Outils et conseils par Clément Bernard, Sans Filtre
4 avril 2018
4 avril 2018
Temps de lecture : 8 minutes
8 min
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Comment nous avons lancé notre startup dans un secteur (déjà) bouché

Créer un média sportif alors que l'offre est déjà pléthorique et peine à concurrencer le mastodonte du secteur ? C'est le pari qu'ont relevé Clément Bernard et Clément Samson, cofondateurs de Sans Filtre.
Temps de lecture : 8 minutes
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Saviez-vous que Boris Diaw est un photographe accompli ? Que le joueur de Manchester United Juan Mata reversait une partie de son salaire à des œuvres caritatives ? Que de nombreux sportifs professionnels sombrent dans la dépression et l’alcoolisme ? Non.

Par contre, vous êtes incollable sur le montant du transfert de Neymar au PSG, sur les frasques intimes de Tiger Woods ou sur le dernier buzz à la mode. En tant que fan et consommateur compulsif de contenus estampillés "sport", j’ai rapidement dû me rendre à l’évidence qu’il était compliqué de trouver son bonheur sur le web en dehors des sacro-saints résultats, des résumés de matchs ou des interviews souvent superficielles, trop mécaniques et trop convenues des joueurs. Pourtant, même si un acteur cannibalise une grande partie de ce marché, le sport sur Internet pèse plus de 120 millions de visites chaque mois.

Répondre aux attentes du public-cible

Or, dans les pays anglo-saxons, la réalité est bien différente : le sport n'est pas uniquement traité sous un aspect négatif ou comptable (résultats) et les articles ont beaucoup plus de fond. Les sportifs y apparaissent plus profonds et plus authentiques. Alors, avec un ami, nous nous sommes dit : pourquoi ne pas créer ce média dont nous rêvons ? Cet ami, Clément Samson, est devenu mon associé et c’est comme cela que nous avons créé Sans Filtre l’année dernière.

Il a donc fallu créer le média qui nous correspondait mais qui allait surtout répondre aux attentes des fans de sport. Avant de nous lancer, nous avons fait un état des lieux qui nous a permis de déceler objectivement les défauts du marché des médias sport sur le web : l’énorme barrière journalistique entre les sportifs et les lecteurs ; l’écrasante majorité de contenus type news ou reprises de résultats ; l’image négative des sportifs qui sont vus sous le prisme de l’argent ou des mauvais comportements dans les médias ; l’absence d’espace d’expression crédible pour les sportifs qui souhaiteraient se raconter en profondeur, ce que n’offrent pas actuellement les réseaux sociaux leaders comme Facebook, Twitter, Instagram ou Snapchat.

Nous devions briser cette barrière journalistique avec un nouveau média où les journalistes s’effaceraient au profit de la parole des athlètes. Nous voulions proposer une plateforme avec des récits de sportifs à la première personne. En mars 2017, Sans Filtre était né dans nos têtes et bientôt sur écran.

Calibrer un nouveau produit médiatique

C'est tout un modèle médiatique que nous devions imaginer. Benchmark de la concurrence, audition de nos amis et nos relations professionnelles, étude de marché, questionnaire consommateurs… nous avons sorti les grands moyens avec toujours en tête nos cibles préférentielles de lecteurs : hommes et femmes de 25 à 39 ans, urbains, pratiquants ou fan de sport, CSP+ et au-delà.

La composition de la ligne éditoriale était très simple : apprenez à (mieux) connaître vos sportifs préférés grâce à des contenus exclusifs pensés et créés par eux. Nous souhaitions servir d’intermédiaires effacés pour créer ce lien. Pour cela, nous devions nous mettre à la place du fan de sport. Il fallait donc clairement aller chercher ce supplément d’âme derrière le performeur sportif et se focaliser sur l’humain.

Nous avons donc rapidement pensé aux histoires de vie extraordinaires, aux parcours semés d’embûches, aux engagements associatifs et humanitaires, aux passions des sportifs en-dehors du sport, etc. Mais, s’il fallait se différencier, nous ne devions pas oublier l’essence même du sport : le terrain et la performance. C'est pourquoi nous avons décidé de créer une rubrique où les sportifs partagent avec le lecteur ce qu’ils ressentent au moment d’une compétition. Tous ces contenus devaient répondre à une trinité : authenticité, proximité et partage.

L’un des autres aspects qui nous a beaucoup marqué lors de nos benchmarks est la place trop importante que prennent certains sports (football, rugby pour les citer) par rapport aux autres. C’est donc un autre des combats que nous avons voulu engager : faire parler les sportifs de toutes les disciplines, dans les sports féminins, masculins ou handisport.

