Outils et conseils par Thibault Renouf
23 janvier 2020
23 janvier 2020
Temps de lecture : 13 minutes
13 min
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Les OKR chez Partoo : retour sur deux ans d’expérience

OKR. 3 lettres hype dans l'entrepreneuriat, mais qui viennent aussi avec leur lot de préconçus. Alors, comment mettre en place cette méthodologie sereinement ? Partoo livre ici un retour d'expérience fourni sur leur application partielle et pragmatique des OKR.
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Mika Baumeister

Depuis quelques années, beaucoup de startups utilisent la méthodologie OKR pour piloter trimestriellement leur activité. Cependant, les retours d’expérience que l’on peut trouver en ligne se limitent souvent aux premiers mois de mise en place et peu donnent du recul pour savoir ce qui a plus ou moins fonctionné. Deux aspects m’étonnent particulièrement à ce sujet. D’une part, il est très difficile de trouver une analyse critique des OKR sur internet : seuls les aspects positifs sont mis en avant. Il est même rarement fait mention de leur aspect chronophage, principal frein à leur mise en oeuvre ! D’autre part, je suis toujours impressionné par l’ambition et la complexité des process décrits et des outils de reporting utilisés, surtout pour une première mise en place : fichers Excel au niveau équipe, au niveau individuel, suivi d’avancement hebdomadaire, prise en compte des aspirations de chaque collaborateur ou collaboratrice, revues mensuelles, liste des to-do pour chaque OKR, communication cross-équipe, présentation générale, etc.

Chez Partoo, nous avons eu une approche assez pragmatique sur la mise en place des OKR : nous avons commencé très simplement et avons continuellement essayé d’adapter cette méthode à la fois à la taille de notre équipe, à notre culture et à notre activité. En effet, sur ces trois dimensions, Partoo est assez éloigné de sociétés comme Intel, Google ou Linkedin qui sont à l’origine de cette méthodologie.

Dans cet article, vous ne trouverez donc pas d’explications de ce qu’est la méthodologie OKR, ni de comment Intel l’a conceptualisé. Vous trouverez simplement un rapide retour d’expérience sur une application partielle et pragmatique des OKR dans une startup française de quelques dizaines de personnes.

Pourquoi et comment nous avons mis en place des OKR ?

Nous avons commencé à mettre en place la méthodologie OKR il y’a maintenant deux ans : nous étions alors une vingtaine chez Partoo et nous cherchions à aligner les objectifs des différentes équipes sur des temps plus longs : les trimestres. En effet, avec la croissance, l’horizon de temps de nos projets internes s’est allongé : de la semaine, nous sommes passés au mois, puis au trimestre ! Aujourd’hui à plus de 80 collaborateurs, nous avons même commencé à définir des plans marketing annuels, sans pour autant envisager de PMT à cinq ans ! La mise en place des OKR a été initié par les fondateurs et le management : il s’agit selon moi d’un élément clé de succès. Pour autant, embarquer toutes les équipes n’a pas été facile car ce sont des process complexes et chronophages.

Au départ, nous nous sommes donc focalisés sur l’implication des managers uniquement !

Avec le recul, nous pouvons segmenter en quatre, les bénéfices des OKR :

  • Définir des objectifs trimestriels clairs pour l’entreprise et par équipe
  • Communiquer sur les objectifs fixés pour motiver et aligner tout le monde
  • Définir les objectifs individuels comme déclinaison des objectifs d’équipes
  • Suivre la réalisation de ces objectifs dans le temps sur le trimestre

Pour se donner le maximum de chances de succès, je pense qu’il est préférable de poursuivre chacun de ces quatre bénéfices, l’un après l’autre. Ainsi, le plus important est d’abord de se focaliser sur le premier bénéfice, à savoir la " définition d’objectifs clairs par équipe ". Au départ, il n’est pas nécessaire de se soucier de la communication interne, ni des objectifs individuels ou du suivi de leur avancement. Une fois que la base est bien en place, il est plus facile de travailler au second bénéfice, puis enfin aux deux derniers.

Il est possible qu’en essayant de tout mettre en oeuvre d’un coup, vous risquez de créer une usine à gaz et que le premier objectif - le principal - ne soit pas atteint. Les OKR sont des process qui s’inscrivent dans le temps : chaque trimestre vous pourrez tirer des enseignements sur ce qui n’a pas fonctionné et travailler sur les bénéfices suivants. 

Quel format utiliser pour définir ses OKR ?

Si vous vous lancez dans un projet de mise en place d’OKR, un des premiers soucis est de savoir sur quoi les rédiger ! Ça parait tout bête, mais c’est une vraie question… Chez Partoo, le format des OKR fut typiquement quelque chose qui a beaucoup évolué en deux ans. Pour résumer, le format que vous choisirez devra être :

  • Collaboratif
  • Standardisé / Uniforme pour tous
  • Limité (pour éviter les gros blocs de texte qui auront tendance à apparaître)
  • Facile à présenter / partager

Support de rédaction des OKR de Partoo : 2018, 2019, 2020

Comme vous pouvez le voir ci-dessus, nous avons utilisé toute la suite collaborative de Google pour rédiger nos OKR : Gsheet dans un premier temps, Gdocs au Q1 2019 et Gslides aujourd’hui.

