Face à des plateformes représentant une forme nouvelle de concurrence dans un secteur très atomisé et où oeuvrent surtout des indépendants, les entreprises de services à la personne doivent penser à une stratégie de contre-attaque. Karim Abichat et Didier Humbert, cofondateurs du logiciel de gestion dédié à ces entreprises Ogust, brossent le portrait d'un secteur en pleine transformation.

Le secteur des services à la personne va au-devant de grandes mutations. Après les entreprises de l’hôtellerie et du transport, les entreprises de services à la personne sont à leur tour concurrencées par les nouveaux acteurs du numérique. Ces trois secteurs ont la particularité d’être composés d’une majorité de TPE et d’indépendants. Cela explique sans doute leur retard en matière de transformation numérique et l’attraction, par contraste, qu’exercent les nouveaux acteurs numériques grâce à la qualité et la simplicité de leur service. Il suffit pour s’en convaincre d’observer le succès de plateformes telles que Airbnb et Booking.com dans l’hôtellerie, et Uber dans le transport. Dans le secteur des services à la personne, les premières plateformes ont fait leur apparition, même si elles n’ont pas encore acquis la notoriété de ces géants.

Les acteurs en présence

La France compte aujourd’hui près de 35 000 organismes agréés de services à la personne, entreprises ou associations, dont près de 80% sont des TPE. Ils emploient 1,4 million de salariés et réalisent près de 900 millions d’heures de services par an.

Depuis deux ou trois ans, des plateformes investissent également le marché. Helpling est la plus emblématique. Cette startup d’origine allemande, qui a levé 40 millions d'euros, met en relation via un site Internet des ménages et des prestataires indépendants. On peut citer aussi Stars of Service qui se positionne sur un ensemble de services. Et d’autres plateformes émergent.

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Il a y a, enfin, les GAFA et autres géants américains du numérique. Airbnb vient de se positionner sur les services de proximité aux locataires. Mais c’est Amazon Home Services qui représente la principale menace à ce jour puisqu’il opère déjà dans la majorité des grandes villes aux Etats-Unis. Il ne fait aucun doute que les GAFA vont investir le secteur en Europe un jour ou l’autre.

Le risque pour les entreprises de services à la personne

La bataille entre les acteurs traditionnels des services à la personne et les nouvelles plateformes numériques se joue sur le service client et, dans une moindre mesure, le prix. Les secondes captent de nouveaux clients en proposant une commande en ligne simple, immédiate et transparente. Les clients peuvent se baser sur le témoignage et les évaluations d’autres clients. Bref, la révolution numérique joue à plein.

A contrario, les entreprises de services à la personne obligent encore les clients à demander des devis en ligne, à appeler aux heures d’ouverture ou à demander à être rappelés. Il faut bien souvent plusieurs jours entre l’expression du besoin et sa mise en œuvre, loin des usages et des nouveaux standards du commerce.

Or, le problème des entreprises de services à la personne tient principalement à leur taille et leur culture. Une solution e-commerce dans les services est plus complexe et plus coûteuse à développer que pour les produits (livres, chaussures…). Ce n’est pas un hasard si, jusqu’à présent, aucune entreprise de SAP n’a réussi à mettre en place la vente en ligne. Elles risquent par conséquent de perdre des parts de marché non négligeables.

Les failles du modèle social des plateformes

Uber a investi un secteur dont le maillage, extrêmement dense, se constitue essentiellement d’entrepreneurs autonomes. C’est un des aspects fondamentaux des plateformes. Le recours aux indépendants ou aux adeptes de petits boulots sont au cœur de ce modèle économique. Ce modèle est à la fois la force et le talon d’Achille des grands acteurs du numérique qui évitent tant que possible le modèle classique du salariat, plus coûteux et moins flexible. Côté "ressources humaines", certaines personnes font le choix de ce statut, d’autres le subissent faute de mieux. Parmi ceux-là, certains ignorent parfois le manque de protection sociale qu’implique le statut d’indépendant.

Pourquoi les acteurs historiques méritent d’être défendus

Les 1,4 million de salariés des services à la personne en France sont souvent des personnes moyennement ou peu diplômées. Le secteur est un important pourvoyeur d’emplois non-qualifiés. Le statut de salarié en CDI les protège : salaire fixe, couverture sociale, formation, prise en compte des temps de transport, stabilité… Pour ces personnes, être auto-entrepreneurs n’est souvent pas un choix. Généralement, elles préfèrent être employées par une entreprise plutôt que de travailler en indépendant.

De plus, les entreprises de services à la personne sont disséminées sur l’ensemble du territoire. Les fragiliser au profit de multinationales du service risque de créer des déserts en termes de SAP comme il existe des déserts médicaux, les plateformes se déployant essentiellement dans les grandes villes. Certaines zones ou régions seront sacrifiées par les plateformes numériques sur l’autel de la rentabilité.

Imaginer de nouvelles coopérations

Quelles sont les solutions pour permettre aux sociétés de services de réellement se lancer dans le e-commerce de services et lutter à armes égales avec les plateformes numériques ? Nous en voyons au moins trois.

La première tient compte de la notoriété et des atouts des plateformes. Ainsi, peut-on imaginer l’émergence d’un modèle B2B2C qui favoriserait les partenariats entre sociétés "traditionnelles" et plateformes. Les entreprises de services et les plateformes peuvent en effet opérer ensemble pour réussir à se développer de façon pérenne. Les uns bénéficient d’une forte notoriété et d’outils modernes en phase avec les usages d’aujourd’hui. Quant aux autres, elles possèdent l’expérience, des ressources formées et une présence sur l’ensemble du territoire. Ainsi, plateformes et structures de services, possèdent de manière combinée l’ensemble des atouts pour réussir.

La seconde solution passe par un développement plus ambitieux des sociétés de service à la personne qui inclurait le développement de marques plus fortes et une approche multicanale de la vente incluant l’e-commerce. Il est en effet urgent d’entamer une montée en gamme, et de proposer, non seulement un service de qualité, mais également une expérience réussie dans l’acte d’achat. Celle-ci induit une émotion, créatrice de souvenirs que le consommateur va conserver et probablement partager. Il attend que la marque lui fasse vivre des expériences positives, voire émotionnelles en anticipant ses besoins. Le client vient pour le produit et il reste pour l’expérience.

Enfin, troisième solution, pourquoi ne pas imaginer que les structures de services s’allient pour créer leur propre plateforme. Elles pourraient par exemple se rassembler afin de proposer et structurer une offre cohérente, à la fois en termes de catégories de services et de couverture géographique. Plus les groupements sont locaux, plus l’effort est focalisé, donc avec un retour sur investissement plus intéressant. Chacune contribuerait au développement marketing et commercial dans la défense d’intérêts communs. Ce modèle a déjà fait ses preuves dans d’autres secteurs… Sans alliance, point de salut !