Republication du 13 janvier 2020

Les programmes d’intrapreneuriat ont de plus en plus le vent en poupe dans les grandes organisations, aussi bien publiques que privées. Un consensus s’est formé autour de leur intérêt, tant pour développer l’esprit d’innovation dans l’entreprise que pour gagner en agilité, voire même fidéliser les talents. Pourtant, les réussites sont encore rares, notamment à cause d’un dogme dangereux. Cette croyance, c’est que l’intrapreneure·e est forcément le ou la " CEO " de son projet, en s’inspirant du mode de fonctionnement des startups. Or, ce n’est pas toujours pertinent, tant en raison de l’environnement du projet que de la personnalité de l’intrapreneur·e.

Diriger un projet d’innovation fait peser sur l’intrapreneur·e des attentes parfois excessives

On attend souvent de l’intrapreneur·e qu’il·elle soit à la fois leader d’équipe, décisionnaire en dernier recours, product owner, gestionnaire du budget et représente le projet auprès des décideurs et des partenaires. Or l’intrapreneur·e n’a parfois ni le temps matériel (détachement à temps partiel) ni les compétences ou même le caractère (capacité à prendre des décisions impopulaires pour le bien du projet) pour assumer tous ces rôles classiquement dévolus à un fondateur de startup.

Si l’intrapreneuriat peut être une source de réalisation personnelle et de grande satisfaction, il peut aussi générer de profondes frustrations face à des organisations complexes et des gouvernances trop rigides. Les intrapreneur·e·s doivent se battre en permanence et franchir de nombreux obstacles internes pour faire avancer leur projet. Vécue par certains comme un élément de motivation supplémentaire, cette lutte quotidienne peut aussi entraîner démotivation et désenchantement.

Les projets intrapreneuriaux doivent permettre de lancer rapidement des projets innovants, adopter de nouvelles méthodes de management, booster l’agilité et accélérer la transformation de l’organisation. Rien que cela ! Et pourtant de vrais moyens humains et financiers sont rarement au rendez-vous. Sous couvert de frugalité et de boostrapping, l’intrapreneur·e se bat souvent avec des ressources dérisoires par rapport aux projets classiques de l’entreprise. Sans compter qu’au-delà du POC ou du MVP, les corporates ont souvent un véritable problème à financer la mise à l’échelle des initiatives. Face à ces injonctions paradoxales, un·e intrapreneur·e doit présenter un profil particulièrement résilient pour éviter le risque de burnout.

Tou·te·s les intrapreneur·e·s ne sont pas prêt·e·s à prendre les risques inhérents au dispositif

Les programmes d’intrapreneuriat ont aussi leur revers de médaille moins reluisant. Les intrapreneur·e·s prennent souvent un risque irréversible pour leur carrière en devenant visibles d’un top management dont ils ne maîtrisent pas toujours les codes et les enjeux politiques. La réalité est que les intrapreneur·e·s, en assumant un rôle de leader et en se mettant (trop) en première ligne, mettent en jeu leur crédibilité professionnelle en cas d’échec alors qu’ils ne maîtrisent qu’une partie des facteurs clés de succès. Souvent sans rémunération supplémentaire et sans reconnaissance particulière d’ailleurs. Les autres membres de l’équipe (UX, développeurs ou encore marketers) peuvent rebondir plus facilement en cas d’arrêt du projet.

Attendu·e·s sur leur capacité à court-circuiter les process et jeux de pouvoir habituels de l’entreprise, les intrapreneur·e·s génèrent souvent des frictions avec le reste de l’organisation. Le risque est que ces tensions dégénèrent en inimités interpersonnelles durables si l’intrapreneur·e est trop identifié·e à son projet. Il est aussi commun que la mise en lumière et la communication excessive sur leur projet pour des raisons d’image entraîne de l’incompréhension voire de la jalousie de la part d’anciens collègues comme des managers intermédiaires.

La meilleure solution : laisser l’intrapreneur·e jouer le rôle dans lequel il se réalisera le plus

Résultat, que deviennent les intrapreneur·e·s " CEO " une fois le projet clos ? En réalité, rares sont ceux qui réintègrent leur service d’origine. Et nombreux sont celles et ceux qui quittent l’entreprise, parfois pour créer la leur d’ailleurs. D’autant que les modalités de sortie (évaluation d’un job " non conventionnel ", valorisation des acquis ou encore progression de carrière) restent encore trop souvent oubliées. Tant pis pour l’objectif de conservation des talents.

Ainsi, moins que systématiquement positionner l’intrapreneur·e comme dirigeant·e de fait à coups de formation " express " et de mentorat, l’expérience prouve que la meilleure pratique consiste plutôt à constituer la meilleure équipe pour le projet. Chacun et chacune y jouera le rôle dans lequel il est le plus à l’aise et apporte le plus de valeur, en fonction de ses capacités. L’intrapreneur doit ainsi, même s’il est à l’origine de l’idée du projet d’innovation et qu’il a gagné un concours, avoir la sagesse de savoir s’entourer. Y compris passer les rênes du pilotage du projet à un entrepreneur en résidence. De nombreux fondateurs de startup à succès l’ont fait, recrutant un CEO expérimenté pour gérer leur croissance. Alors, pourquoi pas vous ?

Jean-Philippe Poisson est partner chez Julhiet Sterwen