Maurice, la Réunion, Madagascar, trois territoires dont on entend peu parler dans la presse startup. Et pourtant… A priori complètement différentes – la première est une petite République touristique à forte croissance, la seconde un territoire français d'outremer relativement riche, la dernière un pays aussi grand que pauvre – ces îles ont deux points en commun : leur emplacement géographique, au large de l’Afrique, et l’existence de scènes startup jeunes mais dynamiques.

Un manque de visibilité

"Il n’y avait pas grand chose, il y a deux ans", se rappelle Vincent Pollet, le fondateur du blog startup local ict.ioQuand ce Français installé à l’Ile Maurice rejoint un incubateur en 2014, un constat s’impose à lui : Maurice, petit pays d’1,2 million d’habitants, compte de nombreux projets intéressants, ainsi que quelques concours de startups et incubateurs, mais aucun média n’en parle. Même état des lieux à la Réunion et à Madagascar.

Les trois scènes startup locales étaient trop petites et jeunes pour être visibles des médias, et les médias locaux trop petits pour recruter des journalistes connaissant les spécificités des startups. Vincent Pollet décide donc, début 2015, de lancer ict.io pour faciliter la circulation d’information entre les startups et les mettre en avant afin d’attirer clients et fonds d’investissement au niveau régional et international.

Pour Vincent Pollet, réunir ces territoires est essentiel pour obtenir une taille critique et ainsi s’organiser et gagner en visibilité. Mais le regroupement est difficile à réaliser. "On a un gros problème de story-telling", déplore-t-il. Les îles sont en effet si différentes que les gens ont du mal à les associer. D’ailleurs, la région géographique n’a même pas de nom à proprement parler. Quand Vincent parle de la scène régionale à l’étranger, il parle de Tropical Valley.

Des îles foncièrement différentes

La Réunion ne semble pas avoir adopté ni le nom ni le projet. Il faut dire qu’il s’agit du territoire le plus développé de la région grâce à son appartenance à la République française. Infrastructures de qualité, formations de haut niveau, Crédit Impôt Recherche, financement par les institutions publiques à travers l’Agence régionale de développement Nexa ou bpifrance, association des professionnels du numérique avec Digital Réunion, technopôles et incubateurs… Y lancer sa startup y est relativement facile. D’autant que les startups peuvent s’appuyer à la fois sur le marché local mais aussi sur le marché métropolitain pour vendre leurs services ou produits. Tournés vers la recherche, certains secteurs clés ont même émergé : la santé, l’énergie et le numérique. À l’inverse, Madagascar et Maurice ne disposent pas d’infrastructures solides, de subventions ou de soutien à la recherche, souffrent du non-retour de la diaspora qualifiée et doivent s'appuyer sur des marchés régionaux restreints.

Maurice a d’autres avantages. Dans ce petit pays bilingue – l’anglais est la langue officielle du pays, le français, la langue d’usage – la main d’œuvre est qualifiée et le secteur privé est dynamique. Ses 1,3 million de touristes annuels permettent de faire doubler la taille du marché. Depuis peu, le gouvernement parie sur la Tech. Il a mis en place la Regulatory Sandbox Licence (RSL) qui offre la possibilité à un investisseur de mener à bien une activité pour laquelle il n’existerait ni cadre juridique, ni dispositions légales adéquates, mais aussi le Innovators Visa et le NSIS – mécanisme de soutien aux incubateurs.

Madagascar dispose, elle, d’un grand marché de 25 millions d’habitants et les besoins sont nombreux. Accès à l’eau potable, électricité, e-commerce balbutiant, les entrepreneur·e·s ne manquent pas de problèmes à résoudre. Dans ce pays, partiellement francophone et spécialiste du offshore à bas prix, les structures commencent à voir le jour pour soutenir l’entrepreneuriat, à commencer par Habaka, un espace communautaire technologique ou encore les Startup Weekends.

Madagascar

Les bailleurs de fonds s’intéressent aussi à la Grande Île et initient des projets. Facebook y a lancé son programme Free Basics, un service permettant l’accès à quelques sites internet gratuitement sur téléphone mobile. Force est de constater que ce pays reste assez éloigné de la Réunion et Maurice, les acteurs de ces deux pays ne semblent pas vraiment connaître cette scène Tech francophone.

Un effort de régionalisation

Mais à Maurice, on continue de le dire : pour permettre à chaque écosystème de grandir, il faudrait développer le nom et le concept de la Tropical Valley. Rebecca Espitalier-Noel du fonds d’investissement en capital-risque mauricien Compass explique que "communiquer davantage entre écosystèmes et échanger aiderait grandement les startups locales en termes de crédibilité et faciliterait leur développement." Les premières initiatives, comme les échanges de startups entre incubateurs, ont prouvé leur intérêt. "La collaboration devrait s’intensifier en exploitant le mécanisme de visa, et en utilisant les avantages comparatifs des pays", explique Rebecca Espitalier-Noel.

"La Tropical Valley doit tirer profit du vrai savoir-faire client et de la culture du service et de la vente de Maurice et de sa connexion au marché anglophone, des infrastructures de recherche de la Réunion, notamment en biotech et santé, et de sa connexion avec le marché français, ainsi que des capacités de développement et des similarités des problématiques africaines de Madagascar", continue-t-elle.

Pour amplifier cette collaboration, Maurice a déposé son dossier pour devenir un Hub French Tech. "Nous souhaitons créer une dynamique de coopération et d’émulation, stimuler l’innovation et les échanges, accélérer le développement commercial, exploiter les synergies avec la France et les autres pôles French Tech, notamment l’Afrique du Sud et la Réunion, et faire rayonner l’écosystème mauricien, en France et à l’international", ajoute Anibal Martinez, cofondateur d’ict.io, du Coworking Port Louis et entrepreneur.

Du côté de la Réunion, l’entrain est moins prononcé. Digital Réunion s’est bien rapprochée sur certains sujets de la French Maurice et du GOTICOM, le Groupement des Opérateurs des TIC à Madagascar, mais il ne s'agit que de prémices, explique Laura Deleersnyder, la chef de projet. Pour elle, point de Tropical Valley; l’association concentre ses efforts sur la collaboration avec la France métropolitaine et la French Tech Afrique du sud. Pour prendre son envol, la Tropical Valley devra d’abord trouver une envie et des objectifs communs.