Les initiatives se multiplient aujourd’hui pour résoudre les différents handicaps et maladies qui affectent l’être humain : médicaments intelligents capables de cibler seulement les bactéries néfastes à éliminer, membres bioniques dotés d’un sens du toucher, stimulateurs cérébraux dédiés aux soins des troubles obsessionnels compulsifs (TOC) et des dépressions graves, os reconstruits grâce à l’arénicole, un ver marin, ou encore spermatozoïdes artificiels. Parmi ces innovations : la médecine régénératrice, qui permet de reproduire et remplacer tissus et organes abîmés, mais également les implants, qui dans tous les domaines ne cessent de faire leurs preuves. Alors que les implants rétiniens permettant aux personnes non voyantes de recouvrer partiellement la vue se développent, deux chercheurs, Filippo Grassia et Takashi Kohno, ont récemment été récompensés pour leur puce électronique capable de corriger les dégénérescences du cerveau humain, à l’origine notamment des maladies d’Alzheimer ou de Parkinson.

Dans la même veine, la startup CorWave développe des dispositifs d’assistance cardiaque implantables nouvelle génération. Ceux-ci, capables de reproduire un pouls et des vitesses d’écoulement du sang similaires à ceux d’un cœur sain, permettent de prolonger de plusieurs années la vie des patientes et patients en insuffisance cardiaque, en supprimant notamment les principaux symptômes de la maladie, mais également en réduisant le coût du traitement.

D’autres acteurs s’emploient également à soigner cet organe aussi délicat et vital qu’est le cœur. Parmi eux, Carmat, à l’origine d’un cœur artificiel et dont les ultimes essais cliniques ont débuté en novembre par l’implantation sur un premier patient. À la clé : l’autorisation de commercialiser sa prothèse et un grand pas en avant pour ce qui est encore considéré comme un rêve scientifique. De leur côté, des chercheurs de l’université de Harvard ont annoncé en novembre 2016 avoir créé le premier tissu cardiaque humain imprimé en 3D.

Outre le cœur, la reproduction d’autres organes comme les poumons, la langue et l’intestin sont à l’étude depuis quelques années, afin de répondre notamment à la pénurie de donneuses et de donneurs. L’impression 3D de tissus humains permettrait ainsi de greffer des organes en bon état de marche aux malades, dont le fonctionnement serait reproduit à l’identique des organes humains.

Du curatif au prédictif…

Pourtant, la médecine est depuis toujours amenée à évoluer. Alors que les différents traitements sur le marché ont fait un bond en avant ces dix dernières années, pourquoi ne pas prendre le problème en amont en déterminant les facteurs de risque d’apparition de certaines maladies ou pathologies, avant même que celles-ci ne se déclarent ? C’est ce que proposent les médecines préventives et prédictives, remettant l’adage " mieux vaut prévenir que guérir " au cœur de notre actualité.

Et si 79 % des Françaises et des Français semblent aujourd’hui favorables à la médecine prédictive (Les Français et la santé, baromètre Deloitte de 2016), c’est surtout parce que celle-ci ouvre de nombreuses perspectives tant dans la compréhension des maladies que dans leur traitement. L’idée : prédire des pathologies et comprendre des comportements afin d’y apporter des solutions et des traitements les plus ciblés possible. " Le traitement assurera une guérison avant même que le sujet n’ait conscience de sa tumeur. Les maladies chroniques qui, au XXe siècle, avaient supplanté des maladies mortelles laisseront la place à des maladies totalement guéries, pratiquement sans séquelles ", explique Jean-Louis Touraine, professeur de médecine et ancien président du Haut comité médical de la Sécurité sociale de 1992 à 1996.

Plusieurs entités travaillent ainsi à détecter les maladies avant l’apparition des premiers symptômes chez l’humain, à l’instar de Google, qui développe une micropilule à ingérer et dont la présence dans le corps humain permettra de dépister les molécules biomarquées, prévenant elles-mêmes la présence d’une pathologie. Mais c’est surtout les avancées dans la génomique pour détecter en amont des cancers fréquents et des maladies génétiques qui ont permises à la médecine prédictive de prendre le pas sur la médecine thérapeutique. Sophia Genetics, créé par Jurgi Camblong, développe ainsi une intelligence artificielle (IA) qui permet d’analyser la constitution génétique de milliers de patientes et patients à travers le monde grâce à son intelligence artificielle. Son ambition : permettre, d’ici une dizaine d’années, de détecter de manière très fiable un cancer en stade précoce par une simple prise de sang, grâce au séquençage d’ADN et à de l’analytique performante.

Ces avancées pourraient-elles un jour nous empêcher de tomber malades ? " Si l’on repense au fonctionnement de notre système immunitaire, tomber malade est une étape nécessaire afin de lui permettre de trouver les solutions pour combattre les maladies infectieuses ", explique Jurgi Camblong.

Pour Jean-Louis Touraine, la prévention et le dépistage sur lesquels les acteurs de la santé travaillent aujourd’hui, et ce à un stade extrêmement précoce, au niveau cellulaire, avant même l’apparition de symptômes quelconques, devrait rendre possible la disparition de 95 % des cancers existants. Mieux encore, le professeur de médecine estime que la longévité humaine devrait doubler dans un futur pas si éloigné : " Surtout, ce temps supplémentaire sera un temps de vie en bonne santé, sans handicap ni dépendance ".

