Depuis 1987, il n’est plus obligatoire de travailler lorsqu’on est en détention. D’ailleurs, la proportion de détenus exerçant une activité décroît constamment : de 46,5% en 2000, elle n’était plus que de 29,2% en 2016, selon des chiffres relayés par l’Institut Montaigne. Pourtant, exercer une activité en prison permet, outre de s’assurer un revenu, de préparer une éventuelle sortie. Des études - pas limitées à la France - ont montré que bénéficier d’une formation en prison diminuait aussi la probabilité de récidive

Encore faut-il qu’une fois libéré, l’ancien détenu trouve du travail dans sa branche, et que ce travail soit suffisamment rémunérateur. C’est là que l’association CodePhenix a trouvé une carte à jouer. 

Brieuc Le Bars était encore étudiant en ingénierie quand il s’est dit que l’intérêt du marché pour les développeurs web pouvait être intéressant pour les personnes éloignées de l’emploi. A plus forte raison celles qui n’ont pas accès à tous les cursus qui ont fleuri ces dernières années : les détenus.

“J’ai essayé de réfléchir à comment on pouvait faire en sorte de permettre à des détenus d’accéder à des emplois dans ce secteur. Ca avait été lancé aux Etats-Unis deux ou trois ans plus tôt et ça marchait bien.”, relate-t-il à Maddyness. 

L’inspiration américaine

Zachary Moore est l’une de ces success stories américaines. Après 22 ans de prison, il est aujourd’hui ingénieur informatique dans une entreprise de la Silicon Valley. Quand il est entré en prison, il n’était jamais allé sur Internet. C’est The Last Mile, un programme en deux fois six mois, qui lui a permis de se former au code et de l’accompagner à sa sortie - inespérée - de prison. Le tout sans avoir eu accès à Internet pendant sa formation, prohibé derrière les barreaux tout comme en France. 

C’est un des défis auxquels est confronté CodePhenix, une association sur laquelle Brieuc Le Bars a commencé à travailler à plein temps en avril 2017. “Comme dans n’importe quel établissement carcéral, on n’a pas d’accès à Internet. On a dû installer une sorte d’intranet pour qu’ils puissent travailler, avoir accès à un réseau, pouvoir travailler en équipe, qu’on puisse leur amener facilement du contenu à tous”, explique-t-il. “Quand il y a des prestations à réaliser pour des clients, j’amène tout le matériel nécessaire. Je vais sortir leur travail dès qu’il est à peu près montrable pour voir avec le client pour voir si on est dans la bonne direction.”

Il apprend depuis janvier le code à une promotion pilote de huit détenus du centre de détention de Melun. La formation s’étend sur six mois ; les trois premiers ne sont pas payés, les trois derniers le sont. “Ca peut être un gros poids de s’engager sans rémunération”, note le cofondateur de l’association. De plus, CodePhenix a un contrat de concession, comme d’autres entreprises en détention : les détenus peuvent donc être rémunérés pour leur travail effectué sur des prestations extérieures. 

“La formation est assez intensive : tous les matins de 8h à 12h. L’idée est de créer un vrai esprit de groupe, afin d’encourager l’estime de soi, la confiance, l’entraide avec l’autre”, explique Brieuc Le Bars. Des intervenants extérieurs enrichissent la formation : des développeurs venant parler de leur quotidien, une aide à la préparation du projet professionnel, des entretiens blancs, etc. 

“On cherche activement des prestations”

Car à l’issue de la formation se pose la question de l’après. Contrairement à des cursus “classiques”, les apprenants n’ont parfois nulle part où aller une fois les compétences acquises. “Tant qu’ils restent et qu’ils veulent travailler, on leur fournit du travail”, assure Brieuc Le Bars. Il y a d’ailleurs toute une phase de réalisation de projets pendant laquelle les apprentis développeurs peuvent tester leurs compétences. Cette page a été réalisée par les élèves de CodePhenix, tout comme celle-ci.

“On cherche activement des prestations”, insiste Brieuc Le Bars, “car c’est l’occasion de se construire une vraie expérience professionnelle et de se former en continu.” A l’issue de leur cursus, les détenus “sont opérationnels sur un poste d’intégrateur web” ; la formation continue leur permet donc de progresser vers d’autres postes du numérique. 

A CodePhenix, “on est légèrement au-dessous des prix du marché, sans vouloir brader le travail des détenus”, avec par exemple “une landing page autour de 1300 euros”. En complément du mécénat et des subventions publiques, “l’objectif à terme est que les prestations permettent une certaine autonomie”, espère Brieuc Le Bars. 

CodePhenix cherche des bénévoles

Une deuxième promotion est envisagée pour la rentrée 2020, le temps de réaliser des travaux au centre de détention de Melun afin de pouvoir avoir de la place pour tout le monde. “On souhaite prendre le temps de recruter, de préparer de nouveaux formateurs”, explique le cofondateur, qui assure pour le moment seul les cours. 

CodePhenix recherche d’ailleurs des bénévoles. “On a plusieurs aspects où on a besoin d’aide : comme on n’a pas accès à Internet, il faut créer du contenu adapté et des ressources au fur et à mesure”, développe-t-il. L’association a aussi besoin de “10-15 personnes pour des interventions techniques d’une matinée, donner des conseils sur du code, du coaching à distance ou sur place”, déroule-t-il. Pour peut-être accompagner, qui sait, le futur Zachary Moore français.