Franck Delorme, VC et business angel, a imaginé une série d'articles sur le développement aux U.S. d’éditeurs de logiciel français. En effet compte-tenu de l’importance et de la taille de ce marché pour les acteurs du logiciel, y compris pour les sorties, c’est souvent un must d’aller se développer aux U.S. : c’est là-bas que se font –et se défont aussi parfois...– les succès de nos startups. Dans ce contexte Franck Delorme a souhaité raconter l’histoire et l’expérience (do's & dont's, lessons learnt...) de ceux qui l’ont fait afin d’aider ceux qui envisagent d’y aller. Découvrez la première des 10 sociétés sélectionnées pour ce projet : EasyVista.

Après une première levée de fonds en 1998, la décision d’aller aux U.S. a été prise en 1999 pour lancer un offre en ligne sur le mid-market (on appelait cela ASP –Application Service Provider, l’ancêtre du SaaS). EasyVista, solution SaaS de IT Service Service Management crée alors une filiale à Boston en recrutant un country manager américain et une dizaine de télévendeurs. Plus de 300 clients ont souscrit au service mais la structure était loin de l’équilibre.

Suite au crash de la bourse en mars 2000 l’IPO d’EasyVista qui était prévue en octobre a été annulée et par manque de moyens la structure U.S. a été mise en veille en 2002, le coût total de cette première opération étant de l’ordre de 3 millions de dollars. 3 ans plus tard EasyVista lève 5 millions de dollars sur Alternext et investit sur une nouvelle offre SaaS/Cloud tout en se développant en Europe avec le rachat de 4 sociétés dont une au UK.

En 2010 du fait de la taille et de la dynamique du marché américain et d’une bonne position concurrentielle, ils décident de rouvrir une filiale à New York avec une petite structure au départ : 1 commercial et 1 avant-vente. Assez rapidement ils délocalisent le Product Marketing aux U.S. afin de renforcer la relation avec les analystes sectoriels et notamment le Gartner Group (la société intègre le fameux Magic Quadrant en 2012), et dans un second temps le Product Management.

50 collaborateurs répartis sur les territoires US et Canada

Grâce à la profitabilité des opérations européennes et aux fonds levés avec notamment un family office U.S., ils continuent d’investir fortement sur la structure nord-américaine (U.S. et Canada). Mi-2016 celle-ci compte 50 personnes répartis dans la plupart des régions en mode télétravail avec des binômes commercial-avant-vente – ce qui permet d’avoir une très bonne couverture du territoire et un support local tout en gardant des coûts du bureau de New York limités. Un General Manager américain est recruté sur place début 2015 et la filiale est organisée autour de 4 équipes : vente, marketing, support et consulting, chacune dotée d’un manager.

Le parc client est composé de 120 entreprises du mid-market qui génèrent environ un tiers du chiffre d’affaires total du groupe. Le marketing stratégique est entièrement piloté par la structure U.S. avec un investissement annuel de l’ordre de 1,5 million d'e dollars. Jamal Labed, co-fondateur et Directeur Général d‘EasyVista passe environ 50% de son temps à piloter et suivre les opérations américaines en relation étroite avec le General Manager – il intervient sur tous les recrutements – et il effectue environ 1 déplacement par mois sur place.

Éviter le "cultural gap"

Afin de ne pas créer de « cultural gap » un gros travail a été réalisé en favorisant les échanges entre les équipes corporate en France et les managers américains qui viennent en France une fois par trimestre. Tous les documents et les communications internes sont en anglais. Des process de reporting et de prise de décision ont été mis en place pour manager les équipes à distance et en particulier celles en télétravail. Des stock-options de la société mère en France ont été attribués aux principaux managers.

Enfin compte tenu des fortes exigences des clients américains en terme de qualité de service (SLA), une véritable « usine à déploiement » a été mise en place avec 2 Network Operating Centers (NOCs) fonctionnant en 24x7, dont 1 en Amérique du Nord, permettant ainsi de déployer la solution sur un nouveau data center en moins de 2 jours avec les critères de localisation, de sécurité et de redondance ad-hoc. La société a aussi investi en termes de certification et est un des rares éditeurs de logiciel français à avoir obtenu le label SSAE SOC-2.

Du coté RH il y a eu beaucoup de turn-over au début, c’est inévitable tant que la société n’est pas bien établie sur le marché U.S. mais désormais, du fait d’un bon produit – EasyVista est dans le top 3 de son marché – et du recrutement d’un bon GM, le turn-over actuel est assez faible. Avec du recul l’expérience est plutôt concluante mais nécessite un investissement important et dans la durée, investissement de l’ordre de 15 millions de dollars sur la période 2010-2016 (la société vient d’ailleurs de relever 7,5 millions de dollars en juillet 2016). A ce titre l’échec de la première implantation a permis d’apprendre qu’il ne faut pas se lancer sans avoir les moyens nécessaires et sans une offre fortement différenciée.

Franck Delorme est entrepreneur,  président et co-fondateur de Seed4Soft, administrateur de l’Association Française des Editeurs de Logiciel et Services internet (TECH’IN France) et siège au comité d’investissement du fonds CapHorn Invest.