Tribunes par Nicholas Vieuxloup
12 juin 2020
12 juin 2020
Temps de lecture : 7 minutes
7 min
8476

« Deserved media » : parce que vous le valez bien !

Après le paid, l'owned et l'earned media, voici venir le deserved media ! Kesako ? On vous dit tout sur cette stratégie de contenus.
Temps de lecture : 7 minutes
Partager
Ne passez pas à côté de l'économie de demain, recevez tous les jours à 7H30 la newsletter de Maddyness.

" Content is king " assénait Bill Gates en 1996. Une formule qui, près d’un quart de siècle plus tard, continue de résonner. Sans contenu – texte, image, vidéo, audio, etc. – point de salut digital. Sans contenu, point d’audience et d’utilisateurs. Sans contenu, impossible d’exister et de monétiser votre présence en ligne.

Contrairement à ses contemporains, le fondateur de Microsoft avait parfaitement identifié où se situe la valeur sur internet et sur les médias digitaux. Et s’il anticipait les difficultés qui seraient celles de certains acteurs et secteurs, la presse en tête, il n’hésitait pas à affirmer : " Content is where I expect much of the real money will be made on the internet ".

Pourtant, si Bill Gates a indéniablement vu juste, on ne peut s’empêcher de constater et de regretter une certaine forme de dévoiement des stratégies de contenu des marques. Trop souvent, le contenu est devenu un simple levier marketing dont l’unique ambition est la génération de revenus. Loin de nous l’idée de décorréler le contenu des contraintes business, de proposer une " vision bisounours " de notre métier. Simplement la volonté de se concentrer sur l’essentiel : le client et le sens. Comme l’intendance, le business suivra ! Le temps du " deserved media " est venu.

Un POEM qui manque de souffle

Apparue au tournant des années 2010, la méthode POEM permet de " catégoriser la visibilité que l’on souhaite donner à son message selon le type de relation que l’on a avec le média diffuseur ". Trois catégories sont disponibles : la visibilité achetée ou paid media (pub TV, bannières web, articles sponsorisés, etc.) ; la visibilité propriétaire ou owned media (blog, page Facebook, newsletter, etc.) pour laquelle la marque, l’entreprise se transforment en média et ont la main sur le contenu ; la visibilité acquise ou earned media pour laquelle ce sont les journalistes, les médias qui s’emparent d’eux-mêmes de vos contenus et les relaient.

En 2018, Cision publiait une étude mettant en lumière la compréhension, les aspirations et les pratiques des entreprises en France en la matière. Quelques faits saillants en ressortent. Alors que le earned media est considéré comme le levier le plus efficace par les professionnels du marketing interrogés, il n’en demeure pas moins qu’en termes de budget, le paid et le owned media le précèdent largement. Pire, parmi les 347 professionnels interrogés, près de 55 % d’entre eux ne connaissent pas le terme de earned media… Pour les autres, il souffrirait d’un triple handicap : la difficulté à mesurer le ROI (retour sur investissement), le manque de résultats à court terme, le déficit de savoir-faire au sein des entreprises… Tout est dit.

Mais, ce que ces trois freins mettent surtout en lumière c’est l’énorme biais qui caractérise l’approche des entreprises et des marques en matière de communication. Si la dimension business doit bien sûr être centrale, elle ne peut être l’unique " grille de lecture ". La transformation à court terme ne peut être la seule motivation, le seul horizon, du moins lorsqu’on parle de owned ou de earned media. Disons-le, à se focaliser seulement sur une vision " mercantile " des choses, votre communication, vos contenus perdent le sens qui devrait être leur première justification.

Comme décrit récemment dans un article de Maddyness sur le POEM, le paid media aurait pour justification première de " générer du business ", le owned media de faire connaitre vos produits ; et le earned media de " gagner la confiance " du consommateur, de votre cible. Problème : au-delà de la valeur générée, où sont les valeurs et le sens ? Quid du bénéfice tiré par votre audience ?

