Tribunes par Bruno Arabian
25 septembre 2019
25 septembre 2019
Temps de lecture : 7 minutes
7 min
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Biotech vs FrenchTech : qu'est-ce qui cloche ?

La présence d'une seule Biotech dans le Next40 pousse Bruno Arabian à s'interroger. Pourquoi les pépites de ce secteur sont-elles si souvent laissées de côté ?
Temps de lecture : 7 minutes
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Mercredi 18 septembre 2019, à Paris, dès le milieu de journée. Sur le perron puis dans les salons de l’Elysée. Et enfin le buzz sur les réseaux sociaux. Les " congrats " et les émojis pullulent de la part de journalistes, de communicants, de consultants, de banquiers, et bien entendu de dirigeants : des pouces levés, des clappements de mains, des likes à profusion. La sélection NEXT40 est sortie et notre Président met en scène sa Startup Nation. Tout le monde est heureux. Si les modalités sont encore floues, seule certitude, Bpifrance jouera encore un rôle central dans la distribution des moyens. La France va mobiliser une somme rondelette - 5 milliard d’euros !- pour l’innovation et faire partager au grand public le goût du risque.

La biotech brille par son absence

Bien entendu, comme pour tout classement, certains s’émeuvent de l’absence de telle ou telle société. D’autres s’étonnent d’y voir par exemple une plateforme de streaming musical portée à bout de bras par ses multiples actionnaires successifs, une place de marché de mode parmi tant d’autres ou encore une plateforme de photographie. D’autres encore moins nombreux s’alarment de l’absence de sociétés du HealthTech, à l’exception de Bioserenity, jeune pousse de solutions médicales connectées de l’ICM comme il en existe plusieurs dizaines dans l’Hexagone.

Mais où sont les dignes représentants de l’écosysteme HealthTech ? Où sont passés Innate, Genfit, Cellectis, DBV, Poxel, Pharnext, Carmat, Nanobiotix, Diabeloop, Medday, Inotrem, Enyo et bien d’autres ? Parmi la vingtaine de fonds d’investissements invités, où sont les représentants des grands fonds santé comme Sofinnova, Andera, Truffle, Arbevel ou Kurma ? Ne cherchez pas, ils sont ailleurs. Pire, ils ont souvent appris l’existence de cette manifestation en lisant la presse le jour même. Une fois de plus, l’innovation en France se limite au digital, au numérique, au 3.0 ou 4.0. Point barre.

Comment interpréter cette absence et ce manque de reconnaissance des plus hautes instances de l’État ? Comment se féliciter que des entreprises prônant l'auto-entrepreneuriat pour tous, soient ainsi présentées en exemple de réussite à suivre pour tout un pays ? Comment accepter l’idée qu’aucune des sociétés pré-citées -disposant chacune de plus de brevets que les 40 autres du NEXT40 – ne soit de la fête et ne dispose du tampon " future licorne " ? C’est d’autant plus frustrant que Bpifrance dispose de nombreuses études bien documentées à ce sujet.

" Le secteur biotech et ses ramifications est encore jeune en France. Il faut lui laisser du temps ! ". Cet argument, maintes fois entendu, reste historiquement faux. Ce secteur est né en 1977 à Toulouse, avec Cayla, ou avec Transgene, à Strasbourg en 1979… juste avant Amgen, juste avant Genzyme ou encore 8 ans avant Gilead. C’était au siècle dernier, bien avant la vague lancée par internet et les NTIC.

Les raisons de l'absence

Les raisons de ce désamour sont en fait multiples. Et malheureusement pas vraiment nouvelles.

> L’absence d’un Xavier Niel ou d’un Marc Simoncini de la santé. Personne n’endosse ce rôle au sein de notre communauté. Mais soyons clair, personne n’en a pour le moment la légitimité, ni le parcours.

> Le désintérêt du grand public pour l’innovation santé. Un plateau repas vegan, une enceinte au son démentiel, ça se goûte, ça s’entend. Et à moins d’être enrôlé dans un essai clinique, une nouvelle immunothérapie, ça ne parle à personne.

> Les sociétés HealthTech ne sont pas spectaculaires en termes d’emplois. Aucune ne peut afficher un plan d’embauches de plusieurs centaines de personnes d’une année sur l’autre. Les ressources sont rares, les bons profils aussi. La croissance, la création de valeur se fait en sous-terrain de manière incrémentale et lente.

