Toute la semaine, 9 startuppers incubés à NEOMA Business School vous feront découvrir, à travers leurs yeux de porteurs de projet, la Silicon Valley. Rendez-vous aujourd’hui avec Carlos Diaz, cofondateur de l’accélérateur The Refiners à San Francisco.

Tout va vite dans la Silicon Valley. Rencontré brièvement lors d’un pitch event, nous avons rendez-vous avec Carlos Diaz, pour lui pitcher les projets de chacune de nos startups et déterminer si oui ou non, s’installer à San Francisco a du sens pour nous.

Serial entrepreneur reconnu et investisseur français basé dans la Silicon Valley, Carlos Diaz s’est assurée une forte renommée et une expérience conséquente en stratégie d’entreprise web et high-tech. À 23 ans, il crée notamment l’agence web Reflect, rachetée depuis par Emakina. Vous le connaissez certainement pour le mouvement des pigeons, lancé en 2012 ou encore le hug avec le Président Hollande en visite dans la Silicon Valley en 2014. Tout ça, c’était lui !

Free hug avec le Président Hollande en visite dans la Silicon Valley

Installé à San Francisco, Carlos fait le constat que les entrepreneurs se lançant à l’assaut de la Silicon Valley lui posent toujours les mêmes questions. Y a-t-il une place pour moi sur le marché ? Ma stratégie go-to-market est-elle adaptée ? Comment y lever des fonds ? Quel retour sur investissement est attendu ? Et surtout, comment pitcher, made in Silicon Valley ?

Il détermine donc un besoin réel pour les startups de trouver un mentoring qualifié avant de se lancer dans la Silicon Valley (voir le mythe 2 de l’article “Mythes et réalités made in Silicon Valley”). Accompagné de Géraldine Le Meur et Pierre Gaubil, Carlos crée The Refiners : un accélérateur destiné à accompagner des startups étrangères dans leur implantation sur le marché nord-américain.

De par son vécu, cette rencontre avec Carlos Diaz, dans un stade encore jeune de nos projets, promet d’être extrêmement enrichissante. Comme il le dit lui-même, son rôle n’est pas de nous dire quoi faire mais de nous aider à nous poser les bonnes questions. À la suite de notre entretien, nous repartirons tous avec plus de questions qu’à notre arrivée, et c’est tant mieux !

A l’issue de la lecture de cet article, vous aurez compris :

  • L’importance d’une vision globale-ou pourquoi les entreprises françaises ne sont pas internationales
  • En quoi le networking à l’américaine est primordial pour trouver un investisseur
Carlos Diaz, General Partner, dans les locaux de Parisoma à San Francisco

L’importance d’une vision globale, ou pourquoi les entreprises françaises ne sont pas internationales

Au fur et à mesure de la discussion, Carlos évoque les différences de business entre la France et les Etats-Unis. Le but : nous expliquer les raisons pour lesquelles nos deux pays ne produisent pas de succès de la même envergure. Pourquoi les prochains Facebook et Uber verront le jour aux Etats-Unis et pas en France si l’état d’esprit des investisseurs y reste le même.

Les ambitions sont tout simplement aux antipodes. La Silicon Valley a vocation à produire ce qu’on appelle des unicorns, ou licornes ; c’est-à-dire des sociétés ayant atteint une valorisation supérieure à 1 milliard de dollars. Pour cela, un mot d’ordre : être disruptif. Pas de copies de business models ; il faut créer de nouveaux comportements et de nouveaux produits. Pour Carlos, la France n’accouche pas de licornes, mais de “poneycorns”, c’est-à-dire des licornes à taille de poney…

Exemple emblématique : Spotify vs Deezer. L’histoire de Spotify est celle d’une société suédoise qui a laissé entrer des investisseurs américains dans son capital dès 2010 et levé plus de 100 millions de dollars en 2011 pour s’installer dans la Silicon Valley, y conquérir le marché du streaming musical, et signer des partenariats, avec Facebook puis Uber notamment.

Cette stratégie assure à Spotify une croissance exponentielle allant jusqu’à 100% en 2015. La société devient une licorne majestueuse.

De son côté, Deezer se lance tardivement aux Etats-Unis, en 2014 seulement, 7 ans après sa création, le temps de consolider sa place de marché en France avec des partenariats avec Orange notamment. Le bilan en 2015, plus de la moitié de l’activité de Deezer provient de la France alors que Spotify est déjà devenu une société à présence globale. Aujourd’hui, même aux yeux des Français, Deezer est mort, écrasé par la force de frappe de son concurrent direct. En chiffres : 20 millions d’utilisateurs payants pour Spotify en 2015 puis 40 millions en 2016 contre seulement 6 millions pour Deezer. Plus de 1,8 milliards d’euros de chiffre d’affaires pour Spotify contre 185 millions d’euros pour Deezer.

Spotify aka. la Licorne VS Deezer aka. la Poneycorn : 10–1.

Pourquoi la Silicon Valley est-elle un tel vecteur de croissance et d’innovation ? Pourquoi est-elle le lieu le plus compétitif du monde ? Pourquoi Facebook, Uber, Airbnb, Snapchat, Twitter, LinkedIn sont nés dans Silicon Valley ? La réponse : les investisseurs. Leur raisonnement et leur logique.

