Dans un premier article paru la semaine dernière, Gilles Raymond, fondateur de News Rep, vendu à Cheetah Mobile cet été, et Cyril Bertrand, Investisseur chez XAnge vous ont posé une question : faut-il envoyer le CEO d’une startup aux US ? Cette semaine, ils expliquent pourquoi la bonne décision est sans hésiter "oui".

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A l’unanimité, le board de STARTUP a statué en 2014 en faveur du départ du CEO pour la Silicon Valley, suivant en cela la recommandation du CEO lui-même. Les questionnements et inquiétudes étaient principalement liés aux coûts supplémentaires pour la société. Mais sur le fond, tout le board était convaincu du bien-fondé de ce départ.

Le départ

Notre CEO est donc parti avec armes et bagages, son épouse et leurs deux enfants pour emménager au Nord de San Francisco, en avril 2014. Rétrospectivement, la famille aurait gagné à finir l’année scolaire en France et à partir en Juillet pour que la rentrée de Septembre se fasse aux US. Le DG, qui était aussi co-fondateur, prit la relève de la direction générale en France. Le board avait relevé le risque de déstabilisation de l’équipe en France une fois le CEO parti aux US, mais ce risque semblait sous contrôle. Les activités naissantes de STARTUP en Chine furent maintenues et gérées par le DG, comme par le passé.

Les bonnes surprises et validations

La première bonne surprise fut que les craintes sur l’équilibre de l’équipe en France « privée de son CEO, leader charismatique » étaient infondées. L’équipe des 4 ou 5 top managers (DG, CTO, CFO, VP Biz Dev) était solide et prit le relais sur les fonctions de general management, la conduite du business dans toute l’Europe et même, en partie, la relation avec les investisseurs européens. La culture d’entreprise resta forte et stable sur les 2 années qui suivirent, avec le même focus sur l’exécution. En plaisantant, le CEO fit la remarque qu’il avait réussi au-delà de ses espoirs à se rendre inutile. Il maintint néanmoins une réunion d’update chaque lundi matin avec l’équipe par Skype.

Le CEO pût également poursuivre efficacement les recrutements clés aux US, avec en 2015 l’arrivée d’un nouveau VP Communication. Le package du nouvel arrivant était tellement décorrélé des échelles de salaire en Europe qu’il aurait sans doute été délicat pour le board de valider cette nouvelle rémunération si le CEO n’avait pas, sur place, fait son enquête sur les packages moyens à ce niveau de compétence, puis défendu le dossier avec la conviction nécessaire.

On s’attendait évidemment à ce que la densité des contacts stratégiques en Silicon Valley soit l’un des principaux bénéfices du déménagement du CEO. Sur ce point, la réalité dépassa les attentes. Le grand partenaire asiatique de START UP était désormais "at arms length" ce qui permit d’organiser de nombreux meetings avec sa chairman, son PDG et son top management, ce dont un patron de startup basé en France n’aurait pu que rêver. Un autre grand partenariat fut signé en 2015, avec un autre géant asiatique, qui devait devenir plus tard un facteur clé du succès en Chine, où se joua finalement la sortie (exit financier) de la société. Il est intéressant de noter qu’aucun de ces deux partenaires n’est américain, même si l’essentiel de leur état-major était établi en Silicon Valley. Par ailleurs, START UP pu bâtir des partenariats avancés avec Facebook, Apple, Google, Twitter grâce à ses relations avec les sièges de ces derniers.

Les moins bonnes surprises

STARTUP lança en 2015 une nouvelle levée de fonds Series C (3ème tour). Les conditions semblaient favorables : l’enthousiasme initial des VCs américains était communicatif, les comparables locaux rendaient la valorisation du tour précédent dérisoire, et avec un VP sales anglais et une VP Marketing américaine, toute l’équipe Sales & Marketing sur place était faite de native speakers. Mais les investisseurs buttèrent rapidement sur l’organisation de STARTUP à califourchon sur deux continents : « Etes-vous une société US avec une R&D en France (et un burn rate US qui fait tousser les fonds européens) ou une société française avec un patron aux US (qui devra donc encore valider son flip aux US pour être qualifiable aux yeux de VCs américains) ?" La question revint régulièrement. Par ailleurs, le niveau d’attente pour une Series C aux US était sans doute bien plus important qu’en Europe.

Mais à dire vrai, la raison de l’échec de la levée était ailleurs et assimilée un an plus tard : pour un entrepreneur européen fraîchement arrivé à San Francisco, construire un réseau avec les grands VCs américains prend des années, et l’importance du relationnel est un facteur de premier ordre. Finalement les trois VCs existants réunirent leurs forces pour réaliser un tour interne et la société réduisit substantiellement ses ambitions de recrutement.

Cette délicate année de financement eut raison du CFO français, qui démissionna à bout de force. Pour le remplacer, STARTUP fit le choix de recruter le nouveau CFO en France, après débat : les principaux centres de coûts étaient restés en France. Coup de chance, un remplaçant de grande qualité fut trouvé sans tarder.

Enfin il faut bien admettre que STARTUP ne parvint jamais à émerger sur le marché américain, malgré le lourd budget de notre VP Marketing américain. Il est possible que ce budget ait été encore bien insuffisant pour les standards américains.

Une note plus personnelle : sur les coûts de vie réelle, les estimations faites avant le déménagement du CEO étaient loin du compte. Avec un package total de $450k, incluant le coût des charges françaises (retraite, assurance maladie), la famille de notre CEO est tout juste à l’équilibre. De plus, les impôts en Californie n’ont rien à envier aux impôts français, même si l’on peut se demander à quoi ils sont dépensés, avec une éducation payante, une couverture maladie privée etc. Voir : Is California more socialist than France ?

Le happy end

C’est une histoire américaine non ? Alors un happy end ! Mi 2015, le modèle B2B2C prit son envol, le canal de distribution se débloquant soudainement. Le principal partenaire, suivi par d’autres, commença le basculement de ses clients B2C vers STARTUP. En Chine aussi, les clients commencèrent à affluer. L’intérêt des acheteurs potentiels se fit soudain plus précis. Un banquier d’affaires fut choisi sur place en Silicon Valley pour accompagner la transaction, aux côtés du CEO, ce qui s’avéra crucial dans les heures chaudes de la négociation, en face du prestigieux cabinet d’avocat mandaté par l’acquéreur aux US. L’acquéreur d’origine chinoise, coté au NYSE, mit sur la table un prix très Silicon Valley et conclut le process en 8 semaines.

Si c’était à refaire ? Sans hésitation – send the guy to SF !