L’économie du partage est née d’une belle idée. Mais a-t-elle un avenir sous sa forme actuelle ? Voici 4 questions majeures pour faire le tour du sujet.

Elle est partout, dans notre consommation quotidienne, dans notre façon de voyager, dans notre alimentation, dans nos déplacements. Elle acquiert petit à petit un pouvoir exponentiel, transformant de petites startups en super licornes à vitesse grand V, redessinant au passage les contours de l’économie dans son ensemble. L’économie du partage, c’est peut-être une gigantesque bulle qui n’en finit pas de se former, ou bien une mode tenace qui persiste malgré tous les pronostics. Mais ce qui est certain, c’est qu’elle soulève nombre de questions. En voici quatre.

Peut-on échapper à l’économie du partage ?

À bien regarder le paysage de la sharing economy, il semblerait que non. Cinq secteurs seulement se partagent l’essentiel des retombées financières générées, mais ils sont autant de piliers majeurs de l’économie mondiale : l’hébergement arrive en tête, suivi des transports, de la finance, des services à la personne et, pour finir, des services dédiés aux professionnels.

En tout, on parle de 20 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2013, qui pourraient bien se transformer en 302 milliards (quinze fois plus !) à l’horizon 2025 selon le ministère de l’Économie… Et ce n’est que la fourchette basse des estimations, celles-ci allant jusqu’à 570 milliards pour les plus optimistes (PwC).

Difficile, donc, d’y échapper. D’autant que l’économie du partage commence doucement à s’insinuer dans des domaines qui semblaient imperméables aux promesses du peer-to-peer : au-delà des plateformes qui permettent aux particuliers de se prêter des sommes d’argent importantes, les acteurs de l’assurance s’intéressent de près aux produits flexibles proposés par certaines startups. Même les grands noms du secteur commencent à envisager un basculement du besoin, de la propriété vers l’usage.

La sharing economy parvient-elle à fédérer au-delà des « Y » ?

Contrairement à une idée reçue, l’économie du partage n’intéresse pas uniquement les représentants de la génération « Y ». Certes, les Millennials sont les premiers à avoir embrassé ces services qui répondent à leur désir de digitalisation autant qu’à leurs limites financières. Certes, l’exclusivité du canal digital dans le cadre de ces services peut rebuter certains consommateurs peu connectés.

Néanmoins, c’est la population dans son ensemble qui est concernée par la sharing economy et ses possibilités. Près de 90 % des citoyens français auraient déjà utilisé un service collaboratif en ligne, selon les chiffres du ministère de l’Économie. Les femmes sont concernées au premier chef, puisqu’elles sont 59 % à profiter des services partagés, contre 41 % de leurs compatriotes masculins.

Quant aux raisons, elles sont diverses. Étonnamment, la première d’entre elles n’est pas économique : 40 % des utilisateurs de l’économie du partage louent le côté pratique des plateformes et des applications ; l’aspect financier n’arrive qu’en seconde position, avec 36 %. Et ils sont 19 % à y voir un sens plus large, à considérer que cette forme économique est un véritable changement de paradigme qui a partie liée avec le respect de l’environnement, le développement durable et le vivre-ensemble (chiffres issus d’une enquête OuiShare/Fondation intranet nouvelle génération).

Y’a-t-il tromperie sur la marchandise ?

Il est légitime de se poser la question – et de plus en plus de gens tendent à le faire. La sharing economy n’est plus en état de grâce et les voix discordantes s’élèvent pour démontrer comment cette belle idée a été doucement pervertie. Cet article souligne bien la manière dont les valeurs de partage et d’humanisme qui sont au cœur de ce principe économique ont dérivé vers une professionnalisation croissante. Avec deux conséquences : le développement d’un véritable business du partage et la transformation malheureuse de l’idée de base en une confrontation sans âme.

Dans une interview donnée en août 2017 au Monde, le directeur France d’AirBnb critiquait le « fantasme de la professionnalisation ». Pourtant, on peut difficilement nier les dérives qui touchent la plateforme : multipropriétaires qui génèrent des revenus locatifs plus élevés que le salaire médian hexagonal, « guests » qui n’ont jamais de contact réel avec leur « host », appartements impersonnels qui ressemblent comme deux gouttes d’eau à des chambres d’hôtel… En somme, AirBnb serait le symptôme d’une trahison qui ne dit pas son nom, aux côtés de tous ceux qui participent de l’ubérisation de l’économie. Comme le rappelle régulièrement Michel Bauwens, théoricien de la sharing economy, ces plateformes qui ont la mainmise sur la sphère économique collaborative n’ont aucun lien avec le principe fondateur de mise en commun des biens, des services et des connaissances.

Quel avenir pour cette forme économique ?

L’économie du partage bénéficie d’un écosystème riche et en évolution perpétuelle. Loin des leaders du marché que sont Uber, AirBnb et consorts, ce sont plus de 90 000 startups qui développent des services partagés, aidées par une législation très favorable – notamment en Europe. Ces services touchent à tous les domaines. Et demain, il sera potentiellement possible de tout faire sans avoir à passer par un professionnel.

Les utilisateurs français voient pour cette économie un avenir radieux : en 2014, 66 % d’entre eux estimaient déjà qu’elle aura un poids de plus en plus important au fil des années (étude Forbes et TNS Sofres). Mais la réalisation de cet avenir dépend d’une chose : que l’économie du partage redevienne petit à petit ce qu’elle était à la base, et qu’elle aurait toujours dû être. Parmi les entreprises qui développent de nouveaux services, nombreuses sont celles qui vont dans ce sens et qui s’appuient sur des piliers plus purs de la sharing economy : location d’outils chez les particuliers (Bricolib), partage des offres promotionnelles qui foisonnent sur le web comme le site de code de réduction Offresasaisir, dîner chez l’habitant (VoulezVousDiner), etc.

L’économie du partage est là pour durer. Mais ce sera à condition qu’elle en revienne à sa nature profonde : se mettre au service des êtres humains plutôt que de travailler presque exclusivement pour les acteurs économiques les plus puissants.