Ainsi, nous avons – comme beaucoup – commencé par un fichier Excel avec 12 onglets pour chacune des 12 équipes. Malheureusement, Excel est un format qui se présente et se communique difficilement : c’est rarement esthétique et cela ne donne pas forcément envie de lire chaque cellule… Nous sommes donc passés sur un Gdoc en copiant-collant l’Excel pour que cela soit plus lisible, avant de finalement opter pour Gslides.

En fonction de ce que vous recherchez, un format sera plus adapté qu’un autre : si vous souhaitez suivre dans le temps l’avancée de chaque OKR, Excel sera votre meilleur allié. Notre objectif était vraiment la communication interne – d’une part entre managers, et par la suite au sein de toutes les équipes. Voilà quelques raisons pour lesquelles nous sommes donc passés sur Gslides :

  • Cela reste très collaboratif (comme toute la Suite Google)
  • Une slide est plus courte qu’une page Word ou qu’un Excel : cela force à être concis et percutant dans la définition de ses OKR
  • La slide est facile à présenter sur un grand écran vs. un document Word pour lequel il faut scroller en parallèle de la présentation
  • C’est un format plus usuel en startup et moins connoté négativement que Word : on espère donc que tout le monde aura plus tendance à le lire
  • Chaque slide peut être commentée en dessous : nous utilisons cela pour poser nos questions ou remarques directement sur la présentation
  • Il est plus facile d’y ajouter des légendes que sur Word (si vous souhaitez catégoriser les OKR avec des couleurs par exemple)

Un planning difficile à tenir

Si l’on considère le premier bénéfice des OKR, à savoir " la définition des objectifs par équipe ", l'un des principaux challenges est le respect du planning et de la validation. Vu le nombre d’équipes chez Partoo, la mise en place d’un retro-planning a été nécessaire !

La première étape du planning consiste à définir les OKR de l’entreprise au global : ce sont eux qui donnent la direction à prendre sur le trimestre et les grandes priorités stratégiques. Il faut ensuite les communiquer aux équipes pour qu’elles les déclinent sur leurs domaines d’activité respectifs.

Il y a un an, les objectifs de chaque équipe étaient validés par le CEO : avec la croissance, nous avons aujourd’hui un niveau intermédiaire, puisque les différentes équipes sont regroupées en quatre " pôles " principaux (Customer, Sales, Tech et Strat). Les OKR des équipes sont donc validés à la fois par les responsables de pôles puis par le Top Management avant d’être présentés lors de boards trimestriels (comme expliqué dans le schéma ci-dessous) : 

Dans le cadre des OKR, les boards trimestriels chez Partoo ont trois intérêts : d’une part, ils permettent à tous les managers de présenter leurs objectifs tout en comprenant mieux ceux des autres pôles. Il s’agit ensuite de responsabiliser les managers sur leurs objectifs à venir : ils s’y engagent en les présentant à tous. Enfin, c’est un moment privilégié pour identifier les interdépendances entre les OKR d’équipes.

Pour ce dernier point, voilà un exemple concret : par exemple, l’objectif de " vente de 100 000 euros d’un produit X sur le trimestre " par l’équipes sales France, dépend entre autres du " lancement de ce produit via la newsletter " par l’équipe marketing, qui dépend lui-même du " développement et de la release de ce produit " par l’équipe tech. Identifier les interdépendances permet donc de garantir que chaque équipe a toutes les cartes en main pour réaliser ses objectifs.

Un fois les interdépendances identifiées, si on applique une matrice RACI au process des OKR, on peut considérer que :

  • Le manager de l’équipe est Accountable de la réussite ou non des objectifs
  • Les collaborateurs de l’équipe sont Consulted dans la définition et Responsible dans la réalisation
  • Tous les collaborateurs de l’entreprise sont Informed des objectifs et de leur réalisation 

Quel format pour les boards de restitution ?

Les boards trimestriels sont des moments clés chez Partoo car c’est l’occasion pour chaque manager de présenter ses avancements et d’avoir de la visibilité sur l’activité de toutes les autres équipes. Cependant, il est souvent difficile de regrouper tous les managers sur une même plage horaire et de garder tout le monde concentré pendant plus de deux heures !

Nous avons donc beaucoup itéré sur le format et l’avons fait évoluer au fur et à mesure. Les premiers boards permettaient à chaque responsables d’équipes de :

  1. Présenter les résultats du trimestre passé (1 slide)
  2. Descendre les OKR du trimestre à venir (1 slide)
  3. Répondre aux questions des autres membres du board

Sur ce format, il fallait compter minimum 20 minutes par équipe avec seulement 5 minutes de questions. Pour une dizaine d’équipes, cela représentait plus de 3h de réunion - en espérant que le timing soit respecté ! Malheureusement les derniers responsables d’équipe bénéficiaient donc d’une plus faible attention que les premiers… 

Pour raccourcir et dynamiser ces réunions, nous avons alors choisi un deuxième format en donnant la parole uniquement aux responsables des quatre pôles pour les présentations : nous laissions bien entendu chaque manager répondre aux questions relatives à son équipe. Ce format avait l’avantage d’être plus condensé, les responsables des pôles ayant tendance à moins rentrer dans les détails que les managers d’équipes. Cependant, les messages étaient moins “incarnés” et le sentiment de responsabilisation des managers sur l’atteinte des objectifs était moins fort. Par ailleurs, les responsables de pôles ayant parfois cinq équipes, ils avaient tendance à relire les slides d’OKR par équipe plus que les commenter...

