Actus par Lola Virolle
10 octobre 2019
10 octobre 2019
Temps de lecture : 11 minutes
11 min
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Intrapreneuriat : une solution pour briser le plafond de verre ?

Fin septembre, Makesense et les Intrapreneuses organisaient un événement autour de l'intrapreneuriat et de la diversité et s'interrogaient sur la recette à appliquer pour briser le plafond de verre.
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En 2019, encore plus d’1 personne sur 3 a vécu des discriminations dans le cadre professionnel. Dans le même temps, grands cabinets de conseil, fonds d’investissement ou même grands groupes publient chaque année des études prouvant le ROI positif de la diversité. Chacun tente alors des solutions ou " politique diversité " pour améliorer ses résultats avec plus ou moins de succès.

Jeudi 26 septembre, nous réunissions les plus passionné·es de nos communautés makesense et Les Intrapreneuses pour apporter des éléments de réponses à ces enjeux. L’une d’elle dont nous avons en particulier débattu : l’intrapreneuriat peut-il être une solution pour casser les plafonds de verre ?  Avant de sauter sur les conclusions, reposons les contours du problème.

La diversité, c’est quoi ? Qui en souffre et comment ?

Selon le Larousse, la diversité se définit comme : l’ensemble des personnes aux potentiels variés qui constituent la communauté à laquelle elles appartiennent. Par diversité en entreprise on entend la variété de profils humains qui peuvent exister en son sein : âge, diplômes, orientation sexuelle, passions, handicaps…

Au travail et au quotidien, les discriminations restent fortes notamment pour certaines populations :

  • 62% des personnes perçues comme arabes, noires ou asiatiques sont les plus concernées ont été discriminées dans le cadre professionnel
  • Une personne sur deux considère que les discriminations sont fréquentes au cours de la recherche d'emploi
  • 41% des français ont peur d’être discriminés sur leur âge à l’avenir et 8% en raison de leur handicap, ces 2 chiffres sont en augmentation cette année.

Et cela se traduit concrètement par :

  • Moins de femmes osent lancer leur projet (9% de femmes à la tête de startups) et encore moins arrivent à lever des fonds (2,2% des financements des fonds d’investissement dans le monde)
  • Près de 80% des déficients visuels se sont déjà faits arnaquer en payant chez un commerçant et 0% des déficients visuels peuvent ouvrir un compte bancaire en autonomie
  • Des algorithmes, développés en grande majorité par des hommes (20% de femmes codeuses), tiennent des propos racistes ou sexistes après seulement quelques interactions...

Le chemin à parcourir pour améliorer ces chiffres reste encore énorme, et au final : la diversité ça sert à quoi ?

La diversité : une recette pour innover et augmenter les résultats financier ?

De plus en plus d’études quantitatives et qualitatives prouvent un impact positif (voire essentiel) de la diversité :

  • Une meilleure performance financière pour les grandes entreprises avec plus de diversité de genre (+15% de performance) et ethnique (+ 35%).
  • Des innovations qui trouvent un marché plus rapidement et mieux : les entreprises avec des équipes produits diverses réussissent plus souvent à atteindre leurs objectifs de revenus (46% plus) et de date (47% plus) pour le lancement d’un nouveau produit.
  • Les startups dirigées par une femme dégagent 20% de revenus en plus et obtiennent 35% de ROI supplémentaire.
  • Bien d’autres externalités positives ont été constatées sur l’efficacité des équipes, un meilleur engagement collaborateurs, moins de tensions etc. 

Ces chiffres apportent enfin des argumentaires factuels et montrent la nécessité pour toute organisation de mettre en place des solutions pour promouvoir la diversité.

À noter : la plupart de ces études ne concernent malheureusement pas spécifiquement la France car les statistiques sur des bases ethniques sont compliquées ou pas autorisées dans notre pays.

L’intrapreneuriat : une solution pour plus de diversité ? Oui mais pas dans n’importe quel cadre.