Fun fact : aux Etats-Unis, on parle de venture capitalist, c’est-à-dire de personnes qui vont investir dans une histoire, une aventure. En France, on parle de capitaux-risqueurs… Des investisseurs qui gèrent le risque. Ces deux termes représentent la différence de vision entre un marché Américain qui veut créer les géants de demain et un marché Français frileux des échecs comme de la réussite planétaire.

Si Snapchat avait été présenté à des investisseurs en France, un capital-risqueur aurait-il financé un système de messagerie éphémère ?

La différence est là : les investisseurs français s’attachent au réalisme d’une go-to(-french-)market. Aux Etats-Unis, la mise est jetée sur un marché, sur une opportunité qui se compte en milliards d’euros. L’investisseur y a une vision globale et long-termiste.

Exemple concret : l’un des projets pitchés par notre groupe attire l’attention de Carlos. Pas de questions financières méticuleuses si ce n’est le chiffre d’affaires généré depuis le lancement de l’activité. Parfait, le projet a fait sa preuve de concept en France, il connaît mieux son marché et les attentes de ses consommateurs. Maintenant, il faut partir, aller à la conquête du marché américain, plus global, avant qu’une autre entreprise ne le conquiert pour eux. Il faut voir long-terme et rapidement.

S’implanter dans la Silicon Valley suppose d’avoir des ambitions internationales sur le long-terme. La Silicon Valley est l’endroit le plus compétitif au monde. C’est le véritable crash test pour devenir global. Réussir là-bas, c’est réussir partout.

En quoi le networking à l’américaine est primordial

Le networking made in France, c’est la peur de divulguer son idée, de donner des précisions sur les aspects stratégiques des projets. Dans la Silicon Valley, cette réticence n’existe pas. Échanger est la norme. Echanger permet la remise en question. La remise en question permet de mûrir son projet, de l’envisager sous un autre angle, d’élargir sa vision. À la base de ces échanges, le networking, qui va à une vitesse folle. Preuve en est : notre rencontre avec Carlos. Notre constat : le networking est informel, les rencontres sont réelles et elles entraînent des actes, très vite.

Ces rencontres sont toujours orientées business. Même dans un environnement informel, dans un bar, au restaurant, en pause ou en soirée, le business est au coeur des conversations. Carlos nous le confirme : la Silicon Valley est une terre de travail. Ce n’est pas un endroit fun. Le soir, les startuppers sont couchés à 22 heures.

En France, pratiquement chaque retour sur nos projets respectifs était positif. Durant ce séjour, au gré de nos rencontres, chacun d’entre nous a revu au moins un aspect de sa stratégie commerciale ou modifié son approche produit. Toute faille dans les raisonnements stratégiques est inspectée, passée au crible, dans le but d’apporter des critiques constructives. Et qu’est-ce que c’est stimulant !

Le processus va dans les deux sens. Les porteurs de projet ont tout à gagner à prendre le temps de partager leurs avis business. Là aussi, c’est une vision à long-terme. Ecouter et donner son avis n’est pas vu comme une perte de temps, cela permettra plus tard de développer des partenariats ou de profiter des contacts de la personne conseillée.

La notion de remise en question prône dans la Silicon Valley. Un venture capitalist investit dans des porteurs de projets coachables. La capacité à s’adapter est importante dans cet environnement changeant et ultra-compétitif.

Carlos Diaz nous met aussi en garde : une startup peut mourir car elle va trop vite sans écouter mais elle peut aussi mourir du fait d’avoir trop écouté et constamment modifié sa ligne de trajectoire. L’importance de la vision est primordiale.

Pour éviter de foncer dans toutes les directions, il faut commencer “petit”. Une fonctionnalité lancée sur un marché donné fera office de preuve de concept. On appelle ça la boring alley ; c’est la période précédant la go-to-market. L’idée est qu’une startup n’est pas une petite “grande entreprise”. Elle ne peut pas “lancer une boule sur chaque quille, alors elle va en viser une seule avec la vision que celle-ci fera tomber toutes les autres.

Enfin, il faut comprendre qu’un porteur de projet ne peut pas se lancer seul dans la bataille. Lever des fonds lui sera impossible.

Des changements de business models sont à prévoir et il est nécessaire que l’équipe puisse s’adapter. Les compétences de chacun doivent être complémentaires. C’est une garantie supplémentaire aux yeux de l’investisseur. Carlos Diaz, grand roi de la métaphore, compare le projet de startup à un avion sur le tarmac prêt à décoller. L’idée est là, il y a un marché. La question est alors : est-ce que tous les réacteurs sont opérationnels ? Si le porteur de projet veut se lancer seul, c’est comme si l’avion avait entamé son accélération alors qu’il lui manque un réacteur. Il a deux choix : retourner à l’aéroport et changer son matériel, trouver un cofondateur, ou foncer, et s’écraser.

Petite liste de must-have pour s’implanter dans la Silicon Valley :

  • Avoir une vision globale ;
  • Etre disruptif ;
  • Être prêt à nouer des relations basées sur le réel ;
  • Être ouvert aux critiques et à la remise en question ;
  • Avoir une équipe aux compétences complémentaires ;
  • Avoir lancé une preuve de concept.

Pour terminer, une métaphore, pour rendre hommage à Carlos Diaz, définitivement Chief Metaphor Officer. Si l’on considère la création de startup comme le début d’une partie de domino, alors la Silicon Valley en est le premier, le plus lourd et le plus dur à faire tomber. Le reste n’est qu’une partie de plaisir.