La question centrale est : l’innovation lab est-il équivalent à du bullshit ? Qui dit bullshit dit absurde, irrationnel, extravagant, irréfléchi et autres adjectifs qui relèvent du champ lexical de l’insensé. Un innovation lab n’est pourtant pas une excentricité, c’est un dispositif d’accompagnement de l’innovation qui se construit autour d’une vision stratégique, d’objectifs et d’utilisateurs cibles. Sa raison d’être, sa proposition de valeur et son usage doivent pouvoir être expliqués et compris par tout le monde. Si un innovation lab est perçu comme bullshit ou juste fun, il faut le faire évoluer pour qu’il retrouve sa pertinence.

Qu’est-ce un innovation lab ?

Innovation lab, fab lab, hackerspace, techshop, open innovation, living lab, media lab, makerspace... C’est vrai qu’il y a de quoi se perdre. Autant de mots qui désignent des lieux d’innovation dans lesquels les ressources – internes et souvent externes à une entreprise – collaborent en vue d’inventer, d’expérimenter et de produire de l’innovation rapidement et de manière plus efficace. L’innovation peut être incrémentale ou disruptive, cela dépend de la stratégie du lab. Mais plutôt que de regrouper les innovation labs par type d’innovations délivrées, on préférera les classer en grandes familles :

  • Les labs de corpoworking qui cherchent à décloisonner l’entreprise en faisant l’expérience d’un travail en équipe pluridisciplinaire,
  • Les labs d’acculturation très axés sur la formation des collaboratrices et collaborateurs afin de les sensibiliser aux nouvelles méthodes de travail (plus agiles),
  • Les labs de prototypages qui se focalisent sur la réalisation de POC (Proof of Concept) ou MVP (Minimum Viable Product) avec une grande importance donnée aux maquettes physiques,
  • Les labs d’intrapreneurs qui visent à accélérer des projets internes (de l’idéation à l’exécution en général),
  • les labs d’open innovation qui cherchent à créer des liens voire des partenariats entre l’écosystème interne et externe de l’entreprise (startups, étudiantes et étudiants, etc.),
  • les labs prospectifs afin de se focaliser sur des tendances de marché de long terme, pouvant servir d’outil de veille à l’ensemble de l’entreprise...

Si tant est qu’on puisse les catégoriser. En effet, dans la réalité, chaque innovation lab est souvent un mélange entre ces différents dispositifs.

La seule chose qui importe, c’est que cela soit en phase avec la stratégie de l’entreprise. Si, par exemple, votre entreprise est relativement agile et arrive encore à innover de manière incrémentale en interne, mais que la problématique est plutôt la peur de se faire uberiser  par un nouveau venu sur le moyen terme, alors pensez à un lab axé sur les innovations disruptives. Celui-ci doit être un peu plus autonome qu’un lab qui est focalisé sur des nouveaux produits/offres à mettre sur le marché en quelques mois et avoir des objectifs business-led avec une rentabilité sur le long terme.

Mais si c’est si simple, pourquoi tant d’entreprises ratent leur innovation lab ?

Le risque, c’est qu’il devienne un gadget, soit moqué par le reste de l’organisation pour ses aménagements caricaturaux des univers startup et progressivement transformé en salle de réunion, vide la plupart du temps.

Voici quelques retours d’expérience qui pourront vous éviter de perdre du temps :

