Startups et investisseurs se frottent les mains face à l'essor d'une nouvelle forme de levée de fonds : les ICO. Mais entre cours à haute volatilité et dérégulation totale, les dangers sont nombreux, comme l'expliquent Racem Flazi co-fondateur de LegalPlace et Mehdi Ouchallal, avocat.

En quelques mois, des entreprises ont levé l'équivalent de centaines de millions de dollars en ICO (de l’anglais Initial Coin Offerings). 153 millions de dollars pour Bancor, 185 millions pour EOS, 232 millions pour Tezos et, en France, des startups telles que DomRaider annoncent déjà l’équivalent de plusieurs millions d’euros collectés ainsi.

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Les formes traditionnelles de levées de fonds, par introduction en Bourse, via des fonds d’investissements, voire même par crowdfunding sont trop régulées ou trop coûteuses par leur formalisme ? Qu’à cela ne tienne, les acteurs de l’économie numérique sont tentés désormais, au lieu de frapper aux portes de la finance classique qui leurs sont fermées ou à peine entrouvertes, de tout simplement s’en détourner. La solution : ne plus chercher à collecter des fonds en monnaies officielles et se tourner vers la levée en cryptomonnaie (Bitcoins, Ethereum, etc.), en dehors de tout cadre réglementaire.

Le concept simple de l’ICO, emprunté des formes de financements traditionnels

Le fonctionnement d’une ICO est par nature déroutant tant il est simple et ressemble à une introduction en bourse (IPO, pour Initial Public Offering). L’entreprise, ou l’équipe réunie autour d’un simple projet, qui souhaite lever des fonds émet des tokens, une forme de jetons virtuels émis comme une société pourrait émettre des actions ou des obligations, à ceci près que l’entreprise les développe en utilisant la technologie de la Blockhain, sécurisant l’intégrité et l’émission du token sans dépendre d’un organisme centralisateur. Puis, sur une plateforme dédiée, les investisseurs "achètent" les tokens émis en payant en cryptomonnaie. En pratique, il est fréquent qu’une opération d’ICO soit bouclée en quelques secondes après son ouverture. L’entreprise peut alors utiliser la cryptomonnaie en tant que telle (de plus en plus de biens et services peuvent s’acquérir en Bitcoins ou en Ethers notamment, prochainement, via le géant Amazon) ou la convertir en monnaie à cours officiel via des plateformes de change de plus en plus répandues.

golden Bitcoin

De leurs côtés, les investisseurs peuvent utiliser les tokens de l’entreprise pour acheter ses biens ou services ou, tout simplement, en faire un instrument d’épargne, voire de spéculation, puisqu’il existe des places de marchés, à l’image de Bourses totalement dérégulées, où les tokens émis par les entreprises concernées peuvent s’échanger contre de la cryptomonnaie, selon leur cours du moment (en général très volatile).

Le caractère totalement dérégulé de l’ICO et des marchés secondaires de tokens

Ces circuits de financements et de marchés secondaires, qui utilisent les fondements de la finance traditionnelle, fonctionnent en dehors de tout cadre juridique, de toute régulation des autorités financières nationales et de manière transfrontalière. Comment les régulateurs nationaux pourraient en effet prétendre réguler de telles opérations alors que les jetons émis ne sont pas des titres de capital ou financiers et qu’ils ne sont même pas de vrais vecteurs d’épargne puisque leur souscription ne donne pas lieu à paiement d’une somme d’argent ?

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Se détournant de la sécurité juridique, les acteurs des ICO préfèrent mettre en avant la sécurité technologique de l’opération, basée sur la Blockchain. L’organisateur fournit un whitepaper (une forme de document d’information sur l’entreprise et les étapes du projet) et communique sur l’équipe et les conditions d’émission du token ainsi que ses caractéristiques techniques (code source, etc.). Mais aucun document formel et légal équivalant à un prospectus (qui est un document d’information particulièrement lourd et onéreux dans son élaboration, imposé lors d’une introduction en Bourse ou d’une offre au public de titres financiers) n’est imposé.

Les risques attachés aux opérations d’ICO

Peut-être précisément parce qu’elle fonctionne en dehors de tout contrôle réglementaire, une opération d’ICO présente des dangers non négligeables pour les investisseurs, qui dans la plupart des cas sont eux-mêmes des acteurs de l’économie numérique, bien au fait des risques encourus.

Bien entendu, aucune garantie n’existe pour l’investisseur. Mais au-delà de cette caractéristique commune à toute forme d’investissement dans une société, il faut être conscient du caractère extrêmement volatile des "cours de tokens" et de l’absence de contrôle suffisant sur la fiabilité de l’équipe ou du projet financés. Ces opérations, en plus d’être parfois hautement spéculatives, peuvent être assises sur des projets douteux voire frauduleux, faute d’avoir fait l’objet de contrôles par des organismes dépositaires de l’autorité publique.

De plus, des pirates aux pratiques de plus en plus sophistiquées utilisent, dans ce cadre, des techniques de phishing pour dérober les montants investis en cryptomonnaie. Une opération tristement célèbre (The DAO, qui dépassait les 150 millions de dollars levés) a ainsi été piratée par un hacker qui a descellé une faille dans le code source lui permettant de subtiliser une partie des Ethers investis.

Old wooden door with a skull and swords

Il n’est dès lors pas improbable que, face au succès grandissant de ce mode de financement accompagné de la multiplication de sinistres, diverses autorités nationales réagissent et tentent de s’emparer du sujet, de manière concertée ou non. Une telle réaction pourrait prendre la forme brutale d’une interdiction, ce qui ne serait pas efficace compte tenu de l’absence de frontières de l’Internet. Elle pourrait alternativement se matérialiser par une volonté d’imposer un cadre et une régulation aux ICO, ce qui serait toutefois loin d’être simple car il faudrait reconnaitre légalement des jetons (les tokens) et des monnaies qui n’ont pas d’existence juridique, sans compter que cela serait contraire à la philosophie même de ces nouveaux "marchés financiers" protéiformes qui s’empresseraient de se recomposer en dehors des cadres légaux nouvellement établis.