Un avis que ne partagent pas Xiao Dong, Brandon Milholland et Jan Vijg, trois chercheurs du Albert Einstein College of Medicine de New York, qui après analyse de données démographiques chiffrent la limite de durée de vie humaine à 115 ans en moyenne.

… et du prédictif au transhumanisme

Et si l’on pouvait se jouer de cette limite, en retardant les effets du temps sur le corps humain, ou même en évitant la mort grâce à de nouvelles techniques scientifiques ? Galvanisés par les opportunités que peuvent offrir les avancées technologiques, certains entrepreneurs en sont aujourd’hui persuadés. C’est le cas du milliardaire Peter Thiel, cofondateur, entre autres, de PayPal, qui pense que des injections de sang prélevé sur des individus jeunes pourraient lui permettre de rajeunir.

L’entrepreneur, qui s’intéresse aux recherches menées par l’entreprise Ambrosia, pourrait-il ne pas avoir tort ? Si les bienfaits de la transfusion de sang " frais " entre êtres humains n’ont pas été prouvés, plusieurs études sur le rajeunissement par le plasma ont déjà été menées sur des souris, témoignant à plusieurs reprises des effets bénéfiques du sang jeune sur les cellules souches du cerveau des plus âgées.

Une autre personnalité a beaucoup fait parler d’elle en 2016 : Elizabeth Parrish, patiente 0 de sa propre startup, BioViva. Elle a ainsi annoncé en début d’année avoir rajeuni de 20 ans grâce à " une thérapie génique ", une expérimentation qui vise à augmenter la taille des télomères, des régions d’ADN aux extrémités des chromosomes qui perdent en taille avec le temps, entraînant le vieillissement du corps. Si la nouvelle a mal été accueillie par la communauté scientifique, celle-ci pointant du doigt le lien inexistant (ou encore non prouvé) entre le rallongement des télomères et le rajeunissement, l’Américaine ambitionne de permettre à toute personne de gagner quelques années supplémentaires, pour un prix des plus abordables.

Pour Vera Gorbunova, chercheuse en biologie, l’inversion du vieillissement n’est pas impossible, en théorie, mais nécessite plus de recherches sur le phénomène. Et cela passera, selon elle, par le développement du génie génétique, mais également par la conception de médicaments qui pourraient manipuler les processus du vieillissement : " Une personne n’aurait qu’à prendre des pilules et en cas d’effets secondaires, il suffirait d’arrêter de les prendre " (TEDx Cannes 2015). Certains médicaments, comme la rapamycine, sont en effet déjà connu pour modifier les processus biochimiques et ralentir certains processus de la cellule. Ce dernier, classé parmi les immunosuppresseurs, aurait ainsi permis à des souris de gagner 15 % d’espérance de vie lors de tests scientifiques.

Si Google, via sa société de biotechnologies Calico, a lui aussi fermement prouvé son intention de lutter contre le vieillissement et les maladies qui y sont associés en détruisant les cellules sénescentes du corps humain, des cellules âgées qui entraînent, entre autres, l’inflammation des tissus humains, le groupe s’impose de plus en plus dans le mouvement transhumaniste. Son projet ? Tout simplement " tuer la mort ", grâce à son entité secrète Google X Lab, entièrement dédiée au sujet : " Nous essayons de conjurer la mort par la prévention des maladies. Notre ennemi est la mort inutile ", se félicite ainsi Andrew Conrad, responsable de la division des sciences de la vie au sein de Google X Lab.

Mais alors, peut-on véritablement imaginer un futur dans lequel la jeunesse et la bonne santé seraient des éléments incontournables de notre vie ? Pas vraiment, selon Jurgi Camblong : " Si la science progresse effectivement à une vitesse incroyable, il faut remettre en perspective ces avancées dans un contexte chronologique pertinent. Mais on peut d’ores et déjà dire que certaines maladies comme le cancer seront des maladies chroniques dans cinq à dix ans. Entre la possibilité qui nous est offerte par une technologie et sa mise en œuvre factuelle, il faut composer avec de nombreux facteurs qui nous incitent à la prudence quant à tout effet d’annonce ".

Plusieurs questions éthiques, sociales et économiques devraient ainsi accompagner ces évolutions technologiques. Comment revoir l’aménagement des temps de vie pour des bicentenaires ? Comment gérer l’annonce des prédictions de maladies diverses et l’organisation des traitements en anticipation ? Jusqu’où peut-on aller dans la modification du génome ? N’aurons-nous donc un jour plus besoin des autres ? Un débat sain pour Jurgi Camblong, " car la société doit pouvoir dire jusqu’à quel point elle accepte les conséquences de telle ou telle avancée scientifique et technologique. Si beaucoup de choses sont possibles, la société seule pourra décider ce qu’elle souhaite éthiquement mettre en œuvre ou non ".

Article initialement publié le 25 janvier 2017.