  • Arrêtez de penser uniquement à un lieu esthétique qui ressemble à une startup californienne avec baby-foot, panier de basket et table de ping-pong. L’espace doit être avant tout centré sur les personnes et leurs besoins. Il doit être modulable, chaleureux, on doit se sentir le droit de déplacer les mobiliers, de s’approprier l’espace.
  • Penser dès le départ à l’animation du lieu. Quels vont être les programmes qui vont le faire vivre et pousser les collaboratrices et collaborateurs (et les externes) à venir et revenir ? L’espace ne fera pas tout, ce n’est pas de la magie. Il faut l’animer, créer une communauté d’utilisatrices et utilisateurs engagés et leur apprendre à travailler ensemble pour innover.
  • Ne vous coupez pas de l’entreprise en vous disant que vous serez tranquilles et pourrez avancer plus rapidement. L’objectif est d’essayer d’inclure les différentes entités du groupe dans cette aventure, et ce dès la création du lab dans une logique de co-construction.
  • Évitez de choisir une ou un responsable de lab qui n’a aucun réseau dans l’organisation et qui n’a jamais été opérationnel. Cette personne risque de manquer de légitimité auprès des collaboratrices et collaborateurs. C’est un job difficile, qui demande beaucoup d’entregent et de sens politique afin de faire bouger des organisations qui ressemblent souvent plus à des paquebots qu’à des jet-skis. Il va falloir naviguer entre les vagues, convaincre les managers de dégager du temps à leurs équipes, faire sortir des produits et offres dans des temps records pour des organisations qui sont souvent sur du temps long... Et montrer que tout cela n’est pas du bullshit,  justement. Alors, donnez à votre lab toutes ses chances et évitez de prendre quelqu’un qui vient d’arriver.

Comment fait-on alors ?

La clé d’un lab performant réside dans la recherche d’équilibre entre plusieurs dimensions. Et celui-ci dépend de vos objectifs. Les dimensions qui nous semblent structurantes sont les suivantes :  

  • Disrupter l’entreprise avec des idées très prospectives sans oublier de faire de l’innovation incrémentale qui aura un impact business dès demain, et donc permettra de montrer que " oui, le lab sert à quelque chose ".
  •  Être tourné vers l’action (do-tank) et avoir le sens de l’urgence du changement (comme une startup qui n’a pas un budget illimité et qui est donc obligée d’innover) tout en sachant prendre du recul, s’inspirer, se former pour être capable d’anticiper le futur sur le long terme (think tank).
  • Créer une cellule relativement autonome (avec des process spécifiques et plus légers que ceux du reste du groupe) pour ne pas souffrir des lourdeurs de l’organisation. Il faut qu’elle soit assez intégrée dans l’entreprise pour que les produits/offres développés puissent rentrer dans le business global et que tous les employés se sentent légitimes de devenir des intrapreneurs en participant à la vie du lab. L’objectif est que l’impact de ces nouvelles manières de travailler (test & learn, méthode agile, multidisciplinarité, mode projets, etc.) se diffusent dans toute l’organisation sur la durée.
  • Créer un espace plus coloré, plus fun, légèrement décalé par rapport au reste des bureaux, car il faut qu’on perçoive que les règles du jeu sont un peu différentes dans ce lieu, que c’est donc plus libre, plus ouvert à la prise de risques. Mais cela ne doit pas être une caricature d’un espace startup (surtout si l’entreprise dans son ensemble n’est pas dans ce style). En effet, cela va plutôt prêter à la critique voire à la jalousie.
  • Ne pas oublier de créer un lieu confortable, dans lequel les collaboratrices et collaborateurs auront envie de rester le plus longtemps possible, un lieu ouvert sur l’extérieur avec des contraintes de sécurité ne pesant pas trop sur l’espace. Et enfin, un lieu qui montre les innovations développées sur le marché au fur et à mesure afin de célébrer les succès, les faire connaître, pousser à faire et motiver les troupes.

Finalement, ce que les grands groupes recherchent en créant un lab d’innovation, c’est d’avoir le beurre et l’argent du beurre : à savoir l’agilité d’une startup avec le pouvoir de commercialisation et l’accès au marché du grand groupe. C’est possible, mais c’est un challenge. Ce n’est donc pas à prendre à la légère ! Good luck!

Audrey Gentilucci, de Label Experience,  a organisé avec Schoolab une conférence sur " Les ratés du lab d’innovation " et qui mettait en avant les détractrices et détracteurs de ces labs.