L’aspirateur sans sac représente aujourd’hui près de la moitié du marché de l’aspirateur. Mais cette solution n’a pas toujours été une évidence. En 1984, après 5 années de recherche, James Dyson présente sa technologie Dual Cyclone à Hoover, le leader du marché aux Etats-Unis. Malgré l’argumentaire de James Dyson, Hoover, puis d’autres acteurs traditionnels de ce marché refusent catégoriquement de franchir le pas. Il finit par convaincre un industriel japonais qui commercialise le premier aspirateur sans sac de l’histoire : le G-Force. C’est la naissance de la légende Dyson.

Aujourd’hui, 3 millions d’aspirateurs Dyson sont vendus chaque année dans le monde entier. Dyson est même numéro 1 aux Etats-Unis et détrône Hoover, le leader historique.

A posteriori, il est facile de critiquer Hoover qui a refusé de commercialiser le Dual Cyclone en 1984 : manque de vision, aversion au risque, peur du changement… Mais renversons cette problématique : et si c’étaient les porteurs du projet qui n’avaient pas su présenter bien leur innovation ? Et s’ils avaient conduit, inconsciemment, les décideurs à faire le mauvais choix ?

Dans cet article nous vous donnons 3 conseils pour présenter sous le meilleur jour votre projet d’innovation afin de leur donner une vraie chance face aux décideurs !

Conseil #1 : Fournir les bons critères d’évaluation

Imaginez-vous directeur chez Hoover en 1975, lorsque James Dyson débarque avec sa technologie révolutionnaire. Vous devez choisir entre investir dans le développement d’aspirateurs sans sacs ou continuer avec l’aspirateur classique. Si cette technologie peut effectivement permettre d’améliorer la puissance d’aspiration, et donc d’augmenter le prix du produit, cette hausse ne compensera en aucun cas la perte des revenus liés aux ventes de sacs. Conclusion : il n’y a aucun intérêt à investir dans une telle technologie.

Et pourtant la suite de l’histoire a montré exactement le contraire…

Alors, où est l’erreur ? Elle n’est pas dans la décision en elle-même, qui s’appuie sur un raisonnement tout à fait rationnel. En réalité, elle se trouve dans les critères d’évaluation utilisés pour juger de l’intérêt de cette innovation. Ils ne sont pas adaptés, comme c’est souvent le cas dans les situations d’innovation de rupture.

En effet, l’aspirateur sans sac a été jugé selon une grille d’évaluation standard, utilisée pour évaluer les aspirateurs classiques (performance, poids, volume, capacité à générer des revenus récurrents…). Les paramètres tels que “l’effort de l’utilisateur pour acheter des sacs”, “la facilité d’entretien de l’aspirateur” ou encore “la possibilité de voir la performance du produit” (voir la poussière se faire aspirer à travers le bac transparent) n’étant a priori pas discriminants jusqu’alors, ils n’ont pas été pris en compte. Or la valeur ajoutée de cette innovation réside justement là : simplicité d’usage, facilité d’entretien et perception de la performance d’aspiration. Combien le client est-il prêt à payer en plus pour cela ? Voilà la question à laquelle il fallait répondre pour être capable de décider si, oui ou non, cette innovation représentait un potentiel intéressant.

Mais qui est chargé d’identifier ces “bons” critères de décision ? Certainement pas les décideurs, dont le rôle consiste justement à décider, à partir des éléments qui leur sont fournis.

A retenir : C’est à vous, porteurs de projet, de fournir la bonne grille de lecture. Celle qui permettra aux décideurs d’apprécier correctement la valeur apportée par votre innovation.

Mais cela n’est pas toujours suffisant : même si le potentiel de l’innovation a bien été démontré, l’investissement reste risqué et les gains incertains.

Conseil #2 : Montrer les gains au-delà du simple produit

En effet, une initiative isolée – d’autant plus si elle représente une vraie rupture avec le mode de pensée classique de l’entreprise – fait peur : si le projet est un échec, tous les efforts fournis et investissements engagés seront considérés comme “perdus”. Afin de rationaliser cette prise de risque, il faut montrer aux décideurs qu’au-delà du simple produit ou service proposé, le projet contribue à la stratégie d’innovation de l’entreprise.

Imaginons qu’un acteur tel que Seb ou Miele se soit lancé dans un projet de développement d’aspirateur sans sac mais que, contrairement à Dyson, le projet n’ait pas abouti. Cet investissement aura-t-il été complètement vain ? Pas nécessairement.

