De quelle manière l'intelligence artificielle peut créer de la valeur pour les e-commerçants ? Rupert Schiessl, fondateur de Verteego, revient dans une tribune sur la manière dont le numérique et la technologie vont révolutionner le secteur de la vente en ligne.
Mars 2017. En déambulant dans les allées bruyantes du salon EuroShop, la grand-messe triennale du monde de la distribution, je tombe nez à nez avec Tory, un gentil robot qui m’invite aussitôt et dans un anglais parfait (alors que je m’attendais à la voix mécanique de C-3PO) à le suivre afin de me montrer son stand. Enfin, celui de la société qui l’a fabriqué. Emerveillé par cette rencontre pour le moins futuriste, j’obéis, tout en réalisant les possibilités infinies d’un monde que je pensais plus lointain et qui subitement se balade un mètre devant moi sous la forme d’un cylindre gris bourré de technologie.
Dans les semaines qui ont suivi cette rencontre inattendue, j’y ai souvent repensé. Les machines sont-elles déjà à nos portes pour remplacer les emplois de nos vendeurs, conducteurs, infirmiers, caissiers, médecins et avocats ? Je ne les attendais pas si tôt, dans quelques années au mieux. Disposent-elles déjà de cette fameuse intelligence artificielle qui fait couler tant d’encre (depuis tant d’années), cette capacité à apprendre, à se perfectionner et à prendre des décisions autonomes pour lesquelles elles n’ont jamais été programmées ? Ou avons-nous encore affaire à des leurres, de simples appareils habilement programmés pour agir correctement dans un certain nombre de contextes, mais pour autant dépourvus de toute forme d’intelligence plus évoluée ?
Après réflexion, j’ai dû constater que ce petit vendeur électronique ne faisait en réalité rien d’autre que le travail que ses confrères invisibles, les robots de l’e-commerce, tentent de perfectionner depuis pas mal d’années déjà en assistant humblement leurs maîtres humains dans leurs tâches quotidiennes. Pour un jour les remplacer. Comme Tory, le gentil robot de Düsseldorf, ils cherchent quotidiennement à nous faciliter la vie en employant leur capacité à comprendre des schémas logiques que le cerveau humain n’aurait pas été capable d’identifier.
L’intelligence artificielle a donc déjà investi les principaux métiers de la vente en ligne. L’acquisition de trafic, l’optimisation de la conversion, la recommandation de produits, le choix du prix optimal, qui tient compte de la demande et de la concurrence, le meilleur emplacement publicitaire ou encore la prévention de la fraude lors du paiement ne représentent qu’une infime partie des domaines de l’e-commerce, sur lesquels l’intelligence artificielle a déjà posé sa main invisible.
Prenons l’exemple de l’acquisition de nouveaux clients. Elle est désormais multi-canal et la complexité des parcours clients virtuels est telle que nos cerveaux humains pour le moins limités auraient du mal à les comprendre intégralement et en déduire des actions dont l’efficacité dépasserait celle de la simple intuition. Quelles sont les combinaisons de messages les plus adaptées à ma cible ? A quelle fréquence dois-je communiquer et par quel support ? L’A/B-Testing est-il réellement pertinent dans la mesure où je ne peux pas tester différents contenus sur une même personne ?
L’intelligence artificielle est d’ores et déjà capable de nous fournir des réponses à ces questions. Néanmoins, dans un grand nombre de cas, à la différence de la vitesse de calcul près, sa performance ne dépasse guère celle des bons vieux modèles statistiques que nous employions déjà dans les années 2000.
Alors, quand nos boutiques en ligne deviendront-elles réellement intelligentes ? Quand seront-elles enfin capables de s’adresser à un visiteur en lui présentant le bon produit d’une manière individualisée ? En considérant le client comme une personne, et non pas comme un numéro appartenant à un segment marketing. Sauront-elles un jour délivrer des messages personnalisés et éditer des catalogues proposant un assortiment adapté à chacun ? La réponse est oui, car la puissance de l’intelligence artificielle réside dans sa capacité unique à prendre en compte à la fois l’ensemble ET le détail.
Mais nous irons bien plus loin. Nos boutiques en ligne seront un jour en mesure de proposer à leurs visiteurs une véritable expérience de shopping, similaire à celle vécue par les clients d’un magasin physique.
Car, malgré tous les efforts d’optimisation des interfaces à travers l’A/B Testing ou l’analyse des mouvements de la souris (et même de ses regards !), l'expérience utilisateur du commerce en ligne souffre sérieusement de son incapacité à procurer au client des émotions lors de son achat. Par conséquent, nous nous retrouvons aujourd’hui face à une panoplie de sites présentant tous des catalogues plus ennuyeux les uns que les autres, manquant cruellement d’originalité, loin de nous donner le plaisir que nous éprouvons quand nous essayons une paire de chaussures dans une boutique réelle, éclairée, sonorisée, parfumée, qui fait appel à nos cinq sens et, de surcroît, nous fait vivre des échanges humains.
L’intelligence artificielle nous permettra de toucher (goûter ?, sentir ?) virtuellement les articles qui nous intéressent. À travers les technologies de réalité virtuelle et, dans un futur pas si lointain que cela, par le contrôle cognitif. Pour satisfaire nos instincts ancestraux de chasseurs-cueilleurs, nous avons besoin de nous promener dans un magasin virtuel au lieu de scroller à travers des listes interminables de t-shirts miniatures. Nous devons avoir la possibilité de parler à des conseillers virtuels qui nous apportent des renseignements à valeur ajoutée sur les produits qui nous intéressent et qui nous mettent en relation avec d’autres clients à intérêts similaires aux nôtres au lieu de nous confronter, comme c’est le cas actuellement, à des centaines de commentaires divergents.
Nous allons prendre ce chemin à la vitesse que nous seuls maîtriserons à travers l’intégration dans nos boutiques en ligne des innovations que nous proposent les entrepreneurs et chercheurs qui se consacrent à ce sujet. Cependant, un grand nombre d’entre nous serons encore de ce monde le jour où nous ne commanderons plus d’articles en ligne mais où nous les fabriquerons à la demande chez nous. Mais ça, c’est une autre histoire...