> Le cloisonnement entre la médecine et l’industrie. La France dispose du meilleur système de santé au monde, elle brille par ses médecins et ses chercheurs. Mais ces derniers considèrent au mieux les bio-entrepreneurs comme un univers à part, au pire comme des vendus à l’industrie pharmaceutique. Et les grands médias généralistes suivent, en préférant nettement mettre en avant les découvertes académiques de telle ou telle équipe universitaire, évoquant " une nouvelle piste révolutionnaire ", plutôt que de faire la " promotion " d’un laboratoire privé. L’industrie des big pharma a mauvaise presse et par contagion, nos start-up en pâtissent.

> L’absence d’une réelle success story. Cette arlésienne est certes vraie mais cette impatience s’avère décuplée par l’univers de l’actionnariat individuel. Ce dernier ne comprenant pas pourquoi les sociétés du secteur santé, cotées sur Euronext, ne font pas de chiffres d’affaires et ne sont pas encore rentables. Pensent-ils réellement que les start-up du NEXT40 sont bénéficiaires ? La sur-représentation du HealthTech sur Euronext - deuxième marché mondial derrière le Nasdaq - met en exergue cet effet pervers : l’impatience. Il révèle le temps long des développements en santé, et le risque inhérent à ce type d’investissements.

> Un discours de France Biotech inaudible. Ses représentants s’exténuant depuis près de 20 ans à courir après les mêmes lièvres à savoir " la " big pharma française et ses deux sœurs mid-sized pour les convaincre de nouer des partenariats ou garantir quelques subsides. En vain, ces acteurs demeurent trop peu sensibles à l’innovation. Et même si aucun de ses représentants n’est visible dans le plan Macron, France Biotech tient à féliciter " l’engagement du Président de la République et de son plan en faveur des start-up et ETI innovantes ". Pour France Biotech, il y a toujours de l’espoir. 

> Des CEO peu attirés par la chose politique. Ils n’ont pas le temps. Oui développer de l’innovation en santé, qu’il s’agisse de solutions thérapeutiques ou de dispositifs médicaux, c’est long, c’est coûteux. Mais c’est surtout chronophage ! Visant des marchés mondiaux par nature, ces sociétés sont intellectuellement, culturellement, globalisées et les CEO passent le plus clair de leurs temps en avion à sillonner l’Europe et les Etats-Unis et de plus en plus la Chine. Cet agenda de fou arrive très tôt dans leur parcours quant pour la tech, cela peut bien attendre le tour de Serie C.

> Et puis, il y a plus grave encore. Combien de temps encore accepterons-nous que les résultats de la recherche académique française (CNRS, Inserm…) et ses multiples structures de valorisation, financée par nos impôts, servent d’abord à enrichir les pipeline (portefeuille de produits) de sociétés américaines qui, elles, ont les moyens de les acquérir et d’attirer nos meilleurs talents… pour au final nous revendre leurs innovations thérapeutiques à prix d’or. Finalement, nous subventionnons la recherche US. C’est tellement inédit que cela mériterait bien un peu de considération de la part de ceux qui nous gouvernent !

Pour plus de collaboration

Et pourtant, dans cet environnement, politiquement adverse, financièrement difficile, des raisons d’y croire subsistent. Du côté financier, les fonds d’investissements santé se professionnalisent et disposent de moyens de plus en plus conséquents. De taille réellement européenne, ils collaborent de plus en plus en amont avec des fonds américains (la fameuse profondeur de marché US) et se révèlent capable d’accompagner sur le long terme des startups de la santé à travers les fonds " crossover ".

Quant aux startups des secteurs biotech et medtech et leurs dirigeants et dirigeantes, ils font preuve depuis des années d’une résilience qui force l’admiration. Ils sont toujours là, malgré les vents contraires. En dépit de la disparition progressive des capacités de production pharmaceutique de l’Hexagone, ces CEO continuent d’innover, d’embaucher des équipes qualifiées alors que l’herbe semble si verte ailleurs.

Ce Next40, cette Startup Nation excluant le HealthTech est une claque. Elle doit encourager l’ensemble de cet écosystème bien particulier à se repenser, à se doter de nouveaux relais. Avec humilité, passion et réalisme.  L’an prochain, plusieurs de ces start-up emblématiques devront passer des étapes décisives de leur histoire. Que toute cette communauté HealthTech la joue pour une fois collectif et souhaitons-lui le meilleur. La réussite individuelle de certaines de ces sociétés ne peut que profiter à l’ensemble de la communauté.

Bruno Arabian est consultant HealtTech pour Ulysse Communication