Quand il existe un programme d’intrapreneuriat, celui-ci est un véritable accélérateur de projets et de visibilité pour les membres de l’équipe. Pour qu’il devienne aussi un accélérateur de mixité, il faut adapter le dispositif afin de lever les freins rencontrés par les populations discriminées à chaque étape :

1. L’appel à projets

L’auto-censure au moment de l’appel à projet est le premier obstacle est l’un des plus durs à lever. “C’est facile de constater que très peu de femmes postulent à nos challenges d’innovation. C’est beaucoup plus compliqué de comprendre les causes profondes et de trouver les bons leviers pour s’améliorer”, témoigne Rodolphe Barquin, Responsable Open Innovation à la FDJ. Le manque de confiance en soi, l’impression de ne pas être légitime, le manque de role model etc. sont des raisons qui reviennent souvent et qu’il faut adresser dès le début du programme.

Nos recommandations :

> Organiser des ateliers de sensibilisation pour chasser les idées reçues sur l’intrapreneuriat pendant toute la durée de l’appel à projet, ces ateliers doivent permettre de lever les blocages personnels et d’inciter tous les collaborateurs à postuler : contacter Fabienne Lemoine pour en savoir plus sur les ateliers “Chasse aux idées reçues

> Mettre en avant et faire témoigner des personnes issues de la diversité qui ont réussi comme intrapreneur·e·s, ils serviront de role model et montreront par l’exemple que c’est possible. Comme Ioana Morogan qui a convaincu Coca Cola de créer et d’investir dans le premier incubateur du groupe (Les Assoiffés) ou Julien Delamorte qui réussi à lever 3,9 millions d’euros auprès de Société Générale et 2 autres groupes pour créer la première offre bancaire 100% accessible à tout type de handicap : identifiez-les au sein de votre groupe ou contactez Lola Virolle ou Marjorie Pouzadoux pour faire intervenir des intrapreneur·e·s de leurs communautés.

2. La sélection

C’est une étape clé car c’est à ce moment-là que peuvent ré-apparaitre des discriminations. Pour que l’intrapreneuriat apporte de la diversité à tous les niveaux, il faut que le programme garantisse une égalité de traitement et d’évaluation de tous les projets.

Nos recommandations :

> Définir des critères de sélection les plus factuels possibles : est-ce qu’il y a un marché ? Un besoin ? Est-ce que la solution proposée y répond ? Est-ce qu’il y a un modèle de revenus possible ? etc. Cela permet d’éliminer les opinions personnelles et forcément biaisés. Le projet n’est plus jugé sur l’historique de la personne dans l’entreprise, les relations avec son chef, son genre ou son origine mais sur la conformité (ou non) à une grille de critères rationnels et mesurables.

> Avoir un jury diverse ou à minima sensibilisé aux questions de diversité : dans certains grands groupes il peut être compliqué d’avoir un jury diverse car les COMEX sont malheureusement encore très masculins et blancs, dans ce cas il est possible de faire intervenir un jury externe pour la pré-sélection des dossiers, comme Fabienne Lemoine de Femmes Business Angels, afin de garantir cette égalité de traitement. Des formations de sensibilisation sont aussi délivrées par des acteurs comme Equally Work

3. Le démarrage du projet

Le manque de capital financier et social sont les deux freins au démarrage les plus souvent remontés par les populations discriminées. N’ayant pas ou peu accès à des premiers financements ni à un réseau de décideurs, ces populations n’osent pas se lancer ou échouent plus rapidement. Cela se retrouve dans le profil type des startuppers qui réussissent aujourd’hui : homme blanc jeune issu de grande école. L’intrapreneuriat, à l’inverse de l’entrepreneuriat, peut facilement lever ces obstacles en les prenant en compte dans le dispositif d’accompagnement.

Nos recommandations :

> Libérer du temps aux intrapreneur·e·s sur leur projet (ce qui implique souvent de payer une partie de leur salaire à leur entité d’origine) et prévoir un budget (même limité pour assurer la frugalité) donnant de l’autonomie à l’équipe pour mener des tests et prendre des décisions

> Donner un accès direct aux décideurs et décideuses de haut niveau, il est conseillé d’affecter un sponsor niveau COMEX qui s’engage à dédier du temps à l’équipe et ouvrira des portes en interne comme en externe avec des clients potentiels. Cela va révéler des talents qui manquaient cruellement de ces premiers appuis comme en témoigne Iona Morogan : “Ma N+1 est la vraie intrapreneure, c’est elle qui a fait le pari de me mettre à disposition à 100% sur mon projet”. Cet accès à un réseau qualifié peut aussi être renforcé avec l’aide de communautés comme Femmes Business Angels qui propose un marrainage dédié avec des femmes ayant été financées ou à des postes à responsabilité. 

