois qu'il est important de maîtriser aussi la communication violente : tout le champ de l'expérience humaine. Pendant des années, j’ai survalorisé la douceur et la tendresse. Aujourd’hui, j’arrête de me mettre au-dessus de la vie pour me mouiller plus, en arrêtant de découper et de prendre dans l’expérience humaine que les parties bien notées par notre société d’impuissance, de conformisme et de soumission (mentalité scolaire).

Ma rudesse a le droit de cité. Elle peut d’ailleurs cohabiter dans le même instant avec ma délicatesse (j’accepte ce jeu de contrastes, très humain). Vive le rude, le brut, le franc, le rocailleux, le rugueux, l’impétueux et l’ardent ! Ils harmonisent parfaitement le délicat, le tendre, l’affiné, le tempéré, le soyeux et le civilisé ! Évitons de juger pour embrasser tout le champ des possibles ! Faisons, en nous, la jonction entre le spirituel et l’humain, entre la colombe et rhinocéros : unité des contraires, sans consensus mou. 

Évitons d’être des mous au coeur de pierre, pour être des durs au cœur tendre ! À vouloir mettre partout de la rondeur, à vouloir ménager ? pour passer pour bien élevés ? nous provoquons des catastrophes. Nous visons à coté et nous semons de la confusion, voire de la perversité. Arrêtons donc de tortiller, pour aller droit au but ! Soyons pleinement vivant, avec nos couilles (et nos ovaires) ! 

Confronter, c’est déranger. Ne pas prendre parti, c’est avoir déjà pris parti… et ne pas l’assumer. Osons des interventions justes et précises. Et assumons-les ! Si parfois, en étant confrontant, nous mettons les pieds dans un nid de guêpes, acceptons alors la réaction des autres, sans paniquer. Et vérifions alors ce que la « pauvre victime à sa maman » a entendu : neuf fois sur dix, c'est autre chose que ce qui a été dit. 

Enfin, surveillons du coin de l’oeil deux choses : notre composante narcissique qui, par coquetterie, présente trop rapidement des excuses, comme par besoin d’effacer une tache (perfectionnisme) ! Et auscultons nos éventuelles projections : souvent, ce que j’ai envie d’attaquer chez l’autre, c’est ce qu’il a et que j’ai aussi, et que je n’aime pas !