Pendant longtemps, l’économie numérique a été le lieu où la méritocratie régnait. Si vous ne faisiez pas partie du sérail, si vous ne pouviez compter que sur votre talent, alors le monde des startups numériques était censé être votre Eldorado, l’espace où écrire votre success story. Mais si au début des années 90, il y avait de la place pour les pionniers et s’il existait alors un territoire de redistribution des cartes, aujourd’hui les élites ont de nouveau investi l’entrepreneuriat. La méritocratie ne définit plus le monde numérique d’aujourd’hui. 71% des startuppers ont fait une grande école de commerce ou d’ingénieurs.

Je représente le 1% de fondateurs de startup autodidactes.

J’ai été élu au board de France Digitale et de la French Tech Grand Paris et parmi les nombreux entrepreneurs talentueux présents, je fais office d’ovni. Né en Algérie, je suis un autodidacte qui n’est jamais allé à l’école. Et pourtant, j’ai créé onoff, qui permet de se créer un second numéro portable (pro, perso ou temporaire), et j’ai levé 20 millions d’euros pour son développement. J’ai beaucoup étudié le domaine des télécom, imaginé une solution de Cloud Numbers et déposé plusieurs brevets.

Les équipes de France Digitale et son nouveau président, Benoist Grossmann, font également ce constat : 

"Pour l’origine sociale, il existe une forme d’aristocratie qui a plus facilement accès aux fonds et il ne faut pas que cela s’installe. Il est vrai que les étudiants des écoles de commerce, HEC et Essec en tête, sont très largement représentés parmi les entrepreneurs financés. Beaucoup plus que ceux issus des écoles d’ingénieurs, par exemple.”  Benoist Grossmann

Selon Nicolas Colin, co-auteur d’un rapport sur la fiscalité du numérique et cofondateur de The Family, les descendants de familles de chefs d’entreprises et de professions libérales seraient avantagés par " un rapport décomplexé à la réussite, à la compétition, à l’inverse des gens de classe moyenne, qui auront un peu honte en France d’assumer qu’ils vont gagner beaucoup d’argent. "  De plus, les grandes écoles créent un réseau qui s’auto-alimente. Une étude de Numa montre qu’un fondateur sur deux parmi les 375 interrogés a rencontré son associé dans son entourage social proche, parmi ses amis ou ses camarades d’école. Comment décloisonner ces systèmes de réseaux pour ouvrir l’économie numérique à des profils plus divers ?

Premièrement, par le financement

“On ne crée pas la diversité en la décrétant. Cela prend du temps et démarre par le fait de financer des personnes qui ne sont pas issues de ce cadre.”  Benoist Grossmann dans Les Echos Business

Ainsi le programme French Tech Tremplin comprend un volet financier pour soutenir les entrepreneurs issus de la diversité sociale : une bourse de 20 000 euros pour les projets qui démarrent et un financement de 42 000 euros pour les startups avancées. Le programme est ouvert aux entrepreneurs issus de quartiers prioritaires de la politique de la ville, bénéficiant d’un statut de réfugié, des minima sociaux ou d’une bourse sur critères sociaux. 

Deuxièmement, par l’accompagnement des profils issus de la diversité sociale

C’est aussi une dimension importante des French Tech Tremplin. Pour optimiser les chances de populations jusqu’ici sous-représentées dans ce milieu, la French Tech a mis en place des formations et un système de mentorat. Ce programme, auquel je participe avec France Digitale, a été conçu pour rééquilibrer les chances et faire en sorte que tous aient accès aux mêmes avantages que les entrepreneurs issus de milieux privilégiés. En donnant accès aux codes du monde de l'entrepreneuriat et à un réseau de mentors et d'experts, on peut faire gagner un temps considérable à ces porteurs de projets.

" Nous souhaitons faire de la Tech française, un écosystème encore plus accueillant et inclusif, pour que tout le monde puisse s’y épanouir, soit en rejoignant une startup, soit en créant sa propre entreprise. […] Nous devons favoriser et encourager la diversité afin que le numérique soit synonyme de progrès social " , soulignait Cédric O, secrétaire d’État chargé au numérique lors de l’annonce du lancement le 11 juillet dernier.

