Le 26 juin, la jeune industrie des bots s'était donnée rendez-vous à Berlin pour la deuxième édition du Chatbot Summit. Parmi les startups françaises présentes, MailClark dont le co-fondateur Antoine Lefeuvre nous raconte sa journée passée avec des humains qui ne parlent que de robots.

Une pluie battante, un vent glacial, un quartier périphérique, un hôtel monstrueux -le plus gros d'Europe-, ce Chatbot Summit ne débute pas sous les meilleurs auspices. La météo de ce lundi matin berlinois est en phase avec celle du secteur des bots en 2017 : après une longue période au beau fixe, avis de tempête ! C'est Bradford Cross, associé fondateur de DCVC le fonds leader dans le machine learning, qui avait sonné la fin de la récréation quelques mois auparavant : "Bots Go Bust, la mania actuelle autour des bots, définis comme des interfaces conversationnelles par voix ou chat, commencera à s'effondrer en 2017". Une telle prédiction semble avoir congelé les annonces de levées de fonds du secteur sur BotFunded ; elles qui tombaient tous les quinze jours, voilà que le compteur est maintenant bloqué sur février. "Chatbot", en bon buzz word, serait ainsi passé du statut de mot magique en 2015 à celui de gros mot en 2017. 

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Mais une fois entré dans le centre de congrès, l'atmosphère est toute autre. Plus d'un millier de participants, une quarantaine de conférences réparties sur quatre tracks, des stands qui ne désemplissent pas, l’enthousiasme des créateurs de bots est visiblement à l'épreuve de la pluie et des prédictions de Bradford Cross. Dans la grande salle, l'ambiance est bon enfant et propice aux conversations, les organisateurs ayant choisi de nous réunir autour de tables rondes, comme dans un cabaret.

Autour de ma table, un échantillon assez représentatif de ceux qui font les bots aujourd'hui. Un portail d'emploi autrichien qui vient de lancer son « jobs bot », une startup de Milan qui crée des bots pour les grands comptes, une agence digitale berlinoise qui guide ses clients à travers cette nouvelle terra incognita du Web, un assureur russe qui commence à utiliser des bots pour le support client et enfin nous, les Lyonnais de MailClark, créateurs d'un bot moustachu devenu le facteur de Slack et Microsoft Teams.

Les cartes de visite fusent quand Yoav Barel, qui a lancé le Chatbot Summit en 2016 à Tel Aviv, fait son entrée sur scène. Sa keynote d'ouverture donne le ton (et les chiffres clés) : 100 000 bots créés en un an sur Messenger (versus 50 000 apps pour la première année de l'App Store), 20 % des apps de marque abandonnées d'ici 2019 (selon Gartner), 1 milliard de dollars pour le marché des bots en 2024 (selon Transparency Market Research). Pour Yoav Barel donc, pas de doute, les bots ne sont pas une mode, c'est une nouvelle ère du Web. Lui succèdent au micro un panel de grandes sociétés allemandes (Deutsche Post, Zalando, Telekom) qui confirment la tendance de fond — toutes investissent massivement dans les bots — mais tempèrent l'excitation. Zalando, par exemple, travaille à un bot coach de mode, mais « la technologie n'est pas encore prête ».

En parallèle, les autres salles de la conférence, l'une dédiée à l'UX, l'autre au développement, sont pleines à craquer. On s'assoit par terre, contre les murs, car tout le monde veut apprendre comment créer des bots. Ou plutôt, comment créer des bots utiles. Chacun a bien compris en effet que les bots déçoivent (trop) souvent, qu'ils ne sont pas ces pros de la conversation prêts à envoyer des légions d'humains au chômage et que l'heure est donc 1. à l'humilité et 2. à l'éducation des utilisateurs. "Spécialisez votre bot", "indiquez dès le départ ce qu'il sait et ne sait pas faire », "préférez tant que possible menus & boutons à la conversation libre" nous recommandent les experts comme le designer Adrian Zumbrunner dont le site perso héberge désormais un bot.

On n'a pas parlé que d'onboarding, langage naturel ou intelligence artificielle au Summit. On a aussi parlé affaires. "Le Summit était beaucoup plus grand que ce à quoi on s’attendait, s'enthousiasme Pierre-Edouard Lieb de Recast.ai, une plateforme de création de bots made in Paris. C’est une excellente opportunité pour rencontrer des startups spécialisées dans le marché des bots des quatre coins du monde. On va démarrer 2-3 partenariats qui auraient été impossible sans cet événement."
Parmi la cinquantaine d'exposants (dont quelques français : Recast donc, mais aussi Botfuel ou It's Alive), tous ne sont pas aussi emballés. "Tout le monde parle de bots B2C, alors qu'ils peinent à résoudre de vrais problèmes et donc à gagner de l'argent, raconte Alex Kistenev, CEO de Standuply, un bot de gestion de projet. Alors qu'à côté de ça, il existe des dizaines de bots Slack qui non seulement sont très utilisés mais génèrent des milliers de dollars en revenu récurrent." Des milliers, mais pas des millions, comme nous le savons bien chez MailClark, dont la monétisation a démarré il y a un peu plus de six mois.

Cette journée bien remplie s'est conclue sur un toit de Berlin. Finie la pluie, fini le vilain gros hôtel, place à un coucher de soleil mémorable au Klunkerkranich, un de ces lieux qui nous rappelle que Berlin est l'une des villes les plus cools d'Europe. Entre startuppeurs, nous partageons bières & questions existentielles. Les usages sont naissants, les business models incertains, mais la croissance est là et avec elle le sentiment que nous sommes au début de quelque chose de grand. Oui, 2017 verra la mort de bots, mais pas la mort des bots. C'est la fin de la récréation, les choses sérieuses commencent.