Avril 2014. Vous êtes convié au siège d’une société que nous appellerons “STARTUP”, pour un ‘board’, une réunion du conseil de surveillance. Cet article est inspiré de faits réels, toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé n'est pas fortuite. "STARTUP" est une startup technologique européenne créée en 2009. Pour financer la croissance, ses fondateurs ont décidé de lever des fonds auprès de plusieurs VCs. Une table, quelques boissons, beaucoup de monde autour de la table. Tous les board members sont là : un VC anglo-brésilien, une entrepreneur américaine, un VC allemand, un patron français basé au Canada, des Français, les fondateurs de la société. Dernier point à l’ordre du jour, une question délicate :

"Faut-il envoyer le CEO de "STARTUP" aux US ?"

Cette question a été posée au Conseil d’Administration qui a formulé une recommandation oui/non. S’en est suivi l’examen des conséquences budgétaires, humaines, commerciales et stratégiques que nous vous exposons plus bas. Pour vous lecteur, le jeu est le suivant :

Quelle aurait été votre décision ?

LE CONTEXTE

  • Revenus : plus de 2 millions d'euros de CA, Objectif 2014 : X2 ;
  • Fonds levés : plus de 12 millions de dollars ;
  • Burn Rate : en le maintenant au même niveau, "STARTUP" a encore du cash pour un peu plus d’un an ;
  • Clients :  forte croissance de sa base clients. Majoritairement en Europe ;
  • Silicon Valley : "STARTUP" y a déjà un bureau, où travaillent un VP Sales et une VP Marketing, accompagnés de quelques employés. Par ailleurs, le principal partenaire stratégique a une bonne partie de son état-major dans la Silicon Valley.

LES ARGUMENTS POUR

La perspective est de gagner en activité et visibilité aux États Unis.

  • L’Europe est ‘couverte’ : STARTUP a déployé ses services sur la totalité des FUGIS (France, UK, Germany, Italy, Spain). Elle a acquis et démontré à ce titre une expérience dans l’expansion à l’international.
  • Obligation de croissance : l’ambition est celle d’une croissance à deux ou trois chiffres (en forme de “hockey stick”). La présence de trois VCs au capital en est à la fois une cause et une conséquence, avec pour revers de la médaille la pression imposée par ces derniers.
  • L'écosystème : pour STARTUP, en 2014, une grande partie de son écosystème est dépendant de l’éco-système digital américain. Dans notre quotidien, l’ensemble des outils que nous utilisons sont produits par des sociétés américaines (j’écris ce texte publié sur Medium, sur un macbook, sur google doc, avec chrome. Et avant, j’ai tweeté un article de Techcrunch). La concentration de sociétés dans un rayon de 50 kms dans la Silicon Valley est considérable : Google est à 15 kms d’Apple, 12 kms de Facebook, 8 kms de Linkedin... Il apparaît souvent bien plus efficace de “parler au dieu qu’à ses élèves”. Comme partageait avec ironie un manager d’un GAFA, “un chef de produit junior au siège à plus d’influence stratégique qu’un top manager régional non américain”.
  • Valeur de sortie, dite ‘valeur stratégique’ : indépendamment des données financières, réussir sur le marché américain est une validation tellement difficile à atteindre qu’elle apporte à toute startup un facteur multiplicatif en sortie... en cas de succès.
  • Stratégie de sortie : L’activité fusion-acquisition est considérable aux Etats-Unis : Facebook a acquis en 2015 5 sociétés, 10 en 2014, Google 15 en 2015, 34 en 2014 ! Les valorisations sont très élevées, et les process rapides.

LES ARGUMENTS CONTRE

Les incertitudes d’une relocalisation du PDG vers les US sont majeures.

  • Coûts : suivant les attentes du PDG, la taille de sa famille, et en partant du principe que ce dernier veut continuer à cotiser au système social français (retraite, sécurité sociale), avec une volonté de garder une qualité de vie similaire, le montant de la rémunération chargée est de l’ordre de quatre cent à cinq cent mille euros par an. Soit le coût de deux à trois cadres de qualité en Europe.
  • Equipe américaine : on ne relocalise pas un patron de startup en Silicon Valley pour qu’il y reste isolé. Il va bien sûr continuer à construire une équipe sur place. Que cela soit côte Est ou côte Ouest, le coût de recrutement d’une équipe est trois à dix fois plus élevé qu’en France. La culture y est aussi différente.
  • Management : le dirigeant et créateur d’entreprise sous estime souvent son impact managérial. Par sa vision, le risque qu’il a pris au début, sa force d'exécution, il est un pilier structurant de la société, pour ne pas dire une source d’inspiration. Laisser l’entreprise sans leadership fort peut entraîner une dérive managériale, une perte de valeur, une disparition de focus, voire un glissement progressif de culture.
  • Financement : les valorisations, les montants levés et les qualités des investisseurs américains sont une référence mondiale, offrant une accélération potentielle considérable pour la société. Mais la prochaine levée de fonds de STARTUP peut elle vraiment se faire aux US, à peine 6-9 mois après l’arrivée du CEO ? Est-ce réaliste ou serait-il plus prudent d’avoir le PDG en Europe, sur “son” terrain, au moment de la prochaine levée ?

ET MAINTENANT..

Le débat a eu lieu, chaque board member s’est exprimé à la table. Votre tour arrive. Alors, cher lecteur, envoyez-vous le CEO aux US ou préférez-vous qu’il reste en France pour le moment ?

Article initialement publié le 8 février 2017