La récente ouverture de Station F et son offre hors norme est symptomatique d’un phénomène qui l’est tout autant. En effet, les espaces de coworking pullulent dans tout Paris à la vitesse de la lumière, au point de rendre la question suivante légitime : coworking, bulle ou vraie tendance ?

Un succès fulgurant…

Si les espaces de coworking sont si nombreux, c’est avant tout parce que le concept séduit un public de plus en plus large, à commencer par les grandes entreprises. Autrefois terrain de jeu de l’entrepreneur sexy, le coworking est aujourd’hui aménagé dans leurs locaux ou adopté par les collaborateurs en télétravail. Tout est fait pour encourager la synergie des esprits, que ce soit en interne (le coproworking) ou avec des acteurs extérieurs. Car si la tendance est forte, c’est bien que le coworking présente des avantages : galvanisant en ce qu’il encourage la collaboration, et flexible parce qu’il existe autant de formules qu’il y a d’espaces, il véhicule l’image d’un travail moderne et humain – une étiquette qu’aimeraient bien s’attribuer les grands groupes. L’entraide et l’innovation doivent créer un environnement de convivialité créative, d’où la présence désormais incontournable des babyfoots dans les espaces de coworking. "Cela peut sembler superflu, mais c’est grâce aux petits détails comme ça que c’est si séduisant. C’est un lieu de travail, mais pas seulement", nous confie Alexis, jeune entrepreneur de 24 ans passé par W Garden.

En ce qui concerne les espaces de travail collaboratif, il y a aussi un aspect purement pragmatique à leur succès : la maîtrise des coûts fixes, hantise de l’entrepreneur en devenir. L’espace de coworking, et ses multiples formes adaptées aux startups de tout type et de toute taille, permet un partage de loyer intéressant. D’autant plus qu’en se lançant, l’entrepreneur a rarement la visibilité à 6 mois qui lui permettrait de louer des bureaux classiques. Concrètement, ce sont quelques 70 000 m² d’espaces de coworking créés à Paris en 2017, d’après une étude d’Arthur Loyd, soit l’équivalent de 10 terrains de football. Ils ne se concentrent plus seulement dans les coins branchés, mais apparaissent aussi dans les centres d’affaires, pour encourager la proximité avec les grandes entreprises. Leur nombre a été multiplié par 9 en Ile-de-France entre 2012 et 2017, mais cette croissance répond-elle à une vraie demande, ou traduit-elle seulement un phénomène de mode ?

… mais pas pour tout le monde !

Aujourd’hui, les grands groupes de l’immobilier aussi se mettent à construire de l’espace de coworking : WeWork (2 300 postes), Nextdoor (4 500 postes) et Spaces (1 850 postes) ont investi le marché cette année, dont ils ne voient pas arriver la saturation avant longtemps. La raison à cela ? Il représente seulement 2% de l’immobilier de bureau en France. Mais leur arrivée sur ce marché encore jeune contribue à sa structuration, et à une intensification de la concurrence qui tire les prix vers le bas. La segmentation rend donc l’environnement moins viable pour les petits acteurs, dont le cœur de cible est moins les startups sexys ayant levé des millions que les 99% d’autres entrepreneurs. C’est pourquoi les petits acteurs favorisent la mise en réseau, comme Remix, Kwerk ou la Cordée, mais ces réseaux amplifient finalement le mouvement, en ce qu’ils permettent les économies d’échelle qui rendent l’entrée sur le marché difficile.

D’après le Global Coworking Survey, seulement 12% des espaces comptent dix membres ou moins, contre 23% il y a un an. Les espaces sont ainsi passés de 76 membres en moyenne à presque 130, ce qui explique en partie que deux espaces sur trois aient prévu de s’agrandir en 2017 - presqu’une question de survie pour certains d’entre eux. Car d’après une autre étude de Socialworkplaces.com, seulement 41% des espaces de coworking sont aujourd’hui rentables. Avec une telle augmentation de l’offre, ce chiffre peut-il réellement augmenter ? Ajoutez à la concurrence grandissante un taux d’occupation qui stagne (40% des membres se rendent dans leur espace tous les jours), et rien n’apparaît moins sûr, d’où une diversification de leur offre pour compenser : formations, programmes d’accélération… Cette diversification est un moyen pour les espaces de travail collaboratif de s’assurer un développement pérenne. C’est en tout cas l’une des conclusions des premières assises nationales du coworking, qui ont eu lieu à Lyon en février. La problématique de l’événement : une fois sortis de la phase d’émergence, comment atteindre la maturité ?

Les acteurs du marché ont bien conscience des difficultés qui les attendent, et s’y préparent, avec l’appui des pouvoirs publics : la région Ile-de-France a prévu 3,5 millions de subventions en 2017, et prévoit l’ouverture de quelques 900 espaces d’ici 2021. Une stratégie à double tranchant donc, mais qui permettra peut-être aux petits acteurs d’atteindre un point d’équilibre tout en conservant les valeurs de proximité et de partage qui les caractérisent. Surtout, cela confirme que le coworking a bonne presse, et que les acteurs du marché ont toutes les clés en main pour faire durer la mode.