  • Accroître l’expertise historique. Tout d’abord, ce projet leur aurait permis de développer des savoir-faire clés, par exemple sur le comportement de la poussière en phase d’aspiration. Et ces connaissances auraient tout à fait pu être réutilisées pour optimiser le fonctionnement d’aspirateurs classiques.
  • Acquérir de nouveaux savoir-faire. Des connaissances plus originales auraient aussi pu être acquises, comme la maîtrise du jet d’air par exemple. Ces connaissances auraient pu donner naissance à de nouvelles opportunités comme le ventilateur sans pales, ou encore Airblade, le sèche-mains ultra rapide.
  • Ouvrir de nouveaux champs d’innovation. Enfin, au cours de projet, d’autres concepts, plus ou moins proches de l’idée de départ, auraient pu apparaître : l’aspirateur sans filtre ou le sac réutilisable par exemple.

Dyson a su tirer parti du savoir-faire acquis lors de la conception de l’aspirateur sans sac pour développer tout une gamme de nouveaux produits. Source

A retenir : Bien qu’imprévisibles et relativement diffuses, les retombées d’un projet d’innovation sont souvent plus nombreuses et riches qu’on ne le croit. Bien plus qu’une simple technique de persuasion, ces retombées constituent une part importante de la valeur d’un projet d’innovation pour l’entreprise. Et c’est à vous, porteurs de projets, qu’il revient de les identifier et les mettre en avant.

Conseil #3 : Evaluer le “risque à ne pas faire”

Dans l’exemple du début, le directeur de chez Hoover, évalue l’opportunité que représente l’aspirateur sans sac au regard de la situation actuelle :

  • Hoover est leader de son marché;
  • Ses aspirateurs se vendent très bien;
  • Rien ne montre que la situation va changer.

Autrement dit, tous les voyant sont au vert ! Il n’a donc aucun intérêt à prendre le risque d’investir dans un nouveau produit. D’autant plus que cela déstabilise son modèle économique historique qui repose sur la vente de sacs.

Mais c’est oublier que l’éco-système auquel appartient Hoover, l’industrie des aspirateurs, peut évoluer et que d’autres acteurs que Hoover peuvent décider de développer et commercialiser des aspirateurs sans sacs ! Ce qu’il s’est effectivement passé. Comment éviter de se retrouver dans cette situation ?

Si, malgré toutes vos recommandations, l’opportunité que représente votre innovation n’est pas considérée comme suffisamment intéressante, il existe un dernier recours. Mettre en avant le “risque à ne pas faire”. Dans quelle mesure votre innovation constitue-t-elle une menace pour votre entreprise ? Si le risque de “disruption” est élevé, il est probablement plus prudent de s’y préparer… plutôt que d’espérer qu’aucun autre acteur n’ait la même idée que vous. Ce qui est d’ailleurs peu probable. Donc, même si l’aspirateur sans sac ne semblait pas constituer une opportunité économique intéressante pour Hoover à l’époque, l’arrivée de ce nouveau produit aurait pu rendre l’aspirateur classique caduc. En investissant dans le développement de cette technologie, Hoover aurait pu anticiper ou même jouer un rôle clé dans l’évolution de son marché… et peut-être conserver son leadership.

A retenir : Ici encore, il est de votre responsabilité de mettre en garde vos décideurs, en évaluant le risque “à ne pas faire”, quitte à ce que les premiers travaux qui seront lancés visent à confirmer que ce risque est bien réel.

En plus de permettre une décision plus éclairée, cette technique est très efficace car elle joue sur un mécanisme psychologique simple : l’Homme est plus sensible à une perte potentielle qu’à un gain potentiel.

Donnez (vraiment) une chance à votre innovation !

Vous croyez vraiment au potentiel de votre idée ? Alors il est de votre responsabilité de fournir tous les éléments nécessaires pour que vos décideurs prennent la bonne décision !

  1. Fournissez des critères d’évaluation pertinents et adaptés, permettant de juger correctement le potentiel de votre innovation ;
  2. Montrez de quelle manière votre projet contribue à la démarche d’innovation globale de l’entreprise, indépendamment de sa réussite commerciale propre ;
  3. Mettez en avant le “risque à ne pas faire”, dans le cas où les bénéfices démontrés ne sont pas suffisants pour convaincre.

 

Colette Ménard a fortement contribué à faire évoluer la méthode C-K. Elle a d’abord été en charge du projet Creative Engine chez Stim, qui a donné naissance au premier prototype de machine créative. Forte d’une solide expertise méthodologique, Colette a eu l’occasion d’accompagner de nombreux clients, à la fois sur des projets d’innovation – comme Valeo dans le cadre d’un projet visant à concevoir la voiture autonome de demain, et sur la mise en place de processus d’innovation – dans le monde de la banque notamment.