4. L’accélération et les suites 

Les premières étapes ont été franchies, des équipes diverses ont postulé, leurs projets ont été sélectionnés et se sont lancés. Il reste encore la dernière étape : la pérennité de ces projets ou - s’ils s’arrêtent - de nouvelles prises de fonction pour les intrapreneur.es apportant de la diversité à tous les niveaux du groupe. Pour cela, il est nécessaire de ne pas s’arrêter à l’accompagnement au lancement et d’aller plus loin en gérant les différentes suites du programme.

Nos recommandations :

> Former les intrapreneur·e·s à la levée de fonds/budgets (internes ou externes) pour leur permettre de sécuriser une suite ambitieuse pour leur projet. Comme dans l’entrepreneuriat on remarque que les populations discriminées n’osent pas demander autant, sont plus facilement prêtes à accepter moins, n’ont pas toujours les codes face aux investisseurs potentiels etc. Il faut bien entendu sensibiliser les décideurs pour que soit pris en compte ces différences. Mais il est également important de préparer les intrapreneur.es à cette étape clé, souvent très politique, qui va garantir la continuité de leur projet. Comme le souligne Julien Delamorte qui témoigne sur sa levée de fonds : " il faut acquérir certains codes et connaître ses forces pour pouvoir s’appuyer dessus et se battre avec ses propres armes … il y a 20% de personnes en situation de handicap en France, cela touche forcément mon interlocuteur, je dois trouver comment pour l’embarquer dans mon projet ". Des réseaux comme Femmes Business Angels proposent des coachings spécifiquement adaptés dans ce domaine.

En adaptant un programme d’intrapreneuriat à chaque étape, il est possible comme on vient de le voir d’en faire un vrai accélérateur de mixité. Reste ceux qui n’ont pas la chance d’avoir un programme structuré dans leur groupe, ils ou elles doivent alors commencer leurs démarches intrapreneuriales seul·e·s. Intraprendre peut alors s’avérer un parcours du combattant. Plus que jamais la mise en avant de roles models de tous profils est essentielle afin d’inspirer toutes les populations à se lancer.

Nos recommandations :

> Si vous vous identifiez vous-même comme tel, n’hésitez plus à prendre la parole et rendre vos actions visibles que ce soit en interne ou en externe !

Lorsqu’on fait partie d’une population exposée aux discriminations, décider d’aller de l’avant, en se lançant dans l’intrapreneuriat en toute autonomie est possible. Dans ce cas, il est absolument nécessaire de ne pas se sentir seul. Des communautés d’entraide existent basées aussi bien sur le partage de méthodes, que sur l’empowerment grâce aux paires.

Nos recommandations :

> Adhérer à des communautés d’entraide comme le groupe Facebook Les Intrapreneuses qui a pour vocation d’aider les femmes à s’épanouir par l’intrapreneuriat, pousse les intrapreneur.e.s à se poser les bonnes questions et crée des moments de rencontres qui permettent de passer à l’action. La communauté inspire par la mise en avant de rôles modèles, et par l’organisation d’ateliers pour oser se lancer.

Reste à avoir la chance d’évoluer dans une entreprise dont le top management est réceptif à ces nouvelles méthodes, ou du moins que la culture d’entreprise soit compatible avec des valeurs d’entrepreneurship…l’accès au top management ne s’avère pas toujours facile.

Nos recommandations :

> Provoquer un rendez-vous avec son manager direct ou N+2 ou au-dessus, pour lui proposer une nouvelle idée argumentée par un business plan et des premières preuves de mesures, porte très souvent ses fruits. Ainsi peut se franchir une première étape clé, quelque soit le profil de l’intrapreneur·e·s. L’importance du factuel et du chiffré revient ici aussi comme vrai levier pour sortir des jugements biaisés.

Nous voyons donc que l’intrapreneuriat, seul ou dans un programme, est bien une solution pour casser les plafonds de verre. Il juge avant tout la capacité à innover et laisse de côté des considérations comme l’âge, le genre, l’origine, l’orientation sexuelle, le handicap etc. Il permet d’offrir une carrière alternative avec des critères factuels à des personnes bloquées dans des postes par des discriminations ou de l’auto-censure. Il apporte ainsi un vrai renouveau aux politiques diversité, sans quotas ni misérabilisme, mais en proposant une nouvelle voie d’accès aux positions de top management.