Bien évidemment, sans business model digne de ce nom, point de salut. Le financement initial du projet Sans Filtre allait se faire sur les moyens personnels des associés, mais il fallait anticiper de quelle manière nous allions obtenir du chiffre d’affaires pour soutenir notre croissance et nos charges incompressibles. À l’image des autres médias web, la publicité sur le site (en privilégiant des formats comme le native advertising ou le content marketing) devrait être notre source principale de revenus. Nous avons également envisagé d’autres sources de revenus, comme la monétisation de nos réseaux sociaux ou la mise en place de partenariats avec des institutions sportives ou des sponsors. Une levée de fond sera prévue dans quelques mois et nous participons actuellement à des concours spécifiques pour soutenir certains de nos projets dès cette année.

Créer techniquement la plateforme

Est venu le moment de se confronter à la réalité. Pour créer un média, il faut bien évidemment avoir une ou plusieurs plateformes. Le choix du web était une évidence depuis le début, nos connaissances en développement beaucoup moins. Nous avons découvert les joies de WordPress, formidable outil qui combine faible coût et adaptabilité. Il s’agit d’une solution temporaire et il nous faudra nous doter dans un futur proche d’une version 2.0 du site réalisé par un profil ô combien plus technique que le nôtre.

Au vu de l’utilisation compulsive des social media par les sportifs, notre présence sur Facebook, Twitter, Instagram et Linkedin apparaissait aussi comme évidente. Cependant, nous avons tout de suite essayé d’imaginer des façons différentes de communiquer selon le réseau social avec des contenus dédiés pour chaque plateforme.

Des premières difficultés...

Finalement, notre plus grande difficulté a été de convaincre des sportifs de renom de se confier autant à un jeune média sans audience et sans crédibilité. De plus, de nombreux sportifs ont pris en grippe le monde médiatique. Eux aussi lisent ces contenus parfois médisants à leur égard et ils ont donc accueilli positivement notre démarche qui vise en quelque sorte à remettre leur vérité au centre du jeu médiatique.

Ce fut assez compliqué au début et nous avons dû repousser de quelques semaines l’été dernier la sortie des premiers articles, faute de contacts concluants. Finalement, c’est davantage l’ADN de Sans Filtre, que notre réseau, qui nous a permis d’obtenir sur notre plateforme plus de 80 sportifs de niveau mondial dans 25 disciplines. Ensuite c’est l’effet boule de neige, les sportifs fonctionnant beaucoup à l’affect et au réseau, ils sont bien évidemment plus accessibles et enclins à travailler avec nous lorsqu’ils voient les histoires d’athlètes de renom ou de leurs coéquipiers sur notre site.

Il est toutefois encore compliqué de toucher des sportifs mondialement connus, car leur communication est aujourd’hui verrouillée entre leurs agents, leurs clubs ou leurs sponsors. Ce n’est qu’une question de temps, mais il est vrai que c’est un peu frustrant de ne même pas pouvoir présenter notre projet à certains athlètes.

Une relation de confiance s’est nouée avec les sportifs. Cependant, il subsiste une difficulté : nous sommes un média, mais nous ne sommes pas des journalistes. Créer des récits à la première personne sur des thématiques originales (suivre un athlète au cœur d’un événement, prise de position sociétale, explication technique...) donne très souvent lieu à des contenus longs qui nécessitent un investissement important du sportif. Avec leurs emplois du temps chargés et cette façon de fonctionner qu’ils ne connaissent pas, nous mettons souvent un temps important entre la prise de contact et la sortie de l’article (environ 1 mois). Leur implication est ainsi maximale : les discussions sont nombreuses pour leur faire comprendre le concept de Sans Filtre, déterminer le sujet, réaliser le récit, corriger ou améliorer le contenu ou encore leur faire porter leurs messages sur leurs propres plateformes sociales.

... aux premières réussites ?

Les prochaines étapes sont assez claires pour nous. Il convient dans un premier temps d’augmenter le nombre de lecteurs réguliers de Sans Filtre (20 000 par mois actuellement) ainsi que celui de notre communauté sur les réseaux sociaux (7 000 fans et followers aujourd’hui). Il nous faut également crédibiliser davantage Sans Filtre au sein du monde médiatique afin de ne plus se heurter à certaines barrières et pouvoir toucher davantage de sportifs, y compris ceux qui semblent aujourd’hui inaccessibles.

Pour atteindre ces objectifs, nous allons très prochainement commencer à créer des contenus vidéos avec les sportifs, notamment destinés à être diffusés sur nos réseaux sociaux. Côté support, avoir un site et des réseaux sociaux est très bien mais nous devrions dès l’année prochaine créer également notre application mobile.

Nous n’avons pas vocation à détruire le modèle ancien. Les sportifs auront toujours besoin des journalistes et les lecteurs seront toujours avides d’interviews ou de comptes-rendus de résultats. Mais Sans Filtre veut être le complément indispensable à cette offre. Les sportifs auront ainsi deux canaux différents pour s’exprimer et les fans deux sources d’information. Tout le monde sera gagnant.