La diversité est une richesse. Une récente étude publiée par McKinsey démontre que les entreprises intégrant une diversité plus grande sont financièrement plus performantes que les autres. L’étude montre que toutes les formes de diversités (origine ethnique, genre, générations, parcours et formations…) sont bonnes à prendre. Et que pour produire ses effets cette diversité doit s’appliquer à toute l’entreprise, y compris ses dirigeants.

Diversifier les points de vue est essentiel à l’innovation. On le voit jusque dans des disciplines comme l’Intelligence Artificielle. Conçue essentiellement par des hommes, l’IA court aujourd’hui le risque de reproduire, d’amplifier et de pérenniser les préjugés du monde actuel… et de creuser un peu plus les inégalités.

“Sachant que l’IA s’appuie sur un jeu de données, si son approche repose sur un mode de pensée essentiellement masculin et si, en conséquence, la data n’est pas représentative, il y aura de quoi sérieusement s’inquiéter.”  souligne aux Echos Laurence Lafont, COO de Microsoft France et Présidente du conseil d’administration d’Impact AI.

Troisièmement, en donnant d’autres modèles

Cela fait partie de mes convictions : partager mon expérience montre que l’on peut réussir sans diplôme.

Je n’avais ni réseau ni diplôme mais mes parents m’ont appris à être libre et à croire en moi. C’est un message que je veux partager avec les jeunes des milieux populaires, avec les autodidactes : avec du travail et des envies, on réussit tout. Il ne faut pas avoir peur d’essayer. J’ai toujours cherché à partager mon expérience pour donner l’envie de se lancer.

En mettant en avant des profils comme le mien ou ceux de Xavier Niel, Gérard Mulliez, Alain Afflelou, tous autodidactes, on montre aux investisseurs, aux responsables RH qu’ils doivent voir au-delà des diplômes. Apporter plus de diversité dans les profils qui composent une entreprise, c’est aussi le meilleur moyen d’innover. Et l’innovation est nécessaire à la croissance. Changer notre regard et miser sur des profils atypiques est une stratégie gagnante pour les entreprises. 

“ Le progrès et l’innovation pourraient moins dépendre de personnes brillantes au QI élevé et travaillant isolément que d’équipes diversifiées œuvrant de concert et capitalisant sur leurs individualités ”  , affirme en effet Scott Page, professeur à l’université du Michigan, dans son livre The Difference : How the Power of Diversity Creates Better Groups, Firms, Schools, and Societies.

Être autodidacte a été une force pour mes projets d’entreprises, car les soft skills que j’ai développées en me formant moi-même sont indispensables pour mener une entreprise. Persévérance, travail acharné, curiosité, flexibilité, optimisme : ce sont ces atouts qui m’ont permis de partir de 0 et de devenir l’un des sportifs les plus titrés des sports extrêmes mais aussi de monter une entreprise dans les télécommunications, onoff, qui compte aujourd’hui une cinquantaine de salariés. Et ces soft skills ne sont pas utiles qu’aux entrepreneurs.

65 % des métiers qu’exerceront les élèves de l’actuelle école primaire n’existent pas encore. Sans parler des métiers qui sont menacés par la robotisation. Le calcul, la mémorisation et la compétition sont la base de l’école d’aujourd’hui, mais ces trois compétences correspondent à l’expertise des ordinateurs comme l’explique très bien le polytechnicien et biologiste François Taddei. À l’heure du développement de l’intelligence artificielle, une chose est sûre : jamais les humains ne pourront être les plus compétitifs pour calculer et mémoriser. Nos connaissances n’ont de sens que lorsqu’elles sont associées à la créativité. 

Savoir se former et exploiter ses connaissances sont les compétences clé que nous devons développer. Et ces softs skills ne peuvent faire l’objet d’aucun diplôme…