1 avril 2018
1 avril 2018
Temps de lecture : 4 minutes
4 min
5973

"Le projet était médiocre mais l'équipe trop cool" : un investisseur nous dévoile les coulisses de sa dernière opération

À quoi tient un investissement ? Pas à la qualité de la technologie ou à un dossier bien ficelé mais à une équipe complémentaire et, parfois, la chance de tomber sur un partner sensible à certains détails.
Temps de lecture : 4 minutes
Partager
Ne passez pas à côté de l'économie de demain, recevez tous les jours à 7H30 la newsletter de Maddyness.

Tous les investisseurs vous le diront : la première chose qu'ils regardent dans une startup, c'est l'équipe. "L'équipe, c'est l'élément déclencheur d'un investissement, confirme Jean-Patrick Dollz, partner chez Failure Ventures. Un entrepreneur sympa, avec un beau sourire, peut faire des miracles." À côté de lui, Edmond-Christian Papiéglassé, CEO de la startup LoseYourself dans laquelle Failure Ventures a investi, acquiesce avec de grands hochements de tête. "Jean-Patrick m'a tout de suite dit que notre technologie n'avait rien de révolutionnaire, se rappelle le jeune homme. Mais une techno, ça se travaille."

LoseYourself a ainsi pivoté sur les conseils de Jean-Patrick Dollz, après avoir levé 18 millions d'euros en seed, un record. Au départ censée développer un GPS intuitif qui détecte l'humeur de l'utilisateur et le conduit automatiquement à son bar préféré ou à l'adresse de son conjoint, l'entreprise a préféré changer son fusil d'épaule sous le double effet d'une intelligence plus artificielle qu'elle n'en avait l'air et du scandale Cambridge Analytica qui a rebattu les cartes en matière d'utilisation des données. "Il leur aurait fallu des centaines de millions d'euros et à peu près autant d'années pour arriver à développer un tel outil, directement relié au cerveau de l'utilisateur, souligne l'investisseur. J'ai préféré les orienter vers un GPS qui permet de se perdre où que l'on se trouve. Bien moins utile mais tellement plus facile à développer !"

Penser aux soft skills

Car la force de LoseYourself, c'est d'avoir une équipe aux compétences complémentaires. Edmond-Christian fait ainsi des merveilles en attaque au babyfoot et parvient à tirer un café correct d'une machine Nespresso, deux atouts-clés dans un incubateur. Louis-Henri, le CTO, doit son poste à son habileté à pouvoir faire tenir une cuiller en équilibre sur son nez, un numéro particulièrement technique qui a bluffé nombre de fonds d'investissement lors des pitchs. Enfin, Eudes-Marie a hérité du très convoité poste de CMO grâce à deux apparitions dans des spots de publicité pour un dentifrice et plus de quinze ans d'expérience sur le logiciel Paint.

"Trop de startups se concentrent sur leur technologie sans réfléchir ni aux soft skills de leurs fondateurs ni même à ce qu'ils peuvent apporter en matière de business à leur entreprise", s'étonne Jean-Patrick Dollz. Et c'est donc davantage l'expérience et la motivation de l'équipe-noyau que les investisseurs scrutent à la loupe. Bien que les trois fondateurs de LoseYourself soient passés respectivement par HEC, Polytechnique et Stanford, c'est le stage de troisième du CEO qui a intrigué l'équipe de partners de Failure Venture. "J'ai travaillé pendant une semaine à la Croix-Rouge, avoue modestement Edmond-Christian. J'étais à la cafétéria, au siège, c'est là-bas que j'ai appris à faire le café." Une preuve d'humilité qui a attendri Jean-Patrick Dollz et précipité la décision d'investir.

Avoir les idées claires

Mais un autre élément s'avère déterminant pour les investisseurs : l'ambition. Avec la difficulté pour les entrepreneurs de distinguer vision panoramique et ambition pharaonique. "Nous cherchons de futurs géants, des champions en devenir, rappelle Jean-Patrick Dollz. Mais tout est une question d'échelle : toutes les startups n'ont pas vocation à devenir des multinationales et une star locale vaut mieux qu'un loseur international."

Encore faut-il avoir les idées claires sur sa stratégie d'expansion. LoseYourself s'est ainsi résolue à abandonner son idée de déploiement aux États-Unis et au Canada pour se recentrer sur le Tadjikistan et le Botswana. "Qui aurait envie de se perdre à New York ou à Vancouver ?, raille l'investisseur. Les montagnes tadjikes et les plaines désertiques botswanaises sont d'une part plus faciles à cartographier mais présentent en outre beaucoup plus de débouchés pour un GPS de la perte." Sans compter que ces marchés sont loin d'être aussi bouchés que ceux d'Amérique du Nord...

Aujourd'hui, LoseYourself et Failure Venture planchent ensemble sur les prochains projets de la startup, sur lesquels ils souhaitent rester discrets par peur de dévoiler quelque recette secrète. "On parle beaucoup de la sélection que les fonds opèrent pour choisir les dossiers dans lesquels ils investissent, regrette Eudes-Marie. Mais on ne dit pas assez que les entrepreneurs ont intérêt à bien choisir ceux qui les accompagnent. Car plus qu'une opération financière, une levée est d'abord une affaire de personnes. Et s'entourer des meilleurs, c'est ça, le véritable ingrédient du succès."

Edit : LoseYourself a déposé le bilan trois jours après notre interview.

 

Pour ceux qui seraient arrivés au bout de cet article, merci, mais... vous n’y avez pas vraiment cru, quand même ? Bon 1er avril !