Citius, altius, fortius. “Plus vite, plus haut, plus fort” impose la devise des Jeux Olympiques, que des milliers d’athlètes s’efforcent de suivre à la lettre à chaque nouvelle grand-messe mondiale. Cet appel à la performance n’est pourtant plus l’apanage des sportifs. Au quotidien, nous sommes mis en demeure d’être productifs, efficaces, multitâches. Au travail, d’abord. Les indépendants sont assignés à performance, sans quoi ils ne peuvent tirer de leur activité un revenu suffisant pour vivre ; les salariés, eux, sont régulièrement soumis à évaluation pour espérer “progresser”, si ce n’est à titre personnel, au moins au sein de l’entreprise. Même la paie des fonctionnaires est désormais indexée sur le mérite. Scrutée, calculée, mesurée, la performance s’est imposée comme un référentiel à atteindre coûte que coûte, au prix parfois de certaines sorties de route, comme en témoigne, dès les années 1960, l’émergence du phénomène d’épuisement professionnel, mieux connu sous le terme de burnout.

Ce culte de la performance comporte ainsi sa part de perversité. La robotisation crée des angoisses : et si les robots, réputés infaillibles contrairement à l’humain, nous remplaçaient purement et simplement ? L’idée d’une intelligence auto-apprenante qui dépasserait un jour celle de l’humain paniquait déjà les foules en 1968, année de sortie de 2001, l’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick. Aujourd’hui, alors que des voitures autonomes circulent déjà, de manière restreinte, et que le seul terme d’intelligence artificielle parvient à arracher des millions de dollars aux investisseurs, c’est l’idée d’une performance désincarnée, déshumanisée qui pose question. Peut-on et doit-on, au nom de son ultra-performance, faire confiance à un outil que nous ne serons peut-être plus en mesure de contrôler après l’avoir mis en service ?

La tyrannie du cool

Même dans nos vies personnelles, nous nous devons d’être performants, c’est-à-dire nous conformer à ce que la société a établi comme les standards de performance personnelle : avoir une famille (épanouie) et un travail (enrichissant), faire du sport, manger équilibré… Des diktats en matière de mode, de beauté ou même de sexualité largement relayés par les médias et la publicité et qui visent aujourd’hui aussi bien les femmes que les hommes.

Paradoxalement, la performance se double désormais d’une injonction au bien-être, au bonheur, à la plénitude. Ce qui n’a rien d’incompatible. D’une part, se sentir performant peut constituer une satisfaction en soi. Mais le bonheur peut, à lui seul, devenir une performance. A l’ère des réseaux sociaux comme vitrine de soi-même, les aficionados cherchent les likes et les followers comme assentiment de leur réussite personnelle. A contrario, qui n’a jamais été vexé parce que sa boutade postée sur Facebook n’a pas récolté le nombre de pouces bleus espéré ? Cette tyrannie du cool fait des victimes bien réelles : les cliniques visant à soigner le stress se multiplient pour “répondre à la pression et aux exigences de la société qui peuvent entraîner diverses réactions comme le burn-out, l’angoisse, les troubles du sommeil ou encore la dépression”, indique ainsi le site de la Clinique Genevoise du stress.

Une quête de sens

Certains ont décidé, pourtant, que la performance ne devait pas être le seul étalon de la réussite. Assignés à des “bullshit jobs”, certains “premiers de la classe” - comme les a surnommés Jean-Laurent Cassely, auteur en mai 2017 de La Révolte des premiers de la classe - font de la résistance. “Certaines entreprises ne cherchent plus à exceller dans un métier mais uniquement à produire de la valeur à court terme pour leur actionnaire”, regrette pour sa part Olivier, ancien cadre de l’industrie agroalimentaire, dans les colonnes du Figaro. Quelle valeur provoque la performance quand elle n’est pas couplée à une idée de progrès ?

La quête de sens semble devoir remplacer la performance à tout prix. C’est dans l’ordre des choses : si les fondateurs des Jeux Olympiques antiques avaient érigé la performance en étendard, c’est bien la devise de Pierre de Coubertin, qui a remis les Jeux au goût du jour à la fin du 19ème siècle, qui marque encore aujourd’hui les mémoires : “L’important, c’est de participer”.