Il y a quelques mois, nous avons finalement opté pour un nouveau format qui semble pour l’instant mieux fonctionner ! Il s’agit de diviser le board en deux grandes étapes : 

  • La première étape consiste en une lecture silencieuse par tous les membres du board de l’ensemble de la présentation des OKR passés et à venir. Durant cette lecture silencieuse, les managers peuvent poser leurs questions par écrit en commentaire de chacune des slides.
  • Lors de la deuxième étape, chaque manager peut présenter ses objectifs de manière très globale (pas les Key Results). Il reste alors plus de temps pour répondre aux questions des autres managers qui les auront déjà rédigées durant la première étape.

Input, Output, Outcome : quel niveau donner aux Key Results ?

En dehors de la forme des OKR, du planning ou du format de restitution, un des sujets très complexe à appréhender est le “niveau” à donner aux Key Results.

Les Key Results doivent être mesurables et faciles à évaluer : les Objectifs sont qualitatifs, les Key Results quantitatifs.

Pour chaque KR, la théorie établie par Intel ou Google suppose de définir en fin de trimestre des pourcentages d’atteinte de chaque KR. Dans la pratique, c’est quelque chose de relativement chronophage à maintenir.

Nous avons donc décidé de mettre en place quelque chose de plus simple. Un OKR en fin de trimestre peut avoir quatre états : OK, KO, partiel, dépriorisé. Au fur et à mesure que nous gagnerons en aisance sur le sujet, nous passerons peut-être à des calculs d’atteinte des KR en pourcentage. Cependant, il s’agit d’analyses bien plus complexes à réaliser sur un volume important quand on multiplie le nombre de KR par objectif et par équipe !

Par ailleurs, en théorie, les Key Results sont censés être “le résultat d’une série de tâches et non les tâches en elles-mêmes” ; “chaque Key Result fait référence à des projets sous-jacents qui ont chacun des tâches associés, séparées des OKR”. 

Cette définition est en réalité difficile à appliquer de manière opérationnelle : elle suppose de lister des centaines de tâches et de suivre leur avancement comme on peut le voir sur le schéma ci-dessous. 

Chez Partoo nous avons créé une autre classification qui nous aide dans la rédaction de nos KR : 

  • L’input : c’est un KPI qui ne dépend d’aucun autre facteur que le travail de l’équipe en question. Il peut s’agir de refaire X process, d’organiser X formations, d’envoyer X newsletters, etc.
  • L’output : il correspond à l’impact direct de l’input. Il peut par conséquent dépendre d’autres éléments qui ne sont pas à la main de l’équipe, mais reste intimement lié à l’input.
  • L’outcome : c’est l’objectif final recherché. 

Si on prend quelques exemples, voilà ce que cela pourrait donner sous le format Input > Output > Outcome :

  • Refaire les offres d’emploi des sales > Faire passer des entretiens à 30 candidats > Recruter 3 sales sur le trimestre
  • Organiser un point physique avec 70% des clients > Avoir un NPS supérieur à 60 > Avoir un taux de renouvellement supérieur à 90% 
  • Faire 1h de cold call tous les matins de la semaine > Prendre 3 rendez-vous qualifiés par semaine en moyenne > Signer 200 000 euros sur le trimestre

Si on observe ces exemples, l’Outcome est toujours le plus important : recrutement, renouvellement, acquisition client ! Si l’Outcome est atteint, peu importe que l’Input ou l’Output ne l’ait pas été. 

Cependant, il est toujours plus difficile de responsabiliser quelqu’un sur un Outcome qui n’a pas été atteint, car il dépend par définition de plein d’autres facteurs : il est alors nécessaire de challenger l’Input pour voir si le travail a été réalisé. Plus un manager est à l’aise avec sa stratégie pour atteindre ses objectifs, plus les KR auront tendance à être des Outcome. Au contraire, un manager en prise de poste ou qui a besoin de bien valider sa stratégie d’équipe aura plus tendance à choisir des OKR plus proche des réalités opérationnelles (Input ou Output).

Bien entendu ces définitions n’ont pas de fondement théoriques reconnus. Cependant leur utilisation en interne chez Partoo, nous a permis de mieux comprendre les niveaux que nous souhaitions donner aux OKR des différentes équipes.

Nos prochains défis !

Bien que nous ayons commencé à mettre en place les OKR il y a maintenant deux ans, nous n’en sommes toujours qu’au début. Nous avons encore de nombreux défis à relever notamment concernant le suivi dans le temps des Key Results ou encore la déclinaison des OKR d’équipes en OKR personnels pour chacun des membres de Partoo.

Thibault Renouf est CEO de Partoo