" Deserved media " : valeurs, sens et customer-centric

Car, même lorsqu’il s’agit de communication et de marketing, de la visibilité ou de l’autorité de votre marque, de la notoriété de votre entreprise, la fin ne peut justifier les moyens. Si certains n’ont bien sûr pas attendu pour le mettre en pratique, ce n’est pas la majorité. Loin s’en faut. Puisqu’à sa manière il est une marque, prenons l’exemple de ce qu’ont pu mettre en place Donald Trump et ses équipes. Comme le souligne le brillant article de Charles M. Blow dans le New York Times, profitant initialement d’une certaine complaisance des médias, celui-ci a littéralement inondé le paysage médiatique par ses outrances, ses provocations mais aussi en choisissant d’appliquer une stratégie média uniquement guidée par un objectif de résultat. Ses fameux " alternative facts " - réalité alternative – en sont les stupéfiantes et glaçantes illustrations. Et quel succès ! Il est élu à la surprise générale en 2016 en ayant profité de 2 milliards de dollars de earned media. Et l’histoire pourrait bien se répéter !

Face à ces dévoiements des stratégies médias, il est temps de se concentrer sur les vrais fondamentaux et de sortir d’une approche uniquement business centric et court termiste. Comme en marketing, digital notamment, il est temps de remettre son audience, ses clients au cœur des démarches et des dispositifs ; de créer les conditions d’une visibilité, d’une notoriété et d’une autorité méritées : le " deserved media ".

Le " deserved media " n’est rien d’autre qu’une addition du owned et du earned media auquel on a adjoint une démarche qui s’inscrit dans le long terme, s’attache à des valeurs et, avant tout, tente de comprendre, de répondre aux attentes et aux questions d’une audience ou de clients. L’utilité, le service précèdent la génération de revenus. La valeur ajoutée qui prime est celle perçue par le client, à l’instar de la MAIF qui a décidé de redistribuer 100 millions d’euros à ses assurés du fait de la baisse du nombre de sinistres liée à la crise du Covid-19.

Et plus concrètement me direz-vous ? Les exemples sont légions mais prenons celui, à la fois banal mais révélateur, qui concerne chaque jour des centaines de citadins : les punaises de lit. Imaginez l’effroi de ceux qui découvrent ces monstres miniatures sous leurs lits, dans leurs canapés. En panique, ils sont prêts à croire tout ce qu’on leur dit, à acheter tout ce qu’on leur propose, quel que soit le prix ou presque. Faites la recherche et vous verrez. L’offre est pléthorique – produits, " conseils ", etc. – les prix prohibitifs. A qui faire confiance ? Sans doute à ceux qui privilégient clairement l’explication, le conseil et l’échange ; semblent privilégier les réponses à la vente. Un peu comme le site droguerie-naturelle.fr, droguerie experte alsacienne qui offre ses conseils, répond aux questions, profite d’un excellent référencement de ses pages sur les moteurs de recherche, et vend sans doute plus que ses concurrents plus empressés.

Mais ce partage d’expérience, d’idées ou d’expertises peut tout aussi bien prendre d’autres formes. Au-delà d’être des leviers de conversion ou de vente, les contenus créés et partagés doivent être porteurs d’une valeur propre pour leurs destinataires, aller au-delà de toute relation commerciale entre l’entreprise, la marque et le client. Cela peut être le cas avec les posts que votre entreprise diffuse sur des médias sociaux comme LinkedIn, avec les tribunes / avis d’experts que votre patron, vos dirigeants sont amenés, encouragés à rédiger et à publier dans de grands journaux ou des titres de la presse spécialisée.

Chargés de sens, gorgés de valeur pour vos audiences et vos clients, vos contenus leur sont offerts avec comme première intention de les accompagner, de les aider, de les renseigner. Grâce au " deserved media ", le business suivra… sur la base d’une confiance méritée et pérenne, parce que vous avez fait la démonstration que vous le valez bien !

Nicholas Vieuxloup est